Elsa Triolet écrivait : « J’ai appris que pour être prophète, il suffisait d’être pessimiste. » Une bonne nouvelle pour les Français ! Réputés pour être arrogants et râleurs, mais aussi idéalistes ou séducteurs, les Français semblent également être devenus un peuple pessimiste. Ce trait de personnalité plonge profondément ses racines, bien au-delà des difficultés rencontrées actuellement par notre pays.
Une crise qui a bon dos
En ce mois d’avril 2010, 81% des Français estiment que la situation économique de la France est mauvaise. Compte tenu de l’actualité peu réjouissante, cette inquiétude apparaît somme toute justifiée. Néanmoins, une analyse plus approfondie permet de déceler que la crise économique est loin d’expliquer à elle seule le climat qui règne dans l’Hexagone depuis de nombreuses années .
Tout d’abord, les Français, si enclins à se lamenter sur le sort de leur pays, se montrent beaucoup plus optimistes sur leur situation personnelle, c’est-à-dire sur ce qu’ils connaissent et maîtrisent le mieux. Ainsi, en pleine période de crise, alors que les revendications en matière de pouvoir d’achat sont loin de s’être évaporées, 57% estiment paradoxalement que leur situation financière personnelle est bonne.
Ensuite, ce pessimisme sur la situation économique n’est absolument pas né avec l’entrée de la France en récession économique. Selon BVA, un regard négatif était déjà porté sur l’état du pays avant août 2008, soit avant la crise des subprime et la retentissante faillite de Lehman Brother. Les Français étaient déjà 72 % en février 2008 et 59% en décembre 2006 à se montrer moins confiants sur l’avenir de la situation économique. L’élection de Nicolas Sarkozy et les premiers mois de sa présidence avait certes constitué une parenthèse de quasi-euphorie, enregistrée par tous les indicateurs de mesure du moral des Français. Mais une fois l’espoir déçu, le pays a replongé dans son apathie.
Un défaitisme franco-français
Enfin, les Français semblent sensiblement plus pessimistes que les autres peuples, si l’on en croit le Financial Times, qui a publié une étude croisée à la fin de l’année 2009 auprès d’Allemands, d’Américains, d’Italiens, d’Espagnols et de Britanniques. Sur l’ensemble des réponses, les Français se montrent les plus inquiets : dégradation du niveau de vie depuis 10 ans, sentiment que l’Etat fera moins pour eux d’un point de vue financier, etc. Et globalement, seuls 21% des Hexagonaux se disent optimistes contre 41% des Espagnols ou 43% des Américains. Pourtant, les indicateurs économiques démontraient que la France supportait mieux la crise que les autres pays comparés. Sa dette publique, même considérable, n’a pas atteint celle du Royaume-Uni. Son chômage a moins cru qu’aux États-Unis. Sa croissance n’a pas autant plongé qu’en Allemagne. Nicolas Sarkozy fustigeait alors les médias, qui, à toujours montrer le verre à moitié vide, sans jamais dresser de parallèles avec les autres pays, porteraient une responsabilité dans cette sinistrose ambiante.
Vers une régression généralisée ?
Cette morosité ne se cantonne pas aux seuls aspects socioéconomiques. Dans une étude TNS Sofres sur la relation des Français avec les valeurs de la devise républicaine, il apparait notamment que 55% des Français estiment que les gens sont de moins en moins libres dans notre pays depuis une dizaine d’années (contre seulement 13% pensant qu’ils sont de plus en plus libres).
Le sentiment d’une régression inéluctable est global. Ainsi, 73% des Français pensent que les jeunes aujourd’hui auront moins de chances de réussir que leurs parents. Des parents qui ont pourtant eux aussi connu de réelles difficultés, notamment économiques et sociales, depuis les années 1970. Ce constat alarmant révèle de multiples craintes : le déclassement social, les périls environnementaux, le chômage, l’individualisme, etc…
La fin de la croyance dans le politique
Non seulement les idéologies, porteuses d’espoirs, sont tombées dans l’abîme, mais les gouvernants, les représentants d’un potentiel changement, ne rencontrent plus de soutien populaire. 3 Français sur 4 ne font plus confiance dans leurs hommes politiques selon Obea/Infraforces. Les taux de participation exceptionnels à l’occasion du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 (qui portait pourtant sur des aspects institutionnels et juridiques assez techniques) et celui de l’élection présidentielle de 2007 ont vite été effacés par ceux des derniers scrutins et par l’impopularité manifeste du président de la République. Le formidable retour de la croyance en l’action politique n’aura été qu’un feu de paille, brisé dans son élan. Ségolène Royal résumait le phénomène : « le choc de confiance promis a laissé place à un choc de défiance. »
De l’âge d’or à l’âge de fer
Il semble également que la France ne se soit toujours pas remise de la fin des 30 Glorieuses. Le souvenir de cette période confortable, révolue depuis près de quatre décennies, nous hante toujours avec nostalgie. Cette parenthèse exceptionnelle, avec 5% de croissance annuelle à la clé, ne constituait pourtant, selon les économistes, qu’un rattrapage des États-Unis. Notre médiocre croissance depuis les années 1970 correspond davantage aux standards.
Cette performance économique nous consolait en quelque sorte de notre déclassement mondial, consécutif à la succession de défaites depuis deux siècles : le double effondrement de l’empire napoléonien, la guerre de 1870, la débâcle de 1940 et les guerres coloniales. La victoire de 1918, si douloureusement arrachée à l’ennemi et celle de 1945, où la France a joué un rôle plus secondaire, n’ont que partiellement redoré le blason. Ce lourd passif imprègne dans les esprits un constat sans cesse rappelé par les « élites » mondialisées : la France compte désormais pour quantité négligeable dans le monde. Cela expliquerait le fossé entre la perception si négative de la situation du pays et celle, plutôt optimiste, de sa situation personnelle.
Un peuple pourtant heureux
La noirceur du tableau dressé ne doit pas occulter le vitalité française révélée par son taux de natalité français, sensiblement plus élevé que dans les autres pays européens (Irlande exceptée). Par ailleurs, le pessimisme des Français ne les rend pas pour autant dépressifs. Bien au contraire, une immense majorité d’entre eux (91%) se déclarent ainsi très ou assez heureux. Des données qui rendent déjà plus optimistes.