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A l'orée du royaume

Par Chroniqueur
A l'orée du royaume"Ce qui fait le prix de la vie est si fragile: une nuance, un sourire, un silence, qu'il faut sans cesse reconquérir sur la pesanteur qui en menace la grâce." (Maurice Zundel)
Dans le tilleul, près de ma maison, le merle s’en donne à cœur joie et fait vibrer le monde de ses trilles lumineux. Il revêt dès l’aurore son habit de concert et se met aussitôt au travail. Le merle est un dieu discret qui a pris l’apparence de ce qu’il y a de plus commun, un petit oiseau, pour nous surprendre. Il s’est fait tout petit, discret, pour mieux nous approcher. Mais méfions-nous de son petit bec orange. Son chant zèbre le ciel d’une foudre de notes déchirantes de tendresse qui viennent transpercer la carapace de notre indifférence. Tout ce qui nous entoure s’illumine d’or et, durant quelques instants, nous sommes projetés au coeur de ce que Baudelaire appelait
Les minutes heureuses, ces moments somptueux où tout nous est offert en abondance, et où même les choses les plus pauvres, les plus fragiles et les plus insignifiantes trônent en majesté. Cet oiseau est un surdoué du vivant, comme la marguerite, le sourire, l’amour ou le silence. Il sait l’art de féconder nos intimités dormantes, d’accorder nos âmes. Il donne à chacun de se souvenir où se trouve le meilleur de lui-même.
Le chant du merle est une grâce.
Je suis allé à sa rencontre lui demander quelle était la tâche que le Créateur lui avait donnée:
- Chanter, répondit-il tout simplement.
Et d’ajouter aussitôt :
- Et toi ?
Ce fut le début de ma quête au sein du petit royaume du quotidien, dont je suis un amoureux transi. Ce petit royaume, je le rejoins à travers les noms communs, au coeur des choses les plus intimes, au côté des êtres que je chéris, de tout ce dont je prends bon soin, de tout ce qui fait aube en moi. Je me suis attaché à consigner les choses les plus simples, tout ce qui me dit “tu”. Je suis un fidèle des petites émotions familières, qui viennent étoiler la trame des heures et des jours. Seuls comptent pour moi ces éclaircies ou quelque chose d’humain, de bienveillant transparaît. Quelque chose qui me chuchote que malgré tout, malgré la souffrance, la tristesse, les mesquineries, la dureté de la vie, un havre de paix est proche.
Ce blog de chroniques merlines est composé de tous les trésors infimes que j’ai pu découvrir dans ma recherche. Chacun de ces petits billets est un rendez-vous que je n’aurais voulu manquer pour rien au monde. Je ne voulais pas que ce soit en vain, je ressentais un impérieux besoin de témoigner de ces pépiements qui m’enchantent. Si je n’ai pas pu répondre à cette grande question du merle, elle m’aura néanmoins permis de savoir à quoi je réponds “Présent!”, ce qui m’enracine fort dans la vie.
Au seuil du royaume familier, je vous invite à mon tour à venir vous restaurer d’un goûter d’aube et de venir faire joie de toutes ces petites notes que nous avons inscrites dans la marge de nos vies. Par pudeur, par manque de temps, parce que nous avons peur de passer pour un faible ou parce nous les avons enfouies au plus profond de nous-mêmes, nous avons cru qu’elles n’avaient aucune valeur . Mais nous serons surpris de découvrir qu’elles composent un terreau sur lequel des graines d’enfance ne cessent de croître, à notre insu, nonchalantes de nos oublis, et veillant à ce que nous sommes de plus singuliers et précieux.

Photo - ©Boris Soula

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