LES HAUTS ESCALIERS.
Le vent souffle dans les hauts escaliers n'est-ce pas sûr que l'avenir est pour bientôt ?
tout près
du ciel désormais à portée de la main
mais à force de s'élever
les escaliers
ont fini par se perdre au cœur de la nuée
les voici qui sont devenus si éloignés
qu'on ne peut plus les atteindre, ni les gravir.
Les portes battent
avec un son lourd, résonnant
pareil à celui qui sonne dans les clochers
pareil à celui qui cloche dans les sonnets
le vent les arrache quelquefois à leurs gonds
et le ciel cherche toujours
à les remplacer
par ses écharpes de nuages vaporeux
d'où jaillissent non pas des lapins magiciens
mais d'immenses colombes aux ailes immaculées
leur donnant quelque peu des airs de Christ en croix...
Là-bas
tout en haut
les colimaçons du ciel
s'effritent, frôlés par les tranchants du jet stream
les fabuleuses chevauchées de la nuée
s'arquent avec de soudains cabrements de dauphins,
tout frisotte, énorme, dans une irisation
glaciaire, aiguisée
comme de la banquise.
Les troupeaux circulent,
se bousculent à loisir
à grands coups de sabot,
les vents hachent menu
tout le menu fretin
de degrés étriqués, coincés, tordus, velus.
Le désert est en marche, juste sous nos pieds
EUROPE
Pierre léchée par les ciels froids
par les nues aux mufles mouillés,
le matin est creux
et rêveur
Pierre embrassée d’un cercle bleu
où s’ébattent, en la frôlant
formes d’un blanc bien détaché,
suspens de courts corps cotonneux
pareils à des embarcations
aux flancs neigeux et sans défense.
Le ciel se met à me toiser
du haut de son flegme distant ;
juste à son aplomb, les pavés
baveux que l’ombre retient
dans sa fosse, en secret
hoquètent
où sont les grands soleils mordants,
tonitruants, qui vous rôtissent ?
Nous sommes là : constamment plantés sur des seuils,
ne regardant la vérité
que d’un seul œil
que d’un seul œil-soleil
solidifié au sol,
empalé comme un vampire convalescent.
Nous sommes là ; souvent assommés de sommeil,
de sommes-veilles qui ravaudent le passé,
l’extirpent des nids de nuit et de buissons
à des années-lumière de nos chevauchées.
Nous sommes là, souvent prisonniers incertains,
la tête tournée vers quelque sens interdit,
quelque voie sans issue aux clins d’œil racoleurs ;
dans l’épaisseur des mots
peut-on trouver
son corps ?
L’espace est lisse
et moi, dessous
et moi, dedans
je vois grandir
son élasticité, je le
sens s’étirer, il est
d’huile
je m’insère dans sa coulée,
entre ses strates d’abstraction
laiteuses qui portent l’odeur
d’un vent hochet chargé de pluie ;
tout se désencombre alentour
son glissement caoutchouteux
éloigne encore les objets
qui sont de plus en plus distants
sa volonté de raréfier, de faire place nette
agit
pour imposer la liberté
dans sa géométrie brutale.
Pavés sonores et trottoirs blancs
se dérobent sous les souliers
comme des points de fuite hâtifs
tracés de dissolution.
Bientôt deux parallèles vont
celle du chemin et du ciel.
Patricia Laranco.