Magazine Société

En route pour un baptême

Publié le 21 décembre 2007 par Jlhuss
[rediffusion pour cause d’anniversaire]

Le Couloir fut longtemps anonyme ; il a maintenant un nom !

Ce baptême tragique mérite une note.

M. est bien rouge, son embonpoint respectable. C’est un grand notable du département. Depuis trois générations, la famille envoie un de ses membres au conseil municipal du bourg et quand tout va bien au conseil général pour au moins trente ans.

Il souffre; il sent que la force « légendaire » et familiale, hésite. Il est en réanimation. Depuis quarante huit heures les appels téléphoniques interrogatifs sont réguliers, recoupés. Le questionnement se fait de plus en plus précis, par des interrogateurs charmants, très polis, mais anxieux, de plus en plus anxieux.

« Vous êtes certain, docteur, qu’il n’y a rien d’autre à faire » ? « Avez-vous tous les moyens nécessaires » ? « Un conseil extérieur serait-il souhaitable, envisageable » ?

La pression devient forte ; il n’y a pas d’ultimatum, mais une pression impalpable, diffuse, constante.

Lorsque vous sentez la confiance qui hésite, vous devez là rétablir, faire le geste qui libère : « voulez-vous, Madame, que j’adresse votre père à un grand spécialiste « parisien » ?

J’ai formulé la proposition, car je sais qu’elle l’attend. La pathologie dont souffre M. ne réclame pas d’avis particulier, le diagnostic est posé sans ambiguïté, le traitement adapté. Tout peut être fait ici. Certes le cas est sérieux, délicat, difficile, mais sans complexité particulière au dessus des possibilités locales. Il faut simplement lutter pied à pied, quart d’heure par quart d’heure. Je ne suis pas certain que le grand anonymat du « grand service parisien » sera profitable. Mais la demande « muette » était tellement criante, qu’il fallait proposer.

C’est l’hiver, quelques jours avant Noël. La proposition a été immédiatement acceptée ! L’interne qui effectuera le transport « médicalisé » chapitrée, le patient « conditionné ».
La famille est partie devant. Les routes sont encore sèches ; l’ambulance du SAMU démarre doucement vers Paris.

Dans le Couloir, un après-midi banal s’étire. C’est l’heure des plaies par ouvre-boîtes. Il fait nuit depuis un moment : solstice d’hiver. La sonnerie de la porte retentit cependant de plus en plus souvent : depuis deux heures il neige à gros flocons. Les fractures du poignet et les entorses franchissent d’un seul coup la barre statistique supérieure.

Tout à coup, la radio des Sapeurs Pompiers signale un accident grave sur la Nationale 6 : “une ambulance serait en cause!” Une équipe médicalisée part aussitôt et je décide de suivre avec ma voiture de liaison.

Silence sur les fréquences pompiers; ils ne sont pas encore arrivés sur les lieux. Un espèce de calme avant la tempête.

Enfin le … “Arrivons sur les lieux” suivi du silence de la reconnaissance. “Accident de la circulation-RN6-commune d’Epineau les Vosves-un véhicule en cause-deux victimes incarcérées-procédons à la désincarcération-secours suffisants” Le message est habituel, laconique, administratif. Quelques “crachouillis” sur la fréquence, puis une voix que je connais bien, celle d’un ancien Pompier d’Auxerre avec lequel j’ai beaucoup travaillé : “Prévenez le docteur Hussonnois, c’est l’ambulance du SAMU”

Je prends le combiné, m’annonce et demande : bilan faites moi le bilan… dans quel état sont les blessés…” Je demande une fois, deux fois… trois fois… Ils ne veulent pas me répondre; ils n’osent pas me répondre…

[L’horrible ligne droite du “destin”, d’autant plus du “destin” que 20 ans plus tard, au même endroi, notre collaborateur le Dr Hassan, y trouvera également la mort !]

J’arrive à mon tour sur les lieux. L’ambulance de “transfert” de retour de Paris est enroulée autour d’un arbre.Sur l’accotement une civière recouverte d’un bâche : c’est Gilles, un ami, le chauffeur ambulancier, pour lui c’est fini. A l’intérieur de l’ambulance des sapeurs pompiers, Marie-Christine, l’interne, dans un état critique. Je suis “foudroyé”; je fais les gestes qu’il faut, presque inconscient, par réflexe. Marie-Christine arrivera vivante à l’hôpital mais décédera plus tard dans la nuit, telles étaient graves les lésions.

Ce jour là, je me demande s’il ne faut pas renoncer à ces drames sanglants pour reprendre la route d’une vocation campagnarde.
Les parents de Marie-Christine possédaient une petite maison non loin d’Auxerre, à Neuilly, dans le canton d’Aillant sur Tholon, presque à portée de voix de « l’arbre du destin » C’est dans le petit cimetière de ce village qu’elle repose. A portée de voix !

Les obsèques se sont déroulés dans une atmosphère épouvantable. Tout le village est là : il aimait beaucoup Marie-Christine. Le Professeur Cara, responsable du SAMU de Paris a tenu à venir avec une délégation de médecins de SAMU ; les sapeurs pompiers en grand nombre, les internes, les médecins de l’hôpital, le député Jean-pierre Soisson, et la foule des inconnus, émue, silencieuse.

Marie-Christine et Gilles étaient encore loin des 30 années. Tous les deux avaient la foi dans leur métier. Ils étaient tous les deux la fierté de leurs parents. Ils ont rencontré tous les deux le même arbre ; tous les deux ! Tous les deux !

Pour les responsables syndicaux, les membres du conseil d’administration de l’hôpital, les « administrateurs », ceux qui discutent en faisant semblant de comprendre, il y avait une différence. Pour eux : « Pas tous les deux ! »

J’avais demandé à ce conseil d’administration, l’apposition d’une plaque de « mémoire » à l’entrée du Couloir, unissant sur le même marbre ces deux enfants de la même passion, de la même mission, de la même mort.

Il n’en est rien. Ceux qui discutent en ont décidé autrement : Ils n’ont pas voulu confondre l’interne, employée du service public et l’ambulancier privé à la solde de l’établissement !

Pour eux : l’une remplissait une “mission”, va pour le marbre ; l’autre rentabilisait un outil privé, son ambulance, va pour l’oubli !

Je suis encore choqué, plein d’amertume. J’ai touché ce jour là le sectarisme le plus débile.

A cause de ce sectarisme, le Couloir ne porte qu’un seul Nom!

La plaque a d’ailleurs aujourd’hui disparue à la “faveur” de travaux d’aménagement; mais il paraît que l’administration se préoccupe de la faire refixer? Peut-être, plus de trente ans après, le nom de Gilles pourrait-il être associé? Une simple “gravure” supplémentaire…

<>éé<><><><><&><><><><ê><><><>éé<><><><><ê><><>

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jlhuss 148 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine