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Feuilleton de l’été : la publicité pratique en 1922 -XIX-

Publié le 31 août 2010 par Lafeste

« Les budgets de la publicité.

Et d’abord, de quels capitaux faut-il disposer pour faire avec fruit de la publicité ?

Les premiers prospecteurs de la publicité ont été, à ce point de vue, exceptionnellement favorisés. Quand ils naquirent, on pouvait presque, théoriquement, faire les premiers pas avec très peu de fonds ; une petite surface et un peu de crédit suffisaient. Des fortunes, encore inexistantes, se sont édifiées alors, avec, comme point de départ, de très modestes mises de fonds. Il suffisait, il y a encore trente-cinq ans, de quelques annonces dans quelques journaux choisis pour réussir. Il convient de, remarquer, à ce propos, que les premiers Annonceurs ont été principalement ceux qui pratiquaient la publicité de la première période, c’est-à-dire ceux qui surent, par une sorte de prescience, utiliser les ressources de la forme suggestive, immédiate et directe pour la vente par correspondance de toutes sortes de marchandises et de produits, dont les plus nombreux étaient les
spécialités pharmaceutiques. La fameuse annonce : « Un monsieur offre gratuitement… » est de cette époque, et elle n’a jamais varié depuis.

Le lancement d’une marque par la publicité obsédante est une conception plus moderne. Elle exige de l’Annonceur une confiance, une foi dans ses effets qui, au point où nous sommes, témoignent déjà de la transformation des idées générales en France, au regard de la publicité, publicité en laquelle autrefois on ne croyait guère.

De ce que nous savons de quelques budgets consacrés à la publicité, nous pouvons tirer quelques chiffres qui feraient un peu peur, si on les appréciait superficiellement. Des prévisions de dépenses annuelles de plusieurs millions de francs, par exemple, ne sont pas isolées, et les budgets de cent mille, de deux cent mille francs sont de plus en plus fréquents.

Il est évident que la tâche de l’Annonceur qui se sent les moyens de consacrer de pareilles sommes à la vulgarisation de sa marque et de soutenir ce train pendant un, deux, trois et même cinq ans, avant d’atteindre l’échelon des bénéfices, est singulièrement facilitée, en ce sens qu’il lui est plus aisément
permis de commettre des erreurs d’appréciation et d’exécuter des fausses manoeuvres.

En y. regardant d’un peu plus près, on conçoit qu’il existe des possibilités encore favorables, sans être contraint de supporter des charges aussi écrasantes, quoique, surtout pour les entreprises qui s’appuient sur le système de la publicité obsédante et indirecte, la publicité soit essentiellement une affaire d’argent. Là, la publicité agit par sa masse, par la démonstration de puissance et de durée qu’elle fournit. Dès lors, une grosse partie du public ne songe même pas à discuter, à douter,
et se laisse prendre sans défense grâce au pouvoir absolu de l’or, tant il est vrai que l’eau va toujours à la rivière. Mais alors, faire de la publicité devint une chose vraiment trop facile : il suffit de paraître pour vaincre, c’est-à-dire d’avoir des millions à sa disposition. Cela ne comporte aucune méthode et aucune habileté, et le présent livre perdrait ainsi de son utilité pour . celui qui pourrait triompher uniquement par la force irréductible d’un capital inépuisable. Encore apprendra-t-il à ce fastueux Annonceur l’art de maximiser le rendement de sa publicité. Et, du reste, des privilégiés de ce genre seront toujours assez rares.

L’Annonceur acquis à la publicité a une âme de conquistador. C’est dire qu’il est entreprenant. Mais il voit le plus souvent trop, grand. Il rêve d’inonder son pays tout entier d’une marque amoureusement mise au monde, et cela, avec juste le capital suffisant pour la faire pénétrer et admettre dans deux ou trois départements. Il a la foi dans une étoile qui ne luit, en réalité, que dans le ciel de ses rêves, et il s’embarque pour un long voyage dans une simple coquille de noix. C’est un défaut inhérent au tempérament des Français, chez qui le sens pratique est souvent l’esclave dé l’imagination. Il nous faut donc, avant toutes choses, couper les ailes à la chimère ; il restera le sens
pratique,, et ce sens est excellent chez nous, quoi qu’on en dise, et quoi que nous en disions nous-mêmes.

Quand un Annonceur ne se sentira pas suffisamment lesté d’argent pour entreprendre une publicité nationale, c’est-à-dire une publicité s’adressant à toute la nation, il se rappellera l’ancienne division de la France en provinces, et, comme César, il saura se résoudre à être le premier dans son village — ou sa province —plutôt que le sixième dans la grande ville — ou le pays tout entier.

Lancements locaux ou régionaux.

Il existe, en France, un bon nombre de produits de toute sorte qui n’ont qu’une réputation locale ou régionale, et il en est même qui ont acquis une notoriété si grande, régionalement, ou localement, que leurs fabricants, quoique comblés des dons de la fortune, et parfaitement capables, grâce aux réserves de capitaux constituées par eux, de tenter la chance au delà des limites qu’ils s’étaient primitivement assignées, préfèrent se borner à la simple exploitation de leur champ d’action originel, parce qu’il leur suffit.

Tous les industriels possesseurs de marques se trouveront bien de suivre leur exemple. Et nous sommes heureux d’avoir indiqué déjà la méthode d’essai, celle du cultivateur de pommes de terre, pour tout lancement de marque, que ce soit une marque de consommation immédiate ou d’entretien permanent. L’application de cette méthode, en permettant à tout Annonceur débutant de se rendre compte des effets de sa publicité, lui fera comprendre combien ses efforts .seraient vains s’il entre-
prenait, du premier coup, une publicité trop générale, en ne disposant pas des gros capitaux que cette publicité nécessite. Il touchera du doigt les difficultés, les embûches, les oppositions
existantes, et saura s’en tenir au plus facile , en réservant le difficile pour le temps où ses disponibilités, et l’encouragement qui lui viendront de ses premiers succès, lui rendront abordables les problèmes complexes du lancement généralisé.

Donc, si les capitaux dont on dispose sont faibles, on choisira une région, sur laquelle on fera en petit ce qu’on aurait fait en grand sur toute la superficie du territoire. On la choisira, de préférence, parmi celles qui sont abondamment desservies par une presse régionale ou locale bien répandue, et on ne s’occupera absolument que de la clientèle de cette région, toujours pour tâcher de trouver une pierre de touche sûre, quant à la valeur, à la force de pénétration de sa publicité. On y organisera sa vente — point essentiel — et, les premiers essais ayant donné des résultats satisfaisants, on entreprendra la vulgarisation de sa marque dans le ou les départements compris dans la région choisie. Il est important, avant de faire le choix, d’une région, de s’assurer que le régime des chemins de fer est bien organisé, d’un commode accès, et que, par conséquent, les transporte y sont faciles et rapides.

Si l’Annonceur est lui-même en province, il est évident que la région qu’il choisira devra être la sienne. On a beau dire que nul n’est prophète en son pays, on y trouve toujours plus d’appuis, puisqu’on y peut jouir d’une considération personnelle dont le secours est pour beaucoup dans la réussite. Innombrables sont les spécialités locales pour toutes espèces d’articles, et qui sont uniquement répandues dans le cercle d’influence que commande la ville où le produit se fabrique; l’Annonceur est connu, on sait qui il est, et son nom, à défaut de sa marque, . constitue une sorte de publicité avant la lettre qui aide puissamment au succès de son lancement.

La province offre, incontestablement, des ressources plus certaines que la capitale. Paris, avec son agglomération de près de 4 millions d’habitants, est presque imprenable, du moins dans son unanimité. D’abord, parce que le potentiel d’intérêt d’une publicité quelconque y est le plus souvent partagé, ensuite parce que la concurrence y est si grande que les marques se trouvent noyées dans le flot toujours montant des contrefaçons
et. des contremarques. Puis, à Paris et environs, la clientèle est particulièrement flottante. Elle se déplace et, dans ses fluctuations, elle en arrive à ne plus connaître la marque qui l’aura contentée; à plus forte raison ne •connaît-elle pas le fabricant d’une marque, ni sa personnalité. Il n’y existe pas cette atmosphère de sympathie locale qu’on rencontre en province et qui tient, certainement, à ce sentiment obscur de décentralisation qui est à l’état latent, chez un grand nombre de provinciaux;, et qui les incite à préférer souvent les » choses de « chez eux » aux produits d’importation, même si leur origine est nationale et s’ils sont supérieurs aux produits du cru. »

Nez Rouge

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photo credit: Ludo29880

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Source

Titre : Traité pratique de publicité commerciale et industrielle. Le mécanisme de la publicité avec diverses applications / D. C. A. Hémet,… ; avec une préface de Emile Gautier

Auteur : Hemet, D.C.A (1866-1916)

Éditeur : « la Publicité » (Paris)

Date d’édition : 1922

Contributeur : Gautier, Émile (1852-1937). Préfacier

Contributeur : Angé, Louis. Éditeur scientifique

Type : monographie imprimée

Langue : Français

Format : 2 t. en 1 vol. (XXIX-250, 298 p.) : ill. ; in-8


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