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Pourquoi faudrait-il être fier d’être Français ?

Publié le 23 août 2010 par Vogelsong @Vogelsong

“Que sommes-nous devenus, pour accepter d’être réduit à une nationalité” S. Tissot – P. Tevanian – Les mots sont importants – 2010

Au lieu de faire avec, de s’en accommoder du mieux possible, on y transfère ses affects. La Nation, ou l’idée que l’on doit s’en faire constitue un fonds de commerce lucratif. Faute de trouver une issue aux problèmes de société, l’idée que la France se fait d’elle-même occupe les esprits. L’évocation du projet commun post révolutionnaire sent la nostalgie, mais surtout le réchauffé. Par les temps qui courent, la fierté nationale tient lieu de retranchement. Derrière lequel se cantonnent incompétents, dealers de haines, spin doctors du désastre. L’étape ultime du délitement politico-marketing fut la célèbre rodomontade en forme chantage affectif “la France tu l’aimes ou tu la quittes”.

Français, une providence ?

Pourquoi faudrait-il être fier d’être Français ?

Être Français relève souvent d’un malencontreux hasard. Nombreux sont ceux qui vocifèrent leur “fierté d’être Français”. Vainqueurs bien malgré eux à la loterie de l’existence, ils n’y sont pas pour grand-chose. Un retournement de fortune, une autre destinée aurait pu plonger le plastronnant hexagonal dans la peau d’un inuit, le pagne d’un Papou. Que l’on soit fier d’une œuvre accomplie, d’un acte quel qu’il soit peut sembler normal. Doit-on légitimement se glorifier d’une chose dont on n’est absolument pas responsable ? En tout état de cause, on peut louer la providence d’être ici et pas là, se réjouir d’une situation donnée, mais l’arrogance de l’appartenance nationale…

On objectera que la fierté provient de l’héritage, de ce que les anciens ont laissé et dont il faudra se sentir digne. Mais ce n’est alors que repousser le problème. La même question se pose pour les aïeux. Puis, de ce legs, comment faire l’inventaire entre les ignominies et les grandeurs ? Ne garder que les aspects positifs, en purgeant les zones d’ombres ? Être fier d’être Français, est-ce être fier de l’architecture parisienne, des conquêtes napoléoniennes, des essais nucléaires du Sahara ou de l’école publique et laïque ? Le génie français se résume souvent aux aspects saillants positifs ou discutables, mais “positivables” de l’histoire. On purge souvent les ignominies. Car c’est une histoire souvent écrite par les vainqueurs ou les dominants comme le démontre magnifiquement H. Zinn dans son “Histoire populaire des États-Unis”. La France s’est aussi façonnée grâce aux étrangers de passage (ou pas), pour beaucoup jamais devenus Français. Mais comme le remarque P. Tevanian, les plus formidables des Français, l’ont été non pas parce qu’ils étaient Français, mais parce qu’ils étaient scientifiques, artistes, philosophes, écrivains, antifascistes…

Atavisme chauvin

Pourquoi faut-il être fier d’être Français ? Qui veut qu’on le soit et pour quelle raison ?* Difficile de se défaire des oripeaux nationalistes. Tout y concourt, sport, économie, informations, l’esprit de clocher se perche partout. Facile ensuite de stimuler le chauvinisme latent par des déclarations politiques qui glorifient l’appartenance nationale, la grandeur du pays. On abuse de cette grosse ficelle. Mais dès lors, on entre dans le champ paradoxal de la communication, du contorsionnisme émotionnel. N. Sarkozy, grand adepte des emphases patriotiques ne trouve rien à redire à l’envahissement commercial de son bien-aimé pays. Il ne trouve rien à objecter à la mise sous tutelle internationale de sa propre politique par les institutions financières. Bien au contraire, il y contribue, pousse dans ce sens. En l’occurrence, ces contraintes extérieures pourraient être soutenables. Le problème alors se pose sur son obsession de l’Homme étranger. Celui qu’il faut empêcher d’entrer ou stigmatiser s’il réside sur le territoire. Presque une idée fixe dont naitra un ministère. Il est fascinant de noter que le raisonnement inverse s’applique aussi. Pourquoi réclamer la libre circulation des hommes et la régulation drastique des biens de consommation ? Posture absurde finalement, parce que la Nation n’est pas la bonne échelle, ni le bon créneau, ni même le bon critère.

L’irruption au pied de biche des politiciens dans les consciences du citoyen pour y sonder leur “amour du pays” n’est pas anodine. N’est-ce pas simplement une stratégie de diversion ? Une captation des attentions pour masquer les lacunes d’une société axée sur la domination. Souder les citoyens du pays malgré les relations verticales qui les séparent au détriment de l’ émancipation sociale. Dominants et dominés dans le même navire pour bouter l’étranger parasitaire hors de la révérée patrie. Un ciment social sans lequel la société marchande atomisée telle qu’elle s’est installée aurait du mal à se survivre. Le gouvernement Sarkozy a compris depuis son avènement que cet artifice suffirait à camoufler une gestion des affaires calamiteuses. À intervalles réguliers une piqure de rappel est infligée avec la gracieuse collaboration des médias et intellectuels. P. Bruckner, M. Gallo, A. Finkielkraut, I. Rioufol, E. Zemmour et bien d’autres occupent l’avant garde de l’arrogance française. Celle qui derrière une factice repentance creuse le sillon sanglant du rejet de l’autre. Rien n’étant trop beau, ni trop bon pour sa grandeur.

Alors, la France (puisqu’il faut parler d’elle) touche le fond. Musulmans, gens du voyage, Roms, sans-papiers à tour de rôle passent au pilori de la Nation. La focalisation des peurs, donc des haines bat son plein dès que la situation économique déraille. Et manifestement ce pays est entre les mains d’incompétents. Au lieu de s’en remettre au mérite (au lieu de l’invoquer), ce concept tellement éculé, et (donc) de débarrasser le plancher, on ravive ce puissant sentiment national. Se défaire surtout des formules à l’emporte pièce comme “la France tu l’aimes ou tu la quittes”, sorte de “travailler plus pour gagner plus” à usage franchouillard. Faute de mieux donc, la nation devrait rester le cadre d’exercice du pouvoir. Une idée simple et neutre. Hors des affects, amour/haine. Pas un sujet d’adoration, ni d’arrogance (ni même de ressentiment). Moins encore un instrument politique pour attiser les haines.

*Les mots sont importants

Vogelsong – 21 Août 2010 – Paris

Crédit photo une : Flickr, Eliott Brown


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