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Médecine du travail : la plaie toujours ouverte de Xavier Bertrand

Publié le 26 août 2010 par Letombe
Xavier Bertrand à Royan en septembre 2008 (Audrey Cerdan/Rue89).

Logo de France Inter.Un an après la publication de notre enquête sur les dérives de la médecine du Travail, rien n'a changé. La réforme promise est l'objet ce jeudi d'une première séance de négociations entre les partenaires sociaux. Ces derniers accusent : Xavier Bertrand n'a rien fait pour protéger les médecins ayant dénoncé les dérives. Pire : le ministre du Travail ne s'est pas attaqué aux abus des patrons. Il l'a reconnu lors des vœux à la presse, juste avant de quitter son poste. Une enquête conjointe menée par France Inter et Eco89.

Xavier Bertrand avoue son impuissance, agacé par nos questions

Un an tout juste. En 2008, lors de ses vœux à la presse, Xavier Bertrand avait promis une réforme de la médecine du Travail dans les mois suivants. Depuis, le dossier patine.

2009 : la première séance de négociations entre partenaires sociaux est fixée pour ce jeudi 15 janvier. Sans que le ministre du Travail n'ait vraiment pris la mesure de l'ampleur du malaise, comme en témoignent ces cinq minutes d'entretien, arrachées mardi rue de Grenelle, après plusieurs demandes restées sans réponse ces derniers mois.(Voir la vidéo)



S'il consent à reconnaître que les « fonds doivent aller à la médecine du travail, pas ailleurs », le ministre du Travail fait preuve de son talent à botter en touche. Pourtant, il sait parfaitement que la situation n'a pas changé : certaines dérives sont toujours d'actualité.

Les intermittents ont recours à un service non agréé par le ministère

Après les dérives des Hauts-de-Seine, notre enquête conduit au très atypique Centre médical Bourse (CMB), qui gère depuis des décennies la médecine du travail des intermittents du spectacle. Première anomalie : contrairement aux 400 services interentreprises recensés en France, celui-ci n'est même pas agréé par le ministère du Travail, ainsi que nous la confirmé une source interne à l'administration.

Deuxième anomalie : les documents comptables 2006 et 2007, que nous avons pu consulter, montrent un différentiel énorme entre les cotisations payées par les intermittents et les visites médicales effectivement réalisées :

  • à raison de 70 euros par salarié, les cotisations des 120 000 intermittents couverts par le CMB représentent 8,4 millions d'euros de recettes.
  • Or, 67 783 salariés ont été suivis en 2006, puis 65 988 en 2007, en baisse de 2,6% par rapport à l'année précédente.
  • Résultat : près de la moitié (46%) du total des intermittents cotisants n'ont pas vu de médecin. Où est passé le différentiel des cotisations ?

Un élément de réponse se trouve, peut-être, dans l'existence d'une « réserve financière » qui apparaît dans les comptes du CMB. Ainsi, « les comptes de l'exercice 2006 dégagent un excédent de 435 985 euros » composé, selon la CMB, par un « surplus de cotisations des intermittents du spectacle ». Même chose l'année suivante : « les comptes de l'exercice 2007 dégagent un excédent de 318 068 euros. »

A chaque fois, « l'affectation des bénéfices » est « intégralement viré » à un « poste de réserves » qui s'élève « à 5 598 886 euros »… soit le même montant, à l'euro près, en 2006 et en 2007.

Le CMB, qui a un statut associatif, est géré par de multiples structures :

  1. CMB Gestion dirigée par Lionel Moreau, directeur des ressources humaines du groupe UGC, président en titre du CMB ;
  2. la Sarl Robert Cano Conseil (RCC), société de « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion » dirigé par l'ancien directeur général du CMB, Robert Cano -qui travaille donc pour la CMB à travers cette société de « conseil ». Une société, avec un capital de 40 000 euros, immatriculée le 2 juillet 2008, juste après que Robert Cano a quitté ses fonctions de directeur général de la CMB…
  3. IST (Informatique Santé Travail), société par actions simplifiée, immatriculée le 30 octobre 2007, domiciliée à la même adresse que le CMB, dont le président n'est autre que… Robert Cano, l'ancien directeur général du CMB.

Les doutes sur la sincérité des comptes présentés sont tels qu'un audit financier, réalisé par un cabinet indépendant, est en cours. Le directeur général Jean-Marc Bezard a refusé de nous répondre. Quant à Robert Cano, il assure que :

« Tout est parfaitement transparent. Mes prestataires bénéficient de ma grande expérience. Je ne vois pas ce qu'il y a de critiquable. Mon activité s'effectue à la demande du conseil d'administration et de la présidence du CMB. Elle fait l'objet d'un contrat en bonne et due forme. Par ailleurs, ma société IST ne travaille pas seulement pour le CMB, mais pour 70 autres services de santé au travail. Quant aux cotisations du CMB, elles ne regardent que le CMB. »

La médecine du travail ? Une « patate chaude » pour les syndicats

Cette situation ne surprend pas vraiment le président des médecins du travail de la CFE-CGC. Le docteur Bernard Salengro dévoile les pressions dont plusieurs de ses confrères ont fait l'objet. Des confrères qui avaient publiquement dénoncé les dérives du système. (Voir la vidéo)



Syndicats et artisans avaient pourtant alerté de la nécessité d'une réforme de la médecine du travail. Un statut associatif très flou, des conseils d'administration dominés par les employeurs et enfin, des pratiques comptables douteuses : l'enquête de Rue89 et France Inter montrait à quel point les Medef territoriaux ont financé leurs activités sur les services de médecine du travail. Et ce, malgré les démentis de Laurence Parisot, présidente du Medef.

Pour le docteur Salengro, le silence de Xavier Bertrand est parfaitement compréhensible : la médecine du travail est une « patate chaude ». (Voir la vidéo)



Depuis un an, les résultats de l'enquête diligentée par la direction du travail, à laquelle Xavier Bertrand fait référence dans l'entretien vidéo, n'ont d'ailleurs jamais été publiés. En outre, l'administration, directement placée sous la hiérarchie du ministre, n'a pas vraiment soutenu les professionnels qui veulent faire le ménage.

A Pau, la docteure Rico, mise à pied, finit par démissionner

Premier exemple : à Pau, la docteure Colette Rico avait eu le courage de dénoncer les errances passées de la direction. En particulier le goût immodéré des voyages (Turquie, Indonésie, Amérique du sud) entretenu il y a quelques années par une ancienne comptable du service de santé au travail.

Convoquée illico par ses employeurs, la docteure Rico a été accusée de « déloyauté » et finalement mise à pied trois jours en décembre 2007.  

Dégoûtée, elle finit par démissionner en juin 2008 puis par déménager, car elle est « grillée » dans la région.  

Réponse décontractée de Patrick Laccarère, président de l'Association d'hygiène industrielle de la région paloise (AHIRP) :

« J'ai fait ce que je pensais être la bonne chose : une sanction de trois jours de mise à pied, là où d'autres gens me demandaient de la licencier. Elle aurait peut-être dû prendre des précautions élémentaires en s'exprimant publiquement. Il n'y a eu aucune pression de la direction, pas de chasse aux sorcières. Moi, j'ai besoin de médecins, je l'aurai bien gardée. Qu'elle ait préféré changer d'air, c'est son problème. Quand elle est partie, je lui ai souhaité bonne chance. »

A Toulon, une déstabilisation qui échoue… et renverse la direction

Deuxième exemple : Toulon et l'AIST 83, où le docteur Patrick Fortin a dû affronter pendant des mois les tentatives de déstabilisation de son président, Albert Bessudo, ancien président de la Chambre de commerce. Menaces, pressions diverses, jusqu'à muter la secrétaire avec qui il travaillait depuis quinze ans. Une mesure formellement interdite par le code du Travail… mais l'inspection du travail n'a pas jugé utile de réagir :  

Patrick Fortin a tenu bon et il a eu gain de cause : un nouveau président, élu au printemps 2008, a fini par changer toute l'équipe de direction en novembre dernier. Conclusion du médecin : la gouvernance est un point clef du bon fonctionnement d'un service.  

A Nice, idem : une directrice licenciée par un DRH

Enfin à Nice, Sophie O'Neill a vécu exactement la même mésaventure que celle de ses collègues. Directrice de l'Association de la médecine du travail des Alpes-Maritimes (Ametra 06), elle s'oppose à certaines demandes du nouveau président.

Dès son arrivée, en juin 2008, Bruno Demarest, DRH du Palais des Festivals de Cannes, exige la carte bleue du service. Refus de l'intéressée, ce qui déclenche la colère du nouveau boss. Sophie O'Neill n'hésite pas à parler d'un « management dictatorial » :  

Résultat : mise à pied, puis licenciement pour « faute grave ». Sophie O'Neill conteste la procédure devant le conseil des Prud'hommes de Nice. Là encore, le ministère du Travail est parfaitement au courant de la situation, mais ne bouge pas :

Joint par téléphone, le président de l'Ametra O6, Bruno Demarest, estime qu'« il n'y a jamais eu de “putsch” au sein de l'association, simplement certaines personnes qui ont fait des fautes » :

« Quand je lui ai demandé les comptes, elle ne me les a pas donnés. J'ai déclenché un audit interne, ajoute Bruno Demarest, qui se dit “surpris du nombre de contrôles pour vérifier les comptes de l'AMETRA 06. Nous sommes plus que transparents, conclut-il. Il n'y a pas un centime qui passe à l'as.”

Le conflit doit être tranché par le conseil des Prud'hommes. En attendant, Sophie O'Neill est à la recherche d'un emploi… loin de la région niçoise.


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Photo : Xavier Bertrand à Royan en septembre 2008 (Audrey Cerdan/Rue89).

Par David Servenay | Rue89 |


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