La qualité de la distribution de l’électricité se détériore gravement en France depuis 10 ans. Les coupures sont de plus en plus longues, surtout dans les territoires ruraux, car la maintenance du réseau n’est plus une priorité. Sont en cause EDF bien sûr mais aussi l’Etat…
Avec son plan de relance, le gouvernement fait miroiter le très haut débit au monde rural. Celui-ci connaît certes l’adage (« les promesses n’engagent que ceux qui y croient »), mais surtout, il ne peut que constater la dégradation de la qualité du réseau électrique existant. C’est comme si on vous promettait d’entrer dans le XXIème siècle en vous privant des technologies du XIXème ! Faudrait-il envisager l’acquisition d’une dynamo de bicyclette pour faire tourner nos ordinateurs ? C’est un peu cela, l’attitude du gouvernement par rapport aux campagnes !
Reprenons dans le détail. Un rapport d’étape sur la qualité de la distribution d’électricité a été rendu public au mois de mars dernier. Sans faire trop de bruit, ce rapport lâche pourtant un certain nombre de bombes qui pourraient révolter la France rurale. Que disent ses auteurs, tous deux vice-présidents de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) ? « Les performances des réseaux se sont très sensiblement dégradées ». « Le temps moyen annuel de coupure des réseaux est actuellement de 1h30 pour le consommateur » avec de fortes variations selon les départements puisqu’il était « en 2008 de 35h31mn en Lozère pour seulement 20mn à Paris » ! Pour tous, ce « temps a augmenté de moitié ces dix dernières années. » Nous ne sommes donc pas surpris de retrouver nos deux départements ruraux, la Nièvre et le Jura, parmi les départements où les coupures sont les plus longues…
EDF et l’Etat pointé du doigt
Mais les auteurs ne font pas seulement la liste des dégradations, ils en pointent aussi sans détour les causes : cette « dégradation réside dans l’insuffisance des investissements d’ERDF » (filiale à 100% d’EDF) qui se détourne de sa mission de distribution depuis « l’ouverture à la concurrence de la fourniture d’électricité » qui a occasionné une « réduction excessive à la fois de la maintenance préventive et des investissements de modernisation du réseau ». En clair, EDF préfère investir ses fonds propres pour faire des acquisitions à l’étranger plutôt que dans les campagnes françaises ! Mais alors pourquoi conserver le « F » d’EDF ?
Enfin, les auteurs ne manquent pas de pointer également les errances de l’Etat qui préfère accompagner la stratégie financière d’EDF, dont il reste le principal actionnaire, plutôt que de défendre l’intérêt de nos communes. Il est vrai que les dirigeants de notre pays fréquentent plus Henri Proglio, le patron d’EDF, que les élus ruraux… L’Etat ne fait donc rien pour rappeler EDF à sa mission. Déjà le décret du 24 décembre 2007 fixait un niveau d’exigence minimale plus bas que les performances constatées cette même année. Si ce n’est pas de l’incitation à la régression, cela y ressemble… Mais mieux encore, tout récemment, les critères retenus par l’arrêté qualité, modifié le 25 février 2010, restent moins sévères que les dispositions contractuelles des cahiers des charges de concession ! Car même si EDF semble faire la loi en matière de distribution d’électricité, il ne faut jamais oublier que les lignes électriques appartiennent aux communes qui souvent en transfert la compétence à des syndicats intercommunaux. EDF n’est donc que le concessionnaire et doit l’entretien des réseaux concédés !
Maintenir l’égalité réelle entre les territoires
Il convient de rappeler aussi les valeurs qui ont présidé en 1946 à la mise en place du système électrique français : universalité de la desserte, péréquation tarifaire et égalité de traitement de tous les citoyens en matière de qualité de l’énergie distribuée. Ces principes ne sont peut-être plus très en cour chez nos élites politiques et financières mais nous, nous y tenons ! Et nous n’accepterons pas que ces principes républicains soient bafoués ! A cet égard, il est inacceptable, comme le prévoit ce fameux arrêté de février 2010, que soit mis en place un zonage du territoire en trois secteurs A, B et C où la qualité de la distribution varierait de manière décroissante. Par exemple dans la Nièvre, sur 312 communes, il y en aurait 12 en catégorie B et le reste en catégorie C… aucune en catégorie A ! C’est proprement scandaleux dans la mesure où cela remet en cause le principe d’égalité face au service public.
Derrière ces décisions qui peuvent à première vue paraître subalternes au regard d’autres inégalités criantes en matière de service public entre les villes et les campagnes, il y a un enjeu considérable pour le développement du monde rural. Qui voudrait devenir un consommateur de seconde zone ? Quel couple voudrait s’installer à la campagne et profiter du même niveau d’équipement qu’à la ville alors qu’on lui « promet » plus de 30h de coupure d’électricité chaque année (sans compter les coupures liés aux accidents et cela peut arriver avec des vents de…70 km/h seulement tant les lignes ne sont plus entretenues !) ? Quelles entreprises iront investir dans des secteurs où on ne peut pas leur garantir une certaine continuité du courant électrique ? Faudrait-il que les collectivités leur paye des groupes électrogènes, comme en disposent les missions humanitaires de secours dans les pays pauvres ?
Nous en appelons donc au gouvernement et en tout premier lieu à Michel Mercier, ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire, afin qu’il rappelle EDF à son devoir et au respect de ses engagements. Pour notre part, nous continuons notre combat pour un bouclier rural, afin de donner plus à ceux qui reçoivent de moins en moins et afin surtout de garantir une égalité réelle entre l’ensemble des citoyens français, quel que soit le territoire où ils vivent. Les dégradations alarmantes en matière de distribution de l’électricité que nous venons de rappeler le démontre, rien n’est définitivement acquis et nous devrons nous battre pour inverser cette pente mortifère qui voit les espaces urbains « larguer » les campagnes. Ce serait la fin de notre République.
Fabien BAZIN, conseiller général et maire de Lormes dans la Nièvre
Jean-Philippe HUELIN, militant socialiste dans le Jura
sont tous deux les promoteurs du « bouclier rural »
et Guy HOURCABIE, conseiller général de la Nièvre et vice-président délégué de la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR)