Voici un extrait d'un article publié dans la revue "Pour la science". Je trouve la réflexion pertinente, l'étendue hallucinante du choix (dans les magasins par exemple) devient épuisante, l'époque souffre du trop. Je rêve par exemple d'épiceries de proximité avec un choix réduit de produits pour des courses simples et ultra-rapides.
L'accélération des rythmes de vie, l'excès de stimulations et la
pléthore de biens de consommation créent une situation qui n'est plus
adaptée aux besoins psychiques humains fondamentaux.
Christophe André
Peu de temps, beaucoup d'images, trop de nourriture : triptyque
dépouillé d'une époque tourmentée. Nous courons constamment après
quelque chose, un bus, un métro, des enfants à chercher à l'école, un
rendez-vous professionnel. Nous sommes surchargés de communications, de
sms, d'images télévisuelles, d'incitations à consommer. Et nous sommes
pris dans les affres de choix cornéliens : céréales bio ou barres
énergétiques ? Abonnement tout compris, ou forfait 150 heures ? La forêt
des possibles dans les rayons des supermarchés a remplacé celle de nos
ancêtres.
C'est la pollution sociale. Autre forme de pollution, loin du co2, de la
dioxine ou de l'uranium enrichi. La pollution sociale, celle qui est
sécrétée par notre environnement humain, est bien plus difficile à
identifier que les pollutions physiques ou chimiques. Pourtant, ses
effets commencent à être étudiés. Les sociétés consuméristes et
matérialistes sont caractérisées par des environnements pléthoriques,
des pressions massives exercées sur les capacités attentionnelles et
décisionnelles des citoyens. Or l'étendue du choix n'est pas synonyme de
bien-être. Des expériences l'ont montré : le fait de devoir choisir,
sur un linéaire de supermarché, entre 20 marques de moutardes ou 30
sortes de dentifrices entraîne tension psychique et épuisement des
ressources cognitives (notre esprit sera moins performant durant la
période qui suit).
« Plus de choix, plus de stress » : là encore, la profusion est une
agression. On a montré que la recherche systématique du meilleur choix,
du meilleur prix, dans les différentes situations de vie quotidienne,
est bien plus coûteuse émotionnellement que l'attitude consistant à
s'arrêter au premier choix acceptable que l'on rencontre, afin de
préserver ses ressources cognitives pour ce qui compte vraiment dans la
vie…
De façon plus insidieuse encore, les « vols d'attention » et les
interruptions constantes de nos processus de pensée causent aussi des
dégâts. Dans la rue, le regard est sans cesse sollicité par des signaux
publicitaires, de même lorsque nous lisons, regardons la télévision,
surfons sur Internet. Dans la journée, ce sont les appels sur les
téléphones fixes ou portables, les mails ou sms ; quand ce n'est pas
nous qui, au moindre temps mort, sommes tentés de téléphoner, de
vérifier notre messagerie. À la télévision ou au cinéma, le nombre de
plans à la minute s'est notablement accéléré depuis quelques années :
montrer de plus en plus de choses aussi vite que possible.
Un manque de recueillement
Ces interruptions fréquentes ont un coût sur notre équilibre émotionnel
et nos capacités attentionnelles. Sans parler de l'accumulation
d'excitation que représentent ces environnements très riches en
sollicitations, tentations et incitations, auxquelles nous ne pouvons
jamais répondre en totalité. Achats compulsifs, boulimie, troubles
attentionnels et autres troubles des impulsions sont des conséquences
possibles de ces déstabilisations incessantes.
L'alarme avait été lancée par les poètes il y a déjà longtemps. Mais on n'écoute jamais les poètes… Stefan Zweig parlait des « conditions nouvelles de notre existence, qui arrachent les hommes à tout recueillement et les jettent hors d'eux-mêmes, comme un incendie de forêt chasse les animaux de leurs profondes retraites ». Le poète et philosophe américain Henry David Thoreau (1817-1862), qui partit vivre un an dans les bois à Walden dans le Massachusetts, précisait : « Je pense que notre esprit peut être sans cesse profané par le fait d'assister régulièrement à des choses triviales, de sorte que toutes nos pensées seront teintées de vulgarité. » Et Nietzsche de conclure : « Toutes les institutions humaines ne sont-elles pas destinées à empêcher les hommes de sentir leur vie à cause de la dispersion constante de leurs pensées ? » Qu'auraient-ils dit de notre époque ? Sans doute ce que notait Cioran dans son Journal : « Le cauchemar de l'opulence. Accumulation fantastique de tout. Une abondance qui inspire la nausée… »
En résumé: consommer rend con. Qu'on se le dise... Prenez vos i-phone et répandez la bonne nouvelle !