Magazine Société

Seattle

Publié le 15 août 2010 par Toulouseweb
SeattleLes ravitailleurs s’invitent dans la vie politique américaine

Ce n’est pas nouveau : achats d’armements et vie politique sont indissociables. S’y ajoutent, aujourd’hui, des considérations de patriotisme économique, l’ensemble pouvant ętre détonnant. Il se trouve, par ailleurs, que c’est en novembre que l’armée de l’Air américaine devrait choisir le ravitailleur en vol qui succčdera ŕ ses vénérables KC-135R. Or c’est également en novembre qu’auront lieu les élections sénatoriales américaines. D’oů une situation doublement détonante.

Les mœurs politiques américaines sont trčs différentes des traditions européennes et, de ce fait, un sérieux effort s’impose pour comprendre ce qui se passe actuellement outre-Atlantique. Et notamment dans l’Etat de Washington oů sont implantées les principales usines de Boeing. Nous voici donc ŕ l’affűt des moindres rebondissements qui émaillent le début de la campagne électorale de l’incontournable Patty Murray, lobbyiste-en-chef politique de Boeing, face ŕ ses deux challengers, Dino Rossi (notre illustration) et Clint Didier. Le résultat est étonnant, instructif, déroutant et, parfois, inquiétant.

Dans l’affaire des ravitailleurs, au plan technique, opérationnel et industriel, tout a déjŕ été dit. Le KC-767A, alias NextGen Tanker, s’annonce moins cher, parce que plus petit que son concurrent mais il est de conception ancienne. Le KC-45A, alias A330-200 militarisé, affiche de sérieux atouts, il est plus moderne, un peu trop grand et, de ce fait, sans doute un peu plus cher. EADS se présente, dans le cadre de ce troisičme épisode, sans partenaire américain attitré mais avec une belle brochette de grands fournisseurs de haut niveau. De plus, en cas de victoire, le KC-45A serait assemblé en Alabama, en męme temps que le cargo A330-200F civil.

Il n’y a lŕ rien de franchement nouveau par rapport aux épisodes antérieurs, si ce n’est que le volet politique de l’affrontement Boeing/EADS gagne en dureté. Et, du point de vue des politiques de l’Etat de Washington, l’enjeu est centré sur l’emploi ŕ Seattle et environs. A ce niveau-lŕ, le dossier est trčs complexe. En effet, Boeing est soutenu, encouragé, cajolé, mais sans toujours avoir localement bonne presse pour autant, notamment en raison de sa décision récente d’installer une deuxičme chaîne d’assemblage final du 787 en Caroline du Sud. Une trahison, pour beaucoup, sans que qui que ce soit veuille bien admettre qu’il s’agit tout ŕ la fois de bénéficier d’aides financičres bienvenues et sans doute d’une maničre de punir l’International Association of Machinists and Aerospace Workers, la toute puissante IAM. Cette derničre a en effet déclenché il y a deux ans une grčve longue et difficile qui a coűté cher ŕ Boeing. Le climat syndical, en revanche, est autrement plus détendu en Caroline du Sud.

Pour les élus de l’Etat de Washington, il n’est pas simple de défendre aveuglément et inconditionnellement un industriel qui fait une telle infidélité ŕ l’Etat qui l’a vu naître. Sans parler de grands partenariats avec l’étranger, notamment en Italie et au Japon, ou encore de l’installation d’un important bureau d’études ŕ Moscou, de grandes délocalisations. Mais, de toute maničre, promouvoir le KC-767A vaudra toujours mieux qu’un contrat de plus de 35 milliards de dollars confié ŕ EADS, groupe qui charrie aux Etats-Unis une image d’entreprise généreusement subventionnée, plus française qu’européenne, pire, Ťsocialisteť.

Patty Murray, sénatrice démocrate en quęte d’un quatričme mandat, se déchaîne avec d’autant plus d’acharnement contre les Européens qu’elle doit aussi contenir deux rivaux aux dents longues. Le premier, Dino Rossi, issu de l’immobilier, fait figure de Poulidor politique local mais monte dans les sondages. Il bénéficie notamment des encouragements de l’ineffable Sarah Palin, ex-colističre de John McCain. Cette derničre amuse beaucoup les Européens pour cause d’incompétence notoire mais, outre-Atlantique, elle est prise on ne peut plus au sérieux. Rossi nous promet des tirs de gros calibre et va se draper dans la dignité du preux chevalier défenseur de l’emploi, quitte se lancer dans une vraie surenchčre vis-ŕ-vis de Murray, la femme ŕ abattre. Il ne faut rien attendre de mieux du troisičme protagoniste, Clint Didier.

L’un de leurs amis politiques, Jay Inslee, membre du Congrčs, vient de résumer les ambitions des anti-EADS : Ťnous allons donner un carton rouge ŕ l’Europe au profit d’un ravitailleur frappé du drapeau américain et non pas d’un simple autocollant plaqué en Alabamať.

Que peuvent faire les Européens pour contrer une telle opposition ? La question reste sans réponse dans la mesure oů il ne leur suffit pas de présenter la meilleure offre pour espérer l’emporter. D’autant que les politiques U.S. n’hésitent jamais ŕ apporter leur soutien ŕ ce qu’ils estiment ętre de bonnes causes économiques. En cette matičre, ils sont pour la plupart compétents et témoignent d’une grande persévérance.

Personne ne les connaît de ce côté-ci de l’Atlantique, ce qui n’a gučre d’importance, si ce n’est la sous-estimation de leur rôle. Mais, bien sűr, les Américains ne connaissent pas davantage Bernard Carayon, député du Tarn, qui tente courageusement de sauver l’honneur des politiques français en dénonçant le nationalisme économique souvent mal placé des politiques américains. Pour qui pouvait encore en douter, il est évident que le délicat dossier des ravitailleurs en vol KC-X évolue désormais sur un terrain qui n’est plus tout ŕ fait militaire…


Pierre Sparaco-AeroMorning


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Toulouseweb 7297 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazine