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La vieille Dame du Toggenburg

Par Chroniqueur
La vieille Dame du Toggenburg

Pour Michael, Vreni, David et Ariane
La vieille Dame du Toggenburg est partie, discrètement, avec le sourire, tandis qu’un beau soleil inondait la vallée. Elle a dit:
- Ne soyez pas triste. Je monte le rejoindre.
Et elle s’est endormie, tout doucement. Elle est allée le retrouver, comme tous les jours de sa vie d'avant, où il était allé se coucher avant elle, après une dure journée de labeur, alors qu'elle s'affairait encore dans la cuisine. Puis regardant la pendule, elle se disait:
- Il est tard.
Qu'on ne s'y trompe pas. Elle est partout dans les montagnes, les arbres et le chant des oiseaux, et le coeur des gens qui l'ont aimée. Les êtres qui ont été si chers tissent un fil d'or dans nos vies qui continuent à briller, malgré l'absence. Nous les sentons palpiter en nous et alors on se redresse, on veut se tenir droit, pour être digne de ce cadeau qu'ils nous ont fait. Nous ne pouvons plus nous dérober comme on le faisait avant en se disant qu’ils n’en sauraient rien. Ils savent. Ils nous soutiennent à travers le rayonnement de leur présence intime. Parfois, on regrettera tout ce qu’on aurait voulu encore leur dire. Mais ils savent. Ils l’ont toujours su, parce qu’ils nous portaient tout contre eux, comme un trésor, et que quelques mots de plus n’y auraient rien changé. Les mots, ce sont des petits bouts de soi qu’on assemble, mais eux, c’est tout ce que nous sommes qu’ils aimaient, bien plus que les histoires qu’on pouvait bien leur raconter. Ils veillent sur le meilleur de nous, et tout ce qu’ils souhaitent, c’est que nous allions bien, c’est-à-dire que nous soyons heureux, comme lorsqu’ils nous demandaient au téléphone:
- Et toi, comment vas-tu?
Et quand ça n’allait pas, on leur bredouillait quelque chose, pour ne pas les inquiéter, mais ils n’étaient pas dupes. Maintenant ils ne nous appelleront plus jamais, ils n’en ont plus besoin. Ils communiquent avec nous en ligne directe, par des voies autrement plus sophistiquées. Et ils nous aideront à travers notre mémoire vivante - qui est bien autre chose qu’un garde-meuble - à aller vers nous-mêmes. Dans les moments importants, ils viendront murmurer que, par là, peut-être, notre vie s’épanouira mieux.
Tu vois, tu me parlais d’elle que je n’ai jamais connu, et que je ne connaîtrai jamais, et pourtant, à travers tout ce que tu m’en as dit, tu m’as offert de la rencontrer par la tendresse et l’énergie qui se dégageaient de tes paroles, de tes souvenirs. Et aussi à travers quelques biscuits dont je me souviens encore, et qui venaient de ce là-bas où se trouvent tant de toi - ta grand-maman, pour moi, est faite de saveur et de mots. La grande pendule s’est arrêtée, mais tu sais bien que le temps du dedans est bien différent, qu’une parole, une émotion ou un souvenir continue à croître au long des heures et des jours, selon des lois qui nous échappent. Et j’espère que tu continueras à fêter généreusement avec moi les moissons à venir, mûres et dorées comme des petits pains chauds.
Quand on a connu des êtres pareils, on n’a plus besoin d’héroïnes de pacotilles! Tu as eu la chance d’être conscient d’avoir une étoile dans ton royaume, qui brillait fort et qui n’a fait en somme que s’élever un peu plus dans le ciel. Elle était ta grand-mère, grande d’avoir été là à tes côtés, pour toi qui seras toujours son petit-fils. Et aujourd’hui, elle a grandi encore un peu plus. Je comprendrais que la semaine prochaine tu sois perplexe quand tu iras poser quelques fleurs sur sa tombe où, paraît-il, elle sommeille. Parce que rien ne tombe jamais dans l’ordre du coeur, ni ne disparaît.
Elle est partie briller un peu plus loin, la vieille Dame du Toggenburg, un peu plus loin, pour que vous puissiez mieux la voir et ne jamais l’oublier. Elle veille, et elle n’est pas seule puisqu’elle l’a rejoint. Et quand il neigera, cet hiver, vous ne vous y tromperez pas. Vous saurez, en voyant ces flocons de farine, qu’il s’est levé de bonne heure, le boulanger du Ciel. Elle lui aura préparé un café et lui aura dit:
- Mais tu ne veux donc jamais t’arrêter?
Et lui de répondre:
- Mais tu sais bien qu’on doit nourrir tout notre petit monde.
Oui, une grand-maman, un grand-papa, n’en finissent pas de prendre bon soin de nous et de nous restaurer de tout ce qu’ils continuent à nous offrir.
Photo - David Gyr

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