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Abajo del Popo… suite mexicaine

Publié le 16 août 2010 par Ruminances

Posté par clomani le 16 août 2010

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Après le déjeuner chez Eduardo, à mon retour à l'hôtel, j'ai appelé Luz, la compañera qui s'occupait d'une association zapatiste à Tlaxcala. Une fois expliqués mes motivations et mon pessimisme concernant les expulsions d'étrangers des communautés du Chiapas… elle m'a répondu “viens et on verra ce qu'on peut faire pour toi”.  En bus, Tlaxcala est à trois heures du D.F. (lorsqu'ils parlent de la capitale, les Mexicains disent déèffé : Distrito Federal). Ce sont des bus climatisés, odeur de désodorisant chimique garantie, qui roulent rideaux fermés : il faut que les passagers puissent voir leur film de merde sur les écrans télés disposés dans le car. Je préférais observer les voyageurs du bus et regarder les paysages. Sur le chemin, le bus emprunte une route assez pentue, et la température baisse d'un coup : nous sommes sur un versant du Popocatepetl. Tlaxcala est la capitale de l'État de Tlaxcala, le plus petit du Mexique, disposé en gros à l'Ouest au pied du volcan. Ce qui distingue les indigènes (du Mexique) de nous, c'est qu'ils vivent en harmonie avec les divers éléments qui les entourent, au lieu de “se battre contre”. Ceux qui évoluent au pied ou sur les coteaux du Popo partagent leur vie avec le volcan, qu'ils soient paysans ou citadins des grandes villes alentour (Puebla et Tlaxcala). C'est un volcan de caractère, actif, tout pointu, planté à côté d'un autre, éteint celui-là, appelé l'Ixxacihuatl (ça se prononce Itzacihuatl). La légende veut que el Popo soit un ancien guerrier, fiancé à l'Ixxacihuatl. Au retour d'une longue guerre, il a trouvé sa fiancée, allongée et l'a crue endormie alors qu'elle était morte de chagrin. Les contours de l'Ixxacihuatl ont la forme d'une femme allongée langoureusement sur le côté. Ainsi le Popo est-il devenu le gardien du sommeil de sa fiancée. Si on la ou le dérange, il s'énerve ou se fâche, et lance des projectiles, crache le feu, émet des fumerolles.  Il est surveillé au jour le jour par une caméra et un organisme appelé CENAPRED. Les citoyens des alentours se voient régulièrement imposés des exercices d'évacuation. Des panneaux rappellent la marche et la route à suivre etc. Malgré ça, des villageois, même prévenus du danger après la dernière grosse éruption, sont retournés dans leurs maisons… Le Popo les connaît depuis des générations… il les préviendra s'il est en colère, en crachant. Moi, j'aime mieux voir un fiancé aux petits soins dans cette curieuse montagne à la forme d'un cône inversé.  Arrivée à Tlaxcala, j'ai été récupérée en VW par Luz et trois de ses compañeras de la CNUC : Conseil National Urbain et Paysan. De l'âge de Marcos, Luz, fille de médecin, avait fait ses études à l'UNAM (université de Mexico) et avait pris le chemin de la lutte syndicale, puis de la lutte politique pour finir par adopter la lutte zapatiste dès 94. Elle et son compagnon de l'époque ont fondé la CNUC en arrivant à Tlaxcala. Le but étant d'appliquer les principes zapatistes et de les faire connaître à un maximum de citoyens de l'état. En gros, et c'est très schématique, les principes zapatistes sont de faire en sorte de rétablir une justice sociale en rendant leur dignité aux indigènes et aux paysans, malmenés depuis des siècles par divers envahisseurs, le dernier étant les USA et la mondialisation via l'accord commercial (appelé ALENA) liant le Mexique aux deux grands frères du Nord, USA et Canada. Les commandants indigènes du Chiapas ont deux phrases clé : “rien pour nous-même, tout pour tout le monde” et “nous sommes et resterons les sans-visage” symbolisant qu'ils ne veulent pas être connus, ni reconnus, qu'ils refusent un quelconque pouvoir corrompu. Pour mieux comprendre cette volonté de “non pouvoir”, il faut lire les communiqués du Sub-Comandante Marcos. En communicant intelligent, il a mis sa plume et son humour à la disposition des indigènes. Il a vécu avec eux dans des conditions assez pénibles dans la Forêt Lacandone (Chiapas), il a su les écouter, comprendre leur vision du monde et se servir de cette parole indigène si simple et si poétique pour la transformer en lutte pacifiste et la faire passer au niveau national et international tout en ridiculisant les chefs d'état mexicains. Du coup, des milliers de militants internationaux se sont dirigés vers le Mexique et le Chiapas pour apporter leur soutien aux indigènes. Il y a eu des avancées, des reculs, le ballet n'est pas fini. Mais du coup d'autres luttes se sont réveillées en Amérique Latine comme les Sans Terre du Brésil, les Caseroleros d'Argentine etc. Après mon expérience à la CNUC, je dirais que le zapatisme tlaxcaltèque (où la configuration géopolitique est différente du Sud-Est du Chiapas, les hauts plateaux ayant servi de route à bien des envahisseurs, même aux troupes de Napoléon III) est un savant mélange inspiré d'un peu de marxisme, des luttes paysannes du XIXe siècle dont celle d'Emiliano Zapata (dont les indigènes disent qu'il n'est pas mort puisqu'ils entendent régulièrement son cheval hennir), et de cette parole néo-zapatiste née au Chiapas. Les buts de la CNUC étaient - côté paysannerie pauvre de l'aider à devenir moins dépendante des subsides des maires ou autres dignitaires de l'état (corrompus jusqu'à l'os), à fabriquer de l'engrais naturel,  d'aider les femmes à connaître leurs droits et à les revendiquer, de leur apprendre l'hygiène, le recyclage des ordures, l'élevage de lapins, plus résistants au froid que les poulets, comment soigner et donner les premiers soins (il y a un manque flagrant d'établissements hospitaliers), faire de la comptabilité. L'idée, au moment de mon atterrissage était d'acheter une voiture et la transformer en ambulance-tout terrain pour transporter les malades dans des centres de soins car non seulement ça coûte très cher, mais certains endroits sont inaccessibles aux véhicules normaux… - côté citadin : lutte avec les syndicats, enseignants (en grève lorsque j'étais là-bas) ou ouvriers. Toutes ces activités ainsi que les formations reposaient sur la solidarité. Les plus riches contribuant plus que les plus pauvres, mais tous participant aux luttes diverses et variées dans l'Etat. La plupart des responsables de la CNUC avaient déjà subi emprisonnements, coups et blessures etc. lors de mouvements dans les années précédentes. La police mexicaine ne plaisante jamais avec les manifestants. La CNUC rassemblait aussi tous les dons à destination des indigènes des communautés du Chiapas. Elle est composée de plusieurs commissions (géographiques pour la plupart car les distances sont souvent longues d'un bout à l'autre de l'état), mais aussi celle des Femmes et la Commission Hygiène et Santé. C'est donc là que j'ai fait mes “armes” d'ethnologue et que j'ai pu faire du tourisme engagé. Je vois maintenant, sur le lien ci-après, en anglais, que la CNUC s'est spécialisée dans ce genre d'activité. Pour résumer, la CNUC propose maintenant à des étudiants étrangers de venir participer à ses programmes de recherche. J'ai en lisant ça l'impression d'avoir été précurseur dans cette histoire et j'en suis ravie. J'ai beaucoup appris au contact des CNUCiens, intellectuels comme paysans. J'ai vécu et partagé leur travail, leurs combats, leurs peines et leurs joies pendant plus de 3 semaines. Je dirais même qu'en me frottant à eux, je suis devenue moins anxieuse et plus optimiste. J'ai beaucoup ri, j'ai manifesté un 8 mars avec les femmes, j'ai participé aux réunions, j'ai fait des discours, j'ai dansé, j'ai râlé bien sûr et je les ai fait rire avec mes certitudes. J'ai tellement aimé l'expérience qu'à chaque voyage au Mexique, j'allais séjourner quelques jours à Tlaxcala. Une fois, j'ai même raté le bus où était monté Marcos (avec Luz) lors d'un arrêt tlaxcaltèque au cours d'un “zapatour”… mais ce sera pour le prochain épisode.


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