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La petite prune de 15h

Publié le 17 août 2010 par Unpeudetao

Souvenir de journaliste : 
Pendant un mois, des journalistes de l'agglomération lyonnaise racontent sur LibéLyon un souvenir professionnel qui les a marqués. Aujourd'hui, Olivier Bertrand, journaliste à Libération :

J’avais prévu de raconter une autre histoire, peut-être un peu plus gaie, mais celle-ci est venue me (re)travailler ce matin au réveil. Elle s'est imposée en somme. C'était il y a cinq ou six ans. Un photographe m'avait présenté le livre bouleversant qu'il avait réalisé pour une association de prévention du suicide adolescent. Des photos de lettres et d'affaires laissés par des enfants ou de jeunes adultes qui s'étaient donné la mort. J'ai rencontré des parents de ces enfants, puis proposé à Libé de mener un travail plus long sur le sujet. . .

L'idée était d'essayer de comprendre comment on continue à vivre quand on vient de vivre le pire. Quel chemin l'on fait pour se relever, et comment on peut prévenir, ou du moins essayer de déceler les signes. Les premiers parents que j'ai rencontrés m'ont beaucoup aidé, parce qu'ils étaient convaincus qu'il fallait parler, expliquer. Leur fille, qui menait des études brillantes, s'était pendue un dimanche après-midi dans l'appenti du jardin. Après quelques rendez-vous, ils ont accepté d'organiser un dîner chez eux un dimanche soir, avec d'autres parents, tous concernés depuis plus ou moins longtemps. Sans doute pas le dîner le plus gai auquel j'ai participé, mais un moment très fort, très chaleureux, adulte, fraternel. Une mère à qui “ça” venait d'arriver n'a pas parlé de la soirée. Je suis rentré de Saint-Etienne assez sombre ce soir-là. Sur ma moto, je pensais beaucoup à mes propres enfants.

Puis j'ai rencontré un par un ces parents, pour parler plus longuement de ce qui leur était arrivé, de leur enfant disparu. Des années après, je garde un souvenir très intense de ces échanges. De cette mère qui m'expliquait comment la vie devient comme un disque rayé quand on cherche en boucle pourquoi, quelle raison, en remontant la vie pendant très longtemps. De cette femme paysanne, qui avait perdu un fils depuis peu, et voulait me faire comprendre avec précision la sensation d'amputation, lorsque l'on sort de cette phase d'hébétude qui protégeait de la douleur.

Ces rencontres étaient souvent oppressantes, jusqu'à ce soir chez une enseignante dont la fille s'était pendue un jour d'école au grenier, en laissant seulement ce mot : “je suis là-haut”. L'enfant avait choisi le jour anniversaire de sa mère. A ce moment de la soirée, je me suis excusé auprès de cette femme de lui faire remuer tout cela. Alors elle s'est arrêtée et m'a expliqué très simplemement que pour la plupart des parents que j'allais rencontrer, c'est une chance de pouvoir encore parler aussi longtemps de son enfant. En général, au bout de quelques mois, l'entourage, les collègues, expliquent qu'il faut passer à autre chose, comme si l'on pouvait…

Alors cela a été un peu plus facile de rencontrer Arlette, cette femme qui n'avait pas parlé lors du dîner. Son fils venait de se suicider d'un coup de fusil dans le ventre. Elle l'avait découvert en rentrant du travail. Cela faisait longtemps qu'il voulait en finir. La vie était trop violente pour lui, elle comprenait cela. Mais après sa mort, passée la période d'anesthésie, l'absence définitive de ce fils unique est devenue trop forte. Le soir, elle a refait la balade qu'il faisait tous les jours autour du paté de maison pour sortir le chien. Elle a interrogé un homme qui se souvenait du chien, pas du garçon qui tenait la laisse. Un autre soir, elle est allée dans un restaurant que son fils aimait bien, où il allait dîner seul : il était ami du patron.
Ce dernier l'a assise à la place de son fils et lui a servi à manger, puis il est venu s'asseoir avec elle et ils ont parlé de son fils.

Arlette parlait d'une voix douce en me racontant cela, avec un petit sourire qui ne la quittait guère. A un moment, il devait être 3 heures de l'après-midi, elle m'a demandé si je voulais une petite prune. A cette heure-là, d'ordinaire, je bois rarement des petites prunes. Mais j'ai dit oui bien-sûr. Et nous en avons même bu deux. Je suis reparti en fin d'après-midi. Je repense souvent à cette prune.

Olivier BERTRAND.

 Sur :
www.libelyon.fr

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Association PHARE, Association de prévention du mal-être et du suicide des jeunes (Prix d'un appel local) : 0 810 810 987

Fil Santés Jeunes : 32 24

Suicide Écoute : 01 45 39 40 00


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