(suite ) Cette première fois (première rencontre avec l’auteur) se produisit, pour moi, un peu avant la guerre, à l’époque où le lieutenant-colonel de Gaulle besognait encore au secrétariat permanent de la Défense nationale. Jeune journaliste, je fus mis en sa présence dans un salon de « l’Echo de Paris » par un homme, André Pironneau, qui, avec Paul Reynaud, luttait pour les idées hérétiques de celui dont la haute hiérarchie militaire disait qu’il détruisait l’unité de doctrine de l’armée. La guerre venait. Je gardai un souvenir impérissable d’avoir entendu exprimer, dans ce cadre désuet et douillet du vieux journal, ce que serait la réconciliation de la puissance et de la vitesse que 1914-1918 avait dissociées. De Gaulle n’était alors qu’un officier menacé de disgrâce, inconnu en dehors de quelques cercles professionnels. Jamais il n’eut une parole plus inspirée, ni une conviction plus ardente.
L’armée n’est pas propice au courage intellectuel. On enseigne dans les écoles militaires que l’indépendance de pensées est la première qualité d’un officier d’état-major, mais l’indépendance de pensée qui va au-delà de quelques objections respectueuses suivie d’un prompt ralliement à la doctrine orthodoxe, brise l’avancement. Ce que de Gaulle proposa et soutint avec acharnement était une censure de toutes les conceptions du commandement français d’avant 1939. Ses efforts pour faire retentir ses idées dans les colonnes des journaux et à la tribune de la Chambre le désignaient comme un sujet remuant et indiscipliné. Peut-être eût-il été saisi par une obscure retraite si l’échéance de la guerre s’était fait attendre. Mais qu’aurait été la carrière de Napoléon Bonaparte, lieutenant en second au régiment de bombardiers de La Fère si la Révolution française ne lui avait pas donné un coup d’épaule ?
(à suivre)