
Déguisement "Bab Al-Hara"
Lieu commun obligé des conversations en cette période de l’année (ainsi que de ces chroniques !), la mosaïque des feuilletons de ramadan dessine une image sans doute assez fidèle des sociétés arabes. Bien sûr, certaines séries reviennent année après année. Pour la cinquième année consécutive, Bâb al-hâra (La porte du quartier : voir ce billet), ce récit haut en couleurs d’un quartier populaire de Damas vers la fin des années 1920, rencontre toujours auprès du public arabe le même succès, où se mêlent nostalgie du temps passé et fierté nationale. Pour preuve, cette entreprise palestinienne de chicklets qui a imaginé doper ses ventes en distribuant avec les bonbons de faux-billets de 20 shekels (article en arabe, comme les autres liens qui suivent ) à l’image des héros de la série (et non pas des héros du sionisme, sur les billets israéliens en usage dans les territoires palestiniens) !
Toutefois, la palme de la longévité revient sans conteste à Tâsh mâ tâsh (voir ces billet : 1 et 2), une série comique saoudienne que certains pensaient en voie d’essoufflement mais qui revient pour la 17e fois cette année avec des scénarios plus fracassants que jamais ! La série a commencé assez fort avec un épisode racontant les déboires d’un riche immigré syrien devenu saoudien : il perd son autorisation professionnelle en tant qu’étranger, sa villa que le propriétaire ne veut plus louer à un « local », son droit de mettre ses enfants à la bonne école pour étrangers, sa voiture de service, son salaire, pour finir « gardien de sécurité » dans l’ancienne société où il occupait un poste de direction !
Autre manière de mettre le doigt là où cela fait mal dans la société saoudienne, la visite de jeunes Saoudiens au Liban où ils rencontrent leur oncle maternel… un curé maronite auquel ils commencent par offrir un Coran histoire de l’aider à se convertir ! (L’épisode se termine de manière très consensuelle… article.) L’histoire le plus explosive (pour l’instant, car la série finit avec ramadan) restera tout de même celle où les scénaristes ont imaginé d’illustrer les thèses de la journaliste Nadine al-Bedair, suggérant d’étendre le droit à la polygamie aux femmes (voir ce billet). On voyait donc ainsi trois maris accueillir assez fraîchement le petit nouveau ramené à la maison par une maîtresse femme assez peu portée au dialogue ! (Un moment sur YouTube, la vidéo a été retirée par la MBC, propriétaire des droits.)
Souvent sur le mode comique – comme dans cette autre comédie saoudienne (article) qui traite de la question extrêmement sensible des « mariages d’enfants » : voir ce billet), mais également de façon plus grave (voir ces exemples signalés dans cette chronique déjà ancienne), la question féminine est très présente. Le fait que les téléspectatrices sont très nombreuses devant le petit écran est en soi un élément d’explication mais cet article dans Al-Hayat suggère une autre raison, intéressante à noter, à savoir le fait que de plus en plus de femmes travaillent comme scénaristes, un métier aussi prestigieux que lucratif (les meilleurs manuscrits se paient en dizaines de milliers de dollars : voir ce billet).

Parmi bien d’autres protestations – celle du Hamas contre le feuilleton Watan ‘a watar (évoqué l’année dernière) accusé d’attiser les divisions au sein du peuple palestinien ou, beaucoup plus drôle, celle du syndicat des infirmiers agacé par l’image donnée à leur profession dans Zahra et ses quatre maris (encore une fois la polyandrie !) –, la « grosse » affaire de l’année se sera déroulée en Syrie. En cause, un feuilleton qui a pour titre une partie du 3e verset de la 4e sourate (Les Femmes) : Ma malakat aymanukum (… ما ملكت أيمنكم, mot-à-mot, « ce que votre main droite possède »), où il est question en fait de captives de guerre dont la « consommation » est ainsi légitimée par la Révélation.
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Mais ce billet est déjà trop long et les images pieuses promises la dernière fois ne sont toujours pas abordées… Pour me faire pardonner, à voir et à écouter la brômô qui a fait scandale en Syrie, celle de « Ma malakat aymanukum »¸ avec la voix du Syrien George (sans « s ») Wassouf, rien que ça !
A suivre !