Magazine Journal intime

Cadeaux

Par Pierre-Léon Lalonde
Il attendait à la sortie du terminus d'autobus. J'ai ouvert ma fenêtre salie de sel pour être sûr que je l'avais vu faire un geste dans ma direction puis je me suis arrêté. J'ai ouvert mon coffre et suis allé le rejoindre pour l'aider avec sa petite valise. J'ai tendu le bras pour lui indiquer s'il voulait que j'y mette également son sac à dos lorsqu'il a saisi ma main pour la serrer. Agréablement surpris, j'ai compris qu'il ne venait pas d'ici.
Sa maigreur le rendait encore plus grand qu'il était. Je voyais bien qu'il venait d'Afrique, mais je ne savais pas encore à quel point son arrivée au pays était récente. Il m'a tendu un petit bout de papier sur lequel était marquée une adresse, celle de l'Armée du Salut sur St-Antoine.
— C'est bien là qu'on accueille les réfugiés? me demande-t-il.
— On y accueille les gens qui sont démunis...
Il a juste fait un geste de la tête comme quoi c'était bien l'endroit où il voulait aller.
Pendant le trajet, j'apprends qu'il arrive du Rwanda via Toronto. Comme il ne comprenait pas l'anglais, on l'a placé dans un autobus et c'est chaussé d'une simple paire d'espadrilles qu'il fait ses premiers pas sur le sol montréalais. Je pose quelques questions, mais je me trouble vite quand je me rends compte que c'est un rescapé du génocide. Je ne peux pas imaginer par où il est passé. Je sais par contre qu'il arrive ici seul au monde avec sa petite valise et un bagage immensément lourd à porter.
Sur la route, un convoi de déneigement nous oblige à rouler au ralenti. On longe un immense tas de neige prêt à être soufflé. J'observe son regard ébahi dans mon rétroviseur. Quelque part, ce jeune homme est encore un petit gars capable de s'émerveiller. Je lui parle un peu de la ville, un peu de la saison, un peu de ce que la vie peut être ici. Je parle pour meubler mon malaise d'aller le reconduire dans cet endroit à quelques heures de Noël. Mon malaise d'occidental bien nourri, bien nanti, gâté pourri qui se plaint le ventre plein qui se demande ce qu'il va recevoir en cadeau, quelle paire de souliers va « matcher » avec son linge. Qui se demande si son côté de rue a été finalement déneigé? Je parle de peur de me mettre à pleurer.
Quand nous sommes arrivés à destination, je suis ressorti du taxi pour l'aider avec sa petite valise. De sa poche, il a sorti un portefeuille en me demandant ce qu'il me devait. J'ai refermé le coffre en lui disant de garder son argent. Il m'a alors offert le plus beau des cadeaux avec un sourire rempli d'une telle sincérité de coeur que le mien s'est serré. Nos mains aussi et j'ai repris la route en espérant qu'il puisse enfin trouver son chemin. Qu'il puisse enfin poser son bagage.
J'admets que c'est un peu triste cette histoire. Afin d'alléger un peu et vous mettre dans l'esprit des fêtes, je vous invite à aller faire un petit tour chez ma copine Mère Indigne qui a décidé de s'y remettre. Je vous avertis, ma frangine blogueuse n'est pas un cadeau! ;-)

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