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Les représentations de la science moderne dans l'utopie, à travers les oeuvres de Tommaso Campanella et de Francis Bacon (2)

Publié le 08 août 2010 par Zebrain

I – LA SCIENCE COMME SAVOIR : L'UTOPIE-LABORATOIRE

La figure du Sage antique est remplacée, à la Renaissance, par celle du Savant. Celui-ci ne dispense plus sa sagesse sur le forum, mais préfère s'isoler dans son étude pour percer les secrets les mieux gardés du monde. Lieu clos, soumis à des règles rationnelles permettant à l'Homme d'accéder à une véritable connaissance de la nature, le laboratoire présente de nombreux analogies avec l'île à laquelle se réfèrent volontiers les utopistes qui succèdent à Sir Thomas More : comme la fiction utopique, le laboratoire est à la fois extérieur à l'agitation du monde, et investi d'une fonction critique à l'égard de fausses vérités qui y sont diffusées. Comment ne pas évoquer, ici, en guise de modèle, l'île-laboratoire de Tycho Brahé, Uraniborg, « Le Palais d'Uranie », muse de l'astronomie, quie lui offrit Frédéric II du Danemark sur l'île de Ven et qui fut considéré comme le plus important observatoire astronomique de toute l'Europe ? Le laboratoire ouvre donc, naturellement, sur l'image d'une « cité savante », politiquement idéale, socialement équilibrée, parce que dirigée par les sages. Dès lors, la Science est utilisée dans l'utopie, à la fois comme modèle de la cité elle-même (A), ce qui est particulièrement sensible dans La Cité du Soleil, et comme méthode d'éducation, jusqu'à forger une nouvelle manière de « penser le monde », dont la Maison de Salomon est le réceptable le plus évident (B).

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A. La science comme modèle
Si, avec Tommaso Campanella, la nouvelle cosmologie sert de modèle à l'architecture de la Cité elle-même (1), l'auteur n'en recherche pas moins la compatibilité avec la théologie chrétienne (2).
1. Cosmologie et Architecture
La Cité du Soleil de Tommaso Campanella est bâtie en cercles concentriques, plus exactement en "sept grand cercles qui portent le nom des sept planètes (...)" et "l'accès de l'un à l'autre est assuré par quatre routes et quatre portes orientées sur les quatre aires du vent" (C.d.S., p.3). Tommaso Campanella n'a pas, bien entendu, la primeur de la cité bâtie en cercles concentriques. Il ne fait que reprendre la correspondance platonicienne entre l'architecture de la cité et l'architecture du cosmos, qui doit rappeler à l'Homme qu'il participe de l'unité du Monde, et que ses actes se doivent d'en respecter l'Harmonie. L'Atlantide, décrite dans le Critias,  lui fournit un modèle antique évident. Quant à ses contemporains, on peut affirmer que le schéma utopique d'Anton Francesco Doni, traducteur italien de l'Utopie de More, rappelle beaucoup celui de Campanella. Botero, dans ses "Relazioni", raconte la conquête par le Grand Mogol de la ville de Campanel, "fameuse cité qui a sept enceintes de murailles et s'élève sur une montagne sise au milieu d'une plaine", et décrit, ailleurs, le temple mexicain de Vitzipuiztli qui "avait quatre portes tournées vers les quatre parties du monde".
Cependant, c'est bien la cosmologie des novatores qui lui en dicte l'organisation interne, résolument héliocentrique : dans le septième cercle, au coeur de la Cité du Soleil, s'érige le temple du « Métaphysicien », également appelé « Soleil », dans lequel se trouvent "deux mappemondes de grande taille, l'une qui représente le ciel tout entier et l'autre la terre" ; et, sur la face interne de la nef centrale, sont dessinées "les grandes étoiles du firmament, désignée chacune, en trois vers, par son nom et l'influence qu'elle exerce sur les choses terrestres". Quant à la décoration du temple, elle est constituée par sept sphères sur lesquelles brûlent sept lampes portant le nom des sept planètes (à l'époque de Campanella, il s'agit de : Mercure, Vénus, la Terre, la Lune, Mars, Jupiter et Saturne). Le message est transparent : la Cité reproduit harmonieusement la structure de l'univers. Au sens copernicien du terme, car les solariens de Campanella "sont ennemis jurés d'Aristote" (C.d.S., p.51).
Formulée un peu antérieurement à Galilée, cette cosmologie apparaît trop empreinte de métaphysique au regard de la science moderne. Pour le moine stilite, l'Univers forme un Tout indivisible qu'il appelle la "machina mundi" : pierres, plantes, animaux, hommes et étoiles constituent un immense ensemble d'éléments interdépendants, dont les relations sont assurées par un certain nombre de liens occultes et d'influences réciproques. Campanella utilise une métaphore originale : "le monde est un grand animal, et nous sommes en lui...". C'est sans doute parce qu'il fut emprisonné, et donc empéché de poursuivre ses observations sur les plans microscopique et astronomique, qu'il se tourna vers la métaphysique. Et, en en dépit de son acceptation de l'héliocentrisme, il semble que Campanella a toujours été plus défenseur de Galilée que de Copernic, comme le prouvent certaines de ses lettres au pape Urbain VIII. Il entend concilier foi et science.

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2. Le modèle galiléen est-il soluble dans le christianisme ?

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Alors même que, dans La Nouvelle Atlantide, Francis Bacon fera en sorte de couper la science de toute forme de « révélation », Tommaso Campanella, lui, cherche à démontrer qu'il n'y a pas d'incomptabilité entre la nouvelle cosmologie et l'essence même de message chrétien. C'est dans son Apologie de Galilée (Apologia pro Galileo, 1616) que Campanella reprend la plume alors qu'il est sur le point d'obtenir une relative liberté que son intervention risque fort de compromettre. Mais, c'est aussi ce qui démontre l'importance de la science et de la liberté philosophique, pour l'auteur de La Cité du Soleil : il suggère au Pape que pour pouvoir intégrer les nouvelles lois naturelles dégagées par cette cosmologie galiléenne, le christianisme doit revenir à sa simplicité première, celle des Evangiles.
Dans un raisonnement en boucle, Campanella pressent que la fin du christianisme est de redevenir une religion naturelle dans laquelle l'homme doit vouer tous ses efforts à "la vraie religion et honorer l'auteur de la vie qui l'habite, chose qui ne peut se réaliser sinon dans l'examen des oeuvres de la création" (C.d.S., p.58). En somme, la science est un chemin vers la divinité et, loin d'être des pré-chrétiens sans foi révélée, les solariens pratiquent un christianisme rationnel et naturel fondé sur la science et l'amour du Dieu créateur... Campanella fait de l'astronomie, une propédeutique à la théologie.

Ugo Bellagamba


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