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Contre-fronde

Publié le 23 août 2010 par Egea

Moi, j'aime bien quand des gars qui n'y connaissent rien se penchent sur un problème. J'appelle ça le test du couillon. C'est toujours fructueux, pourvu que le couillon soit de bonne qualité : il lui faut donc de la culture et de l'intelligence sans lesquelles le test ne fonctionnerait pas, et le couillon serait celui qui y a procédé, et non celui qui s'y est prêté.

Contre-fronde
(désolé, l'image est toute petite, je ne l'ai bien sûr pas fait exprès)

Le fruit réside tout d'abord dans une lecture à l'aveugle d'un document ou d'un problème, et donc la découverte de l'œil neuf qui perçoit les incorrections, les incohérences, les mille petits défauts qui émaillent, malheureusement, les premières versions de nos productions. Mais parfois, cet œil neuf peut même arriver, alors qu'il n'y connaît rien, à suggérer une idée vraiment neuve, un aperçu réel, un changement d'angles de vue qui permettent de mieux comprendre ce dont on parle.

C'est un peu le sentiment que j'ai eu ce matin en lisant la tribune de Jérôme Boutout dans le Figaro, nous expliquant qu'en Afghanistan, il ne s'agissait pas d'une insurrection.

Que nous explique donc ce monsieur, qui se trouve être philosophe, libéral, membre du parti socialiste, de la société des lecteurs du Monde, maître de conférence à Science Po (en théorie des jeux), fils spirituel de Marcel Gauchet, et qui malgré son jeune âge a déjà publié dans le Fig, le Monde, le Débat, etc... : autrement dit, quelqu'un de bien introduit qui, vous le verrez, sera une de nos très prochaines consciences intellectuelles.... oui, que nous explique-t-il donc, après avoir causé ailleurs du libéralisme et d'Alain Badiou, sujets particulièrement nécessaires pour évoquer la contre-insurrection ?

Que l'analyse couramment menée jusqu'à présent, qui présente la rébellion afghane comme une insurrection, est une erreur d'appréciation ; partant, que la contre-insurrection ne peut mener qu'à l'échec. CQFD.

Ach ! que n'y avions nous bas benzé ! (accent guttural de maître Carl). Mais z'est pien zur !!!! Pensez-donc, "contrairement à l'Irak, l'Afghanistan n'a jamais été étatisé". En fait, l'Afghanistan, "c'est une vaste zone tribale". Vous auriez pu le remarquer, les gars, dites ! y'a que moi qui vois tout ? Vous ne comprenez pas ? Bon, je poursuis : "tribu et État sont deux types d'association humaine" (si! si! vous avez bien lu, il nous l'explique). L'Etat, c'est tout récent, ça a cinq siècles "tout au plus", "depuis le berceau européen". (Ben voyons : Rome c'est pas un Etat, et il n'y a jamais eu d'Etat chinois en dehors du berceau). Vous ne pigez toujours pas ? faut vraiment que je vous dise tout : "autant la doctrine de contre insurrection est la doctrine adaptée à une zone préalablement étatisée, autant elle est un contre-sens en zone tribale". Na! J'en dirai pas plus, la démonstration se suffit à elle-même.

Mais alors, que faut-il faire, demandons-nous éplorés ? là, notre bon maître nous trace, dans un de ces parallèles historiques à couper le souffle (si, ça m'a coupé le sifflet, je vous jure), une comparaison entre les seigneurs de la guerre afghans et les frondes des princes français : "le mollah (Omar) est un sinistre avatar du cardinal (de Retz)" (sic ! non, vraiment, je n'invente rien). Il faut donc "substituer à une doctrine vieille de cinquante ans - la contre insurrection- une doctrine vieille de cinq siècles - la conte-fronde". Alleluiah !

Mmmmhh ! que c'est bon ! il faut donc "désolidariser les petits seigneurs des grands", car la "logique" (subitement, ce n'est plus une doctrine, mais l'approximation des mots ne doit pas vraiment gêner, il faut juste percevoir l'inspiration, voyez-vous) de la contre-fronde "consiste à parler à l'intérêt des petits seigneurs de la guerre" : M. JB ne nous le dit pas, mais il sous-entendrait qu'il faut acheter les uns et offrir une réconciliation nationale aux talibans modérés, je n'en serais pas surpris : mais je suis sûr qu'il a dû monter une société de conseil et qu'il doit se préparer à vendre ces conseils avisés et novateurs aux princes locaux qui ont besoin de ses lumières, et qu'il ne dira pas ça gratuitement dans le Figaro (journal libéral qui n'irait pas contre la libre entreprise). Monsieur se prépare à être le Mazarin d'Ahmid Karzai.

Car monsieur est allé faire un petit tour là-bas, dans un de ces voyages organisés que les Anglo-Saxons organisent régulièrement pour les intellectuels bien nés, afin qu'ils "vivent" la "réalité du terrain" (vous tous qui avez été en Opex, vous savez de quoi je veux parler quand vous voyez débouler ces cohortes d'officiels, en costume un peu bizarre, qui viennent faire du tourisme militaire pour se donner des frayeurs et augmenter leurs articles dans les grands médias de quelques sensations couleur locale).

Car voici donc comment conclut notre héros (pensez : il est allé en Afghanistan et surtout, il en est revenu, et surtout, surtout, là réside son véritable héroïsme qui le différencie de ces humbles soldats, il n'a pas perdu sa lucidité car il a observé et médité et tiré des idées, lui) : "Quand on la chance de rentrer sain et sauf de cette zone, il faut l'écrire avec humilité (sic) : s'il n'y a pas de temps à perdre, c'est bien que des vies sont en jeu". Alors là, je reste pantois : il a vraiment eu la trouille de sa vie, et surtout, on voit qu'il a un doctorat de philosophie. Parce que comme fin d'article, c'est beau.

Je suis désolé pour Yves Cadiou qui vient sur ce blog pour trouver des choses sérieuses : j'espère qu'il ne lit pas le Figaro, parce que ça, ça ne correspond pas à ses exigences.

Mais dites-moi : le couillon était-il de bonne qualité ?

O. Kempf


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