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Beveridge aimerait mais Bismarck ne veut pas. Par A.B. Galiani.

Publié le 17 août 2010 par Cabinetal

Beveridge.jpg Dans un récent billet, j’expliquais que la taxation du capital ne pouvait être la panacée pour régler les déficits publics. Une des raisons tient dans le fait que les prélèvements obligatoires se composent de 2 éléments clairement distincts : les impôts, dus par tous, et les cotisations sociales, qui sont (en principe) des assurances et donc ne doivent être payés que par les assurés, c'est-à-dire par ceux qui bénéficient des prestations. Il existe en Europe 2 conceptions dominantes de la protection sociale. Celle qu’a retenue la France conduit à rendre difficile l’imposition du capital pour les retraites. Même si les régimes spéciaux de retraites démontrent qu’entre les principes et la réalité, il peut exister une marge !

Comment organiser la protection sociale, dont l’objectif est d’offrir une assurance contre les aléas de la vie : vieillesse, maladie, chômage … ? Colbert en 1760 est déjà confronté à la question, qui crée « l’Etablissement national de la marine » chargé de s’occuper des vieux marins. En 1853, ce sont les pensions des fonctionnaires qui apparaissent … Et en 1945 : la généralisation en France de la « sécurité sociale ». Cette « sécurité sociale » a 2 inventeurs : Bismarck – celui de la « guerre de 70 » - et l’anglais Beveridge. Bismarck institutionnalise dans son pays une assurance maladie et vieillesse obligatoire dès 1883. Elle repose sur une base professionnelle, c'est-à-dire que les droits sont ouverts dès que le bénéficiaire dispose d’un emploi. C’est une différence majeure avec l’idée présentée pendant la Deuxième Guerre Mondiale par Lord Beveridge, qui conçoit une protection sociale généralisée à tous – sans lien avec la profession – et financée par l’impôt.

Le système français est en 1945 franchement « bismarckien ». Il faut avoir un emploi pour bénéficier de la protection sociale. Il est même tellement assis sur la distinction professionnelle qu’on aura plusieurs systèmes de sécurité sociale qui coexistent toujours : à coté de la « Caisse d’Assurance maladie », on a la « Mutualité Sociale Agricole », sans compter le régime particulier des cheminots … Ceci dit, cette organisation s’est depuis profondément « beveridgée » (qu’on me pardonne ce néologisme …) et tous les Français ou presque bénéficient de la Sécurité Sociale. Caractéristique d’un système bismarckien : « pas de cotisation, pas de droits ». C’est pour cette raison que les revenus du capital ne sont pas imposés en France, puisque seul le travail ouvre des droits. Ceci dit, aujourd’hui, l’ensemble de la population – ou quasiment – bénéficie de la « sécu » pour la santé ; il est alors parfaitement concevable de taxer les revenus du capital, ce qui reviendrait à fiscaliser les cotisations sociales (c'est-à-dire les percevoir par l’impôt). Ceci dit, c’est déjà un peu le cas : les revenus du capital subissent des prélèvements au titre du remboursement de la dette sociale (qui sont des dépenses de sécurité sociale financées par emprunt), ou du moins une partie d’entre eux. En effet, pour exemple, les intérêts du livret A – qui sont des revenus du capital – en sont (pour le moment ?) exonérés. En revanche, les systèmes de retraites français sont restés profondément bismarckiens. La retraite n’est acquise que par les cotisations prélevées à l’occasion de l’exercice d’une profession. Et c’est bien pourquoi il n’est guère concevable de faire payer le capital, sauf à admettre l’acquisition de nouveaux droits de retraites par ceux ainsi taxés.

Quel est le dispositif le plus efficace ? Il est évident que le système bismarckien présente des « trous dans la raquette » et c’est d’ailleurs cette lacune qui a conduit l’évolution sensible de l’assurance maladie en France. Il reste que le dispositif anglais s’est montré au final que moyennement efficace. En effet, la Grande Bretagne a créé en 1946 un « National Health Service », qui bénéficie du monopole de la gratuité de la santé. Et c’est bien là, le souci ! Qui dit « monopole » dit « faible régulation » (la régulation étant la capacité à rectifier les dysfonctionnements). Cette médecine publique a provoqué de solides dérapages : longueurs des délais pour les soins, pas de choix du praticien, explosion des coûts … On a vu ainsi apparaitre en parallèle une médecine privée, financée par des assurances privées. Bref, le choix d’une « santé fonctionnarisée », reposant sur le dogme contestable d’un « service public spontanément au service de l’intérêt général » a abouti à une « médecine à 2 vitesses ». Ceci dit, plus que les choix de principes, ce sont les déclinaisons qui, reflétant les philosophies dominantes, menacent la protection sociale. La France est en un exemple. Le malthusianisme transparait au travers la quasi absence d’évolution des systèmes de retraite qui n’ont pas évolué comme la démographie et l’état sanitaire de la population. En passant d’une logique d’assurance à une logique de rente, ils sont devenus une charge croissante – et surtout de plus en plus lourde - sans contrepartie, c'est-à-dire, sans création de richesse pour la collectivité. Dans un pays où les prélèvements sont déjà parmi les plus elevés du monde, l’accroissement de la dette publique a pu être un moyen depuis 35 ans d’en contenir les conséquences sociales. A l’heure où on découvre que les Etats sont faillibles, des choix sont donc à faire : l’absence de performance du secteur public et de reforme profonde des retraites se fera (et a déjà commencé de se faire) en sacrifiant l’avenir : moindres remboursements de santé, moindres investissements, physiques ou intellectuels (les étudiants se verront bientôt restreints sur l’APL) et générations à venir saignées à blanc ! A terme, c’est l’avenir même de la protection sociale qui est posé. Dernière question : les régimes spéciaux de retraite sont ils d’inspiration bismarckienne ? Certes, ils ressemblent à des régimes par répartition attachés à l’exercice d’une profession. Cependant comparons leurs coûts : pour les retraites, les charges dites « patronales » du régime général sont de 15 % ; celles du régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers sont de plus de 27 %, celles des fonctionnaires d’Etat, de 50 % et même de 100 % pour les pensions militaires ! Bref ! De tels montants démontrent que dans la réalité, les régimes spéciaux sont financés par les contribuables, lesquels vont en faire la douloureuse expérience dans les années à venir : les très forts départs en retraites dans les fonctions publiques hospitalières et surtout territoriales vont se traduire une augmentation notable des charges « patronales » donc des cotisations sociales et des impôts locaux. Ceux qui financent les régimes spéciaux – les contribuables – ne sont donc pas ceux qui en bénéficient ! Les régimes spéciaux ne sont donc ni bismarckien ni a fortiori beveridgien, mais relèvent bien plutôt à la fois d’une permanence historique, en décalage avec la réalité économique et sociale d’aujourd’hui, et pour les monopoles ou ce qui en fut, d’un usage d’une position dominante, sans régulation. Face à de moindres possibilités de recours à la dette publique, la collectivité va désormais constater une relation entre le coût des retraites et un niveau de vie se stagnant, voire se réduisant. En fait, ce qui menace véritablement l’avenir de la protection sociale, c’est l’avidité.

A.B. Galiani


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