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"Le cuisinier" de Martin Suter

Publié le 25 août 2010 par Francisrichard @francisrichard

Décidément, après "Le coiffeur de Chateaubriand" d'Adrien Goetz  je consacre mes lectures aux gens de métier ... Le livre de Martin Suter , Le Cuisinier, publié chez Christian Bourgois ici, est cependant d'un tout autre genre que celui d'Adrien Goetz.

D'abord Le Cuisinier se passe à notre époque, ensuite il n'est pas écrit du tout sur le même ton désinvolte et piquant que Le Coiffeur. Sans doute parce qu'il n'est pas écrit à la première personne et que l'auteur s'emploie à raconter l'histoire avec une certaine distance.

Maravan est tamoul. Il travaille en Suisse dans la cuisine du Huwyler, un restaurant en vogue de Zürich. Alors qu'il a des talents réels, mais cachés, de cuisinier, les tâches les plus humbles lui sont dévolues, comme c'est le lot de tous les immigrés de la communauté tamoule en Suisse.

Entre autres spécialités Maravan sait faire le vrai curry. Il a la maladresse de vouloir en remontrer au chef du restaurant sur le sujet. Ce qui, cependant, lui vaut d'être remarqué par Andrea, une belle serveuse, qui veut bien goûter à son curry à domicile. Ce qui lui fait commettre une erreur qui va changer sa destinée, bien malgré lui, et amorcer l'intrigue du roman de Martin Suter.

Le menu que Maravan a composé pour son invitée nécessite l'emploi d'un appareil de cuisine coûteux, un rotovapeur, que ses revenus modestes ne lui permettent pas d'acquérir. Le dimanche soir qui est celui de la fermeture hebdomadaire du Huwyler, il emprunte donc l'appareil de l'établissement, avec la ferme intention de le rapporter, ni vu ni connu, le matin du mardi, jour de réouverture.

Le menu que Maravan a réservé à son invitée a des vertus aphrodisiaques que Maravan lui-même ne soupçonne pas. Il est inspiré de l'enseignement culinaire traditionnel de sa grande-tante, Nangay, restée au pays, avec quelques ajouts de son cru. Andrea est d'ordinaire portée sur le beau sexe qui est le sien. Pourtant, en dépit de ce penchant, après le repas, son désir s'enflamme pour Maravan, qui ne résiste pas non plus à cet incendie, alors qu'il mène une vie des plus chastes depuis son arrivée en Suisse...

Les circonstances font que Maravan ne peut pas le lendemain remettre le rotovapeur à sa place discrètement, qu'il est découvert et licencié sur le champ. De son côté Andrea, qui paraissait par sa froideur, aux yeux de tout le petit monde du restaurant, dédaigner les plaisirs de la chair, prend le même chemin de la sortie après avoir fait une déclaration intempestive, et publique, sur les talents de Maravan en cuisine et ...au lit.

Maravan pointe donc au chômage. Mais ses indemnités s'avèrent insuffisantes. Non pas qu'il vive sur un grand pied mais qu'il envoie de l'argent à sa famille demeurée au Sri Lanka, où elle vit dans un grand dénuement, qui plus est dans un pays en guerre. Maravan est d'ailleurs fortement sollicité par les représentants des Tigres tamouls en Suisse, qui récoltent des fonds pour alimenter en armes la résistance aux forces gouvernementales. 

De son côté Andrea n'a pas encore d'emploi. En raison de sa préférence pour les femmes, elle est toute ébranlée d'avoir cédée avec délices à un homme, alors que d'habitude sa libido est égale à zéro en présence du sexe opposé. Ce ne peut donc être que la conséquence du repas pris ensemble. Elle veut en avoir le coeur net et propose à Maravan de soumettre son menu à un test. Il servira son menu à elle et à une invitée, connue pour être hétéro, et on verra bien si le repas produit ses effets.

Le test est concluant. Après bien des atermoiements, Andrea et Maravan créent l'entreprise Love Food. Son objet est de livrer à domicile son love menu, aux effets garantis, dans une ambiance exotique où les doigts servent de couverts. Après un démarrage un peu lent, Love Food prend son essor et sa clientèle se fait rapidement dans les milieux d'affaires qui ne répugnent pas de recourir aux amours tarifés, tout cela sur fond de crise financière, l'histoire se déroulant fin 2008 début 2009.

Jacques Laurent disait que les meilleurs repas il les avait pris dans les livres. En l'occurence le lecteur pourra faire sien ce propos, même si sa libido n'est pas vraiment stimulée. Comme l'auteur a la gentillesse de procurer au lecteur les recettes des différents plats composants le love menu, il pourra s'il le souhaite aller jusqu'au bout de l'expérience, qui ne serait donc pas seulement gustative, visuelle, tactile et odoriférante, mais aphrodisiaque.

Il est difficile de dire si le texte original, en allemand, est bien écrit. La traduction, si elle ne trahit pas trop l'auteur, est, elle, faite dans un style narratif très coloré, précis, sans emphase. Ce style convient très bien aux propos de l'auteur, qui, sans insistance, pose au passage quelques problèmes de société et de pesanteur de certaines traditions.

Pour ma part la seule fausse note se trouve dans le dénouement. Maravan va en effet se venger d'une mort qui le touche de près... et mettre ainsi un terme à Love Food

Pour ce cuisinier ce ne sera pas un plat qu'il mangera froid, ou qu'il fera manger froid à la victime de sa vengeance, mais une boisson mortelle qu'il lui fera boire. Sa victime n'est pas un des véritables responsables de son malheur, mais quelqu'un qui, indirectement, a armé leur bras. C'est un peu trop dans la lignée des raisonnements dévoyés d'une certaine intelligentsia pour être convaincant.

Francis Richard


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Olivier Mannoni
posté le 27 août à 17:30
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Merci pour cet article et la critique de la traduction (il est si rare qu'on en parle...) Cela mérite peut-être que l'on mentionne le nom du traducteur, le texte français ne s'étant pas rédigé tout seul...

Bien cordialement,

Olivier Mannoni Traducteur de Martin Suter

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