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Chemin vicinal à l’Orient de tout…

Publié le 08 août 2010 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 3 & 4 (nouvelle série)

Cette chronique est double parce qu’y sont assemblés deux poètes - Pierre Moussarie et François Cheng - méditant sur l’élément minéral, un Chemin vicinal menant ainsi A l’Orient de tout… L’élément minéral est sur notre chemin.  Il serait même préférable de dire qu’il le sous-tend ! Plus que tout autre, le minéral nous fait toucher du doigt (ou du pied !) l’idée d’une permanence gisant au sein même du monde sensible – elles, les pierres, pourtant si peu sensibles ! – idée renvoyant à celle d’une permanence absolue qui serait celle du créateur. Etrange évocation de celui-ci par Moussarie quand il parle de la main pathétique… Cependant, même les pierres sont soumises à l’action inexorable du temps, à la corrosion, au roulement, à l’effritement : « tout rentre dans le jeu », comme disait Valéry dans son Cimetière marin.

Pour autant, le chemin n’existe pas en soi, ni parce que les pierres le constituent. Il n’existe que par notre regard et notre action de cheminement, que nous soyons terrassiers ou simples chemineaux. Et donc les pierres sont soumises au mouvement universel, soumises à la temporalité. Le mérite de ces deux poètes pourtant si dissemblables est de nous éveiller à cette présence dans la temporalité, disant que l’éternité est sans doute accessible au regard de qui sait voir, de qui sait se mouvoir et marcher, en pousse-cailloux traçant un chemin qui deviendrait peu à peu une voie…

Poème des pierres

Toutes, toutes, les voyageuses

et les sédentaires moussues,

rouillées par le courant des fleuves

ou brisées par les roues des chars,

vous vous êtes acheminées

dans la tribulation des siècles

pour tenir avec moi, ce soir,

un long colloque de silence.

Depuis que la main pathétique

vous a laissé tomber au puits de l’avenir,

le labeur lent des éléments

patiemment vous a détruites

dix fois peut-être, mais en vain.

Par les bouches tumultueuses des volcans

ou le jeu sûr des sédiments,

vous fûtes toujours recréées,

pierres, indestructibles pierres,

aussi durables que le monde.

Toutes, usées et mutilées,

plus neuves à chaque malheur,

toutes je vous reconnais :

pierres à feu des bivouacs morts

ou des luttes originelles,

pierres lisses comme des pommes,

pierres rudes comme des cœurs.

Schistes, granits, silex, basaltes,

venus à moi du fond des temps,

du fond des mers, du haut des Alpes,

pierres transmises, d’âge en âge,

avec l’or des beaux héritages,

pierres jeunes comme une aurore,

pierres vieilles comme le vent,

pierres patientes et sages,

vous aussi, vous aussi, les pierres,

retournez au limon, à la pure poussière

pour renaître éternellement !

Pierre Moussarie (1910 – 1978) , Chemin vicinal suivi de Campagne, Plein Chant , 1997. Moussarie est originaire de Rouffiac (Cantal). Il revint dans son Cantal comme receveur des Postes après un exil forcé à Paris d’où il exprimait, au-delà de la nostalgie d’un terroir originaire, un bon feeling aux puissances élémentaires. Son monde est un cosmos régi par un principe d’harmonie qui se déchiffre à travers la nature, où il s’agit de lire les signes à l’œuvre, laissés peut-être par la « main pathétique » d’un Dieu qui se trahirait là… Pierre Moussarie a fait l’objet d’un numéro de la revue Plein Chant , maison d’édition dont je reparlerai…

Un jour, les pierres

Un jour

Nous vous retrouverons

Sur notre chemin

Pierres

Ignorées

Piétinées

Détentrices pourtant

De la source

De la flamme

Du souffle de l’initiale

Promesse

Vos retrouvant

Nous nous retrouverons

Du pied à la pierre

  Il n’y a qu’un pas

Mais que d’abîmes à franchir

Nous sommes soumis au temps

Elle, immobile

   au cœur du temps

Nous sommes astreints aux dits

Elle, immuable

   au cœur du dire

Elle, informe

   capable de toutes les formes

Impassible

   porteuse des douleurs du monde

Bruissante de mousses, de grillons

   de brumes transmuées en nuages

Elle est voie de transfiguration

Du pied à la pierre

  Il n’y a qu’un pas

Vers la prescience

Vers la présence

François Cheng , dont le nom signifie « qui embrasse l’unité » en chinois, est né à Nanchang (Chine) en 1929. Elu à l’Académie française en 2002, il poursuit depuis son arrivée en France dès 1949 un dialogue fécond entre les cultures et les langues chinoise et française. Il fut professeur aux Langues O et est l’auteur de nombreux essais et poèmes.


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