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Bonnet d’âne “informatique et libertés” du Conseil d’Etat pour le ministère de l’Education (CE, 19 juillet 2010, Vincent Fristot et Mireille Charpy)

Publié le 12 août 2010 par Combatsdh

“Base élèves” et BNIE: censures en série des décisions du ministre de l’Education nationale sur le fichage des élèves

  par Serge SLAMA

enfant-prison_400.1281559363.pngLe Conseil d’Etat invalide, dans deux arrêts, plusieurs décisions du ministre de l’Education nationale concernant la « Base élèves 1er degré » et la « Base nationale des identifiants des élèves » (BNIE). Il inflige à cette occasion une « leçon d’informatique et libertés » (AJDA 2010, p.1454, comm. M.-C. de Montecler) à ce ministère dans la gestion de ces fichiers très controversés, notamment par le Collectif national de résistance à Base élèves, et contesté devant le Conseil d’Etat par un parent d’élève, une ancienne directrice d’école, des syndicats et la Ligue des Droits de l’Homme. Ces fichiers avaient déjà donné lieu à de sévères critiques du Comité des droits de l’enfant des Nations unies qui avait « instamment » engagé la France « à prendre toutes les mesures voulues pour garantir que la collecte, le stockage et l’utilisation de données personnelles sensibles sont compatibles avec les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16 de la Convention » (Troisième et quatrième rapports périodiques sur la France, 22 juin 2009, CRC/C/FRA/CO/4, n°50 et s.). On notera par ailleurs que deux enseignants ont été démis de leurs fonctions de direction sur le motif de refus d’application de la « Base élèves » (voir le dossier de la LDH de Toulon).

  Au titre de la recevabilité, le Conseil d’Etat écarte certaines requêtes, pour défaut de qualité donnant intérêt à agir, dès lors que les décision attaquées sont, pour les enseignants ou directeurs d’école, de nature à porter atteinte ni à leurs droits statutaires ou à leur intérêts pécuniaires ni à leurs prérogatives et, pour d’autres requérants (notamment une directrice à la retraite) dès lors qu’il n’établissement pas exercer l’autorité parentale sur un enfant scolarisé dans un établissement du premier degré. Par ailleurs, même si la décision autorisant la création de la « Base élèves 1er degré » prise en 2004 a été abrogée par un arrêté du 20 octobre 2008, il y a lieu de statuer sur les requêtes tendant à leur abrogation dès lors que la décision initiale a été reprise à l’identique, à l’exception de certaines catégories de données, relatives notamment à l’enseignement des langues et cultures d’origine, et aux données médicales.

Sur la légalité, le Conseil d’Etat prononce 5 censures :

- La première censure porte, s’agissant de « Bases élèves 1er degré », sur la décision du ministre de créer, en violation de l’article 23 de la loi du 6 janvier 1978, le traitement « en tant qu’elle porte sur la période antérieure à la date de délivrance du récépissé par la C.N.I.L. le 1er mars 2006 », ainsi que le refus d’abroger cette décision. Il résulte de l’instruction que, sans être formalisée, cette décision de création a été prise « à compter de l’année 2004 » et que la base a commencé à être mise en œuvre « dès le début de l’année 2005 au plus tard ». Le prétendu caractère « expérimental » du fichier, invoqué par le ministre, ne saurait dispenser le ministère d’attendre la délivrance du récépissé dès lors que cette version « visait à recueillir des données qui ont fait par la suite l’objet de la collecte définitive dans la version postérieure du fichier » et ne pouvait donc « être considéré comme une expérimentation ». Quant à la BNIE, recensant, au niveau national, l’ensemble des « identifiants nationaux des élèves », numéros uniques attribués aux élèves lors de leur première inscription, la même censure est prononcée dans la mesure où elle a été mise en œuvre en 2006 alors que la CNIL en a accusé réception par récépissé délivré le 27 février 2007.

- La seconde censure porte sur l’arrêté du 20 octobre 2008 qui a modifié la « Base élèves » en excluant toute possibilité pour les personnes concernées de s’opposer à l’enregistrement de données personnelles en violation de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978. L’arrêté est donc illégal en tant qu’il interdit expressément la possibilité de s’opposer « pour des motifs légitimes » à cet enregistrement. En revanche pour la BNIE le moyen manque en fait car le droit d’opposition n’est pas expressément interdit par les décisions contestées même si la CNIL « ne peut sérieusement soutenir qu’il ne serait pas opposable aux informations contenues dans ce fichier au seul motif qu’il serait relatif à des élèves qui sont soumis par la loi à l’obligation scolaire ».

- La troisième censure « en tant que ne pas » de la « Base élèves » porte sur le fait que les données conservées dans ce traitement font l’objet, dès l’origine, « de rapprochements et mises en relations avec celles contenues dans d’autres fichiers ». Or le ministre n’a pas fait mention de cette « possibilité de mise en relation » dans sa déclaration à la C.N.I.L. en violation des articles 22, 25 et 26 de la loi du 6 janvier 1978. En revanche, pour la BNIE, l’interconnexion avait été mentionnée dans la déclaration.

- La quatrième censure, qui apparait la plus grave, porte sur la seule version du fichier « Base élèves » entre sa création en 2004 et l’arrêté de 2008. Il était prévu, pour les enfants inscrits en classe d’intégration scolaire (CLIS), des mentions sur le handicap ou la déficience des élèves permettant d’identifier « la nature de l’affection ou du handicap propre à l’élève concerné ». Or, il s’agit là d’une « donnée personnelle relative à la santé » qui ne peut, en vertu de l’article 8 de la loi de 1978 être recueillie qu’après autorisation de la CNIL. L’annulation de la décision est donc prononcée « en tant qu’il comporte de telles informations ». Pour la BNIE ces dispositions ont été respectées car si la base « permet de savoir que l’élève a été souffrant », elle « ne fournit, par elle-même aucun information sur la nature, la durée, ou la gravité de l’affection de l’élève, information qui ne peut être obtenu qu’en accédant à un autre fichier mettant en correspondance les codes et la dénomination de l’établissement, qui n’est que très rarement explicite quant à la nature des pathologies qu’il soigne ».

- La dernière censure porte sur la durée de conservation des données. Pour la « Base élèves », le Conseil d’Etat admet que n’est pas excessive une durée de 15 ans, « justifiée par la présence théorique maximale d’un élève » dans une scolarité de premier cycle du secondaire, au regard de la finalité la conservation (assurer la gestion des élèves scolarisés dans les écoles maternelles et primaires). En revanche, il censure, pour la BNIE, un délai total de conservation de… 35 ans. Même si la généralisation de l’utilisation de l’identifiant à l’enseignement secondaire et à l’enseignement supérieur « justifierait une durée de conservation égale à la durée du cycle complet d’étude d’un élève donné », le Conseil d’Etat estime que le ministre n’apporte  « aucun élément de justification de nature à faire regarder [ce] délai […] comme nécessaire aux finalités du traitement ».

Le Conseil d’Etat rejette par ailleurs les (très) nombreux autres moyens. Il estime notamment que « le recueil de telles informations qui vise à assurer une organisation de la réponse éducative aux situations individuelles des élèves » ne porte pas atteinte au principe d’égalité entre élèves ; qu’une violation de l’article 6 de CEDH du fait du recueil de données relatives à l’absentéisme ne peut utilement être soutenue ; que ces traitements ne portent pas au droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis. Enfin, à défaut de dépôt, par mémoire distinct, d’une QPC postérieurement au 1er mars 2010, la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 est irrecevable.

Enfin, s’agissant des demandes d’injonctions, le Conseil d’Etat relève qu’« en principe », l’exécution des décisions impliquerait l’effacement des données enregistrées dans « Base élèves » avant la délivrance d’un récépissé par la CNIL.  Mais, compte tenu du « bon fonctionnement du service public de l’enseignement » et des données dont le ministre a « spontanément [sic] décidé la suppression », il ne prononce d’injonction d’effacement que de la mention exacte de catégorie de classe d’intégration scolaire « dans un délai de 3 mois ». Pour la BNIE, et pour des motifs similaires, l’injonction porte sur la fixation, dans un délai de trois mois, d’une « durée de conservation légitime ».

Le ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, a pris acte avec « satisfaction » [resic] du rappel par le Conseil d’Etat de « l’importance » des fichiers de recensement des élèves du primaire, et assuré qu’il répondrait aux demandes d’adaptation (« Base élèves : une “victoire partielle” pour les plaignants », Le Monde.fr avec AFP, 19 juillet 2010).

Par ailleurs le Parquet de Paris a décidé de classer sans suite les plaintes des 2 103 parents concernant ces fichiers tout en adressant « un rappel à la loi » au service juridique du ministère (« Fichier d’élèves : 2000 plaintes de parents classées sans suite », Le Figaro, 16 juillet 2010). Le Collectif National de Résistance à Base Elèves (CNRBE) a annoncé son intention de poursuivre ces procédures.

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CE, 19 juillet 2010,  Vincent Fristot et Mireille Charpy (nos 317182 et 323441) [sur la « Base élèves]  et  (n°334014) [sur la BNIE]

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Actualités droits-libertés du 9 août 2010  par Serge SLAMA

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