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Front national : jugez sur pièce ! (3)

Publié le 06 août 2010 par Sylvainrakotoarison

Le déballage de l’affaire Bettencourt et les exactions à la Villeneuve de Grenoble pourraient faire le jeu du Front national. C’est en substance une inquiétude non seulement de la majorité mais aussi d’une partie de l’opposition. Le vote protestataire pourrait encore favoriser le FN. Mais ses éventuels électeurs savent-ils vraiment où ils mettraient leur vote ? Troisième partie.

yartiFN01Dans un premier article, j’ai évoqué l’inquiétude du déballage des affaires politico-financières et du risque de favoriser les extrêmes. Dans le deuxième article, j’ai commencé l’analyse du programme du Front national notamment sur les mesures sécuritaires dont certaines viennent d’être reprises par le Président de la République (je reparlerai plus tard du discours de Grenoble).
Une précision : je n’ai jamais prétendu à la neutralité dans ce genre d’exercice et par conséquent, mon objectif est bien de montrer que le programme du FN n’est pas celui qu’il faut pour notre pays. Je veux le faire avec des arguments et sans animosité mais avec fermeté. Il y a des valeurs républicaines sur lesquelles il ne faut pas transiger.
Je poursuis maintenant mon analyse sur les sujets économiques et financiers.
C’est seulement maintenant qu’on arrive au plus intéressant, car le FN essaie de ratisser large en se positionnant à la fois à la fois contre la gauche et contre le libéralisme, ce qui donne parfois quelques incohérences manifestes.
Dans son constat, le FN précise ainsi : « La bonne marche de nos entreprises se trouve ainsi entravée par trois maux principaux : l’étatisme ; le mondialisme ultra-libéral ; un syndicalisme archaïque et non représentatif. ».
Le lecteur qui sait décrypter comprend cependant que l’essentiel reste dans la "bonne marche de nos entreprises", autrement dit dans une philosophie libérale qui ne peut, paradoxalement, s’empêcher de réguler et de renforcer l’étatisme, comme on peut le voir en passant en revue les propositions. L’étatisme, c’est évidemment le penchant de toute politique sécuritaire.
Chapitre sur l’économie
Le FN s’oppose religieusement à l’étatisme et au syndicalisme (qualifié d’archaïque et de non représentatif) : « le syndicalisme français, dévoyé et moribond, est quant à lui une cause du blocage de notre économie et un des obstacles majeurs aux réformes nécessaires de la société française (retraites, sécurité sociale, fonction publique, formation professionnelle, code du travail…) »
Entre autres est prônée la « simplification du code du travail et faire cesser son instabilité permanente » qui laisse deviner une réduction des acquis des salariés.
Je relève une incohérence fondamentale entre une volonté de « libérer le travail et l’entreprise de l’étatisme et du réglementarisme » et la mesure visant à la « mise en place d’un protectionnisme ciblé » imposant par exemple « l’origine française de 50 à 60% des composants (en coûts de revient) constitutifs des produits importés ». Cette mesure est d’autant plus irréaliste qu’elle empêcherait tout fabrication d’équipements français qui nécessitent souvent des systèmes préfabriqués à l’étranger (en particulier en Chine). Un tel protectionnisme, au contraire des objectifs déclarés, asphyxierait la recherche et l’industrie françaises et renforcerait la réglementation étatique pourtant si décriée.
Chapitre sur les impôts
Le FN fait toujours dans le populisme : réduction drastique de l’impôt sur le revenu (précédemment, le FN était même pour sa suppression pure et simple) avec comme taux marginal 20%. Une mesure qui ne peut favoriser que les hauts revenus, car c’est pourtant l’impôt le plus juste car progressif.
Réduction aussi de l’impôt sur les sociétés pour les PME (taux maximal de 20% au lieu de 33%).
Toujours de l’arnaque en terme de coûts du programme : toutes les baisses d’impôts seraient estimées à environ 30 milliards d’euros mais comme ces réductions iraient créer « à terme les condition d’une croissance retrouvée », ce serait finalement un « gain estimé à 9 milliards d’euros » par une opération de baguette magique. Sans démonstration.
Fin du financement actuel des associations : « Contrôler les subventions aux associations accordées par l’État [NDLA : ce qui est déjà le cas] avec un objectif de réduction de 30% ». Lorsqu’on sait la manière de subventionner les associations dans les rares municipalités FN, on peut s’inquiéter de la politisation de ce genre de financement que le FN ferait s’il était au pouvoir. Il n’y aurait plus de liant social et seules, les associations qui feraient allégeance seraient subventionnées.
Retour également aux 39 heures hebdomadaires de travail : « Renégocier par branches les 35 heures » et un peu plus loin « en supposant que les partenaires sociaux souhaitent revenir à 39 heures… ».
Le FN est contre l’étatisme mais se permet cependant de « placer momentanément sous [la] sauvegarde [de l’État] toute entreprise dont la disparition ou l’absorption présenterait un danger pour l’indépendance nationale » même s’il s’interdit une « collectivisation de pans entiers de notre économie » (ce qui ne veut pas dire grand chose et qui utilise des mots journalistiques assez creux). En matière économique ou industrielle, l’indépendance nationale n’est qu’une utopie heureusement très éloignée de la réalité car un produit complexe, aujourd’hui, est souvent composé de pièces multinationales. Prôner la préférence nationale des produits manufacturés dénote une incompréhension totale de la vie économique d’aujourd’hui.
Chapitre sur l’environnement
Le FN prend explicitement position en faveur de la poursuite de « toutes les recherches en France sur les OGM ». Toutefois, par prudence, il ajoute cette phrase alambiquée : « tout OGM ne doit pouvoir être cultivé et commercialisé que si sa reproduction dans la nature est rendue impossible ». Ce qui, finalement, contredit le début de la proposition. Un moyen de ratisser large : partisans et opposants des OGM ?
Une mesure qui pourrait avoir de lourdes conséquences : « Limitation des transports d’animaux vivants, avec pour objectif l’interdiction des mouvements transfrontaliers ». Là encore, étatisme, protectionnisme et réglementation, dans a contradiction de ce qui est annoncé en introduction.
Chapitre sur l’énergie
Toujours les mêmes incohérences d’une idéologie à la fois libérale économiquement et sécuritaire : le FN critique l’étatisme mais propose : « de sanctuariser par un contrôle de l’État (…) les secteurs de la Défense, de l’énergie, de l’Espace et du calcul scientifique ».
Par ailleurs, notez bien les secteurs : la Défense et l’Espace paraissent évidents, le premier par fonction régalienne et le second par les coûts gigantesques que seul l’État peut prendre en charge (donc, le contrôle de l’État a toujours été effectif), mais le calcul scientifique, c’est assez intéressant comme mesure car cela ôterait toute indépendance aux nombreuses entreprises qui ont besoin de faire du calcul scientifique (le nombre de secteurs économiques concernés est très élevé, puisque toutes les industries utilisent maintenant ce type d’outil de prédiction, de qualité ou de conception).
Avec le FN, il y a aussi risque de retourner aux "vieilles énergies" car on apprend avec stupeur cette mesure : « Prévoir de relancer, le cas échéant, la filière charbon » (heureusement qu’elle n’est pas indiquée dans le chapitre sur l’environnement).
Savoir aussi que votez FN signifierait voter pour le tout nucléaire : « Poursuivre l’effort nucléaire : les filières de 3e et 4e générations seront programmées, la construction du surgénérateur sera relancée et les études sur le Thorium 232 reprises. (…) Le projet ITER sur la thermofusion nucléaire contrôlée sera bien sûr largement encouragé et soutenu ». Petit sourire à la lecture de « bien sûr », les mots les plus importants de la phrase pour bien comprendre le FN.
Par ailleurs, à ma connaissance, l’expression "thermofusion nucléaire" n’existe pas, il n’y a que de la "fusion thermonucléaire". Cet assemblage de mots supposés savants se retrouve sur Internet uniquement chez les partisans du FN. Sur Internet, le mot "thermofusion" est associé par exemple à « l’hystérectomie vaginale » ("La Lettre du gynécologue", 2004, n°296, pp. 12-14).
Chapitre sur les transports
Mesure très électoraliste et qui renforcerait l’insécurité routière (pour un parti sécuritaire, c’est assez paradoxal) : « Arrêt de l’autophobie dans les grandes villes et du racket de l’État en matière d’amendes (modalités du permis à points à assouplir) ». Verbaliser est assimilé à du racket, pourtant, les infractions et même les délits sur la route doivent bien être sanctionnés.
De même, déresponsabilisation des automobilistes en demandant uniquement aux constructeurs l’effort de sécurité : « Exigence, auprès des constructeurs automobiles, de la poursuite des progrès techniques en matière de sécurité, fiabilité, durabilité et sobriété des voitures ». Notez également que cette mesure intervient encore de façon contradictoire avec le discours qui s’attaquent à toutes les réglementations et à l’étatisme.
Toujours cette tendance à être anti-étatique tout en créant des taxes : « Instaurer une taxe spécifique à l’entrée du territoire pour les poids lourds étrangers ». Cette mesure est d’autant plus stupide que de nombreuses entreprises françaises communiquent ainsi entre deux établissements établis en Europe.
Chapitre sur la Recherche
Il n’y a que le FN qui puisse inclure la mesure suivante dans son programme, une évocation du contenu même de la recherche : « Il faut enfin évoquer le cas de la recherche publique en sciences sociales (notamment le CNRS), qui canalise un quart du budget global. Certains instituts financés sur fonds publics sont avant tout des bastions de la pensée unique et des idées de gauche, où les chercheurs planchent sur des sujets souvent dépourvus d’intérêt réel et bénéficient d’une rente de situation indue. Il y a lieu de rationaliser ces institutions et de renouveler les critères d’attributions des aides. ».
Voici que la nature revient au galop : pour le FN, être fonctionnaire est une "rente de situation indue" ; au moins c’est clair. Car dans d’autres domaines que les sciences sociales, il y a plein de travaux qui, finalement, n’aboutissent pas car c’est aussi le risque de la recherche, par définition, de pouvoir être inutile. Pourquoi la refuser dans les sciences sociales et l’accepter dans les autres disciplines ? Sinon pour des considérations politiques clairement exprimées ici ?
Une autre mesure qui "ferait plaisir" aux chercheurs : « le statut de "chercheur à vie" est par ailleurs une spécificité française appelée à être réformée ». Pourtant, tout le monde le sait, scientifiques comme artistes, que lorsque l’alimentaire est assuré, il est plus aisé de se consacrer totalement à sa recherche ou à son art. Et ce n’est pas dans le secteur de la recherche qu’on peut amasser de grosses fortunes. Pour le même niveau, ils pourraient très bien faire d’autres activités si l’argent avait été leur principe premier.
Une mesure contreproductive dans la recherche mais qui répond à l’impératif idéologique du nationalisme : « Favoriser l’emploi de la langue française dans les colloques et publications ». Tous les chercheurs le confirmeront : seul l’anglais permet aux chercheurs d’être reconnus aujourd’hui dans le monde ; l’anglais est l’unique langue des chercheurs (ce qui est normal puisqu’il serait bien difficile de demander aux chercheurs japonais, russes, chinois, indonésiens… de lire le français pour le bon vouloir de Jean-Marie Le Pen).
La mesure précédente est contreproductive mais aussi contradictoire avec l’idée du salaire au mérite : « il faut récompenser les chercheurs dont les travaux sont reconnus ». Pour cela, mieux vaut pour eux qu’ils ne s’expriment pas en français mais en anglais.
Et une mesure idéologique qui ne veut rien dire : « Rétablir la liberté d’opinion et d’expression dans les universités et els centres de recherche et bannir la politisation ». La politisation, c’est justement quand on peut y exprimer librement ses opinions. Pour "apolitiser" une structure, mieux vaut ne pas libérer l’expression.
Dans le prochain et dernier article, je conclurai cette analyse politique.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 août 2010)
Pour aller plus loin :

Programme du Front National à télécharger.
Documentaire "Le Pen dans le texte" (20 février 1997).


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