Magazine

Le temps de la réflexion

Publié le 24 décembre 2007 par Jean Lançon

Je suis depuis quelques jours en état de "réflexion passive", c'est-à-dire que je laisse ma conscience et mon instinct m'amener à une décision, qui sera prise sans doute début janvier. C'est une décision liée à mon avenir professionnel. Une décision difficile, et qui risque même d'être douloureuse. Mais qui sera peut-être nécessaire. Elle implique en tout cas de refuser la précipitation.

Le métier de musicien est un métier très difficile. Il y a la difficulté conjoncturelle ordinaire (métier précaire par nature, surtout dans ma région où l'essentiel des activités ont lieu l'été), à laquelle s'ajoutent d'une part les dévoiements du métier (je viens de perdre une animation musicale pour le 31 décembre, car deux salopards travaillant "au black" m'ont doublé), et d'autre part l'ingratitude parfois ressentie par un nombre sans cesse croissant de musiciens (tous les patrons d'orchestres veulent des musiciens très disponibles, mais la plupart ne sont pas capables de leur assurer des revenus décents).

En 1981/82, j'étais déjà musicien et je gagnais 30 à 40.000 francs par mois (entre 4.500 et 6.000 euros), et ayant du travail tous les jours je n'ai jamais déposé de dossier pour être intermittent du spectacle.

En 2007, je vais déclarer très exactement 16.948 euros de revenus (soit environ 1.400 euros par mois), desquels, au titre des frais réels (5.663 euros en 2007), ressortira un revenu réel, et réellement imposable, de 11.285 euros (soit 940 euros par mois). Une personne au SMIC gagne donc plus que moi.

Parallèlement, l'on notera que sur mes 16.948 euros de revenus avant déduction de frais, seuls 3.742 euros correspondent à des cachets, les 13.206 euros restants me provenant de l'ASSEDIC au titre du statut d'intermittent du spectacle. Vous noterez par ailleurs que le montant de mes cachets (correspondant à des bals, concerts et autres séances en studio) ne couvre pas le montant de mes frais.

Je suis donc un chômeur qui, de temps en temps, perd de l'argent en faisant de la musique.

Pas besoin d'être un "ultra-libéral" pour trouver cette situation particulièrement inconfortable, surtout quand on sait que toute activité annexe rémunérée vous est interdite quand vous êtes intermittent du spectacle. Faites, ne serait-ce qu'une demi-journée dans l'année, un peu de bricolage chez un particulier avec un chèque emploi service, et vous êtes radié du régime des intermittents, et les cachets que vous avez accumulés précédemment à cet emploi sont définitivement perdus pour prétendre à l'ouverture de nouveaux droits.

En face de cela, et c'est là que mon énorme dilemme me pousse à la réflexion et m'interdit toute précipitation, j'ai pour la musique une passion dévorante. Obsessionnelle. Fusionnelle. En vivre survivre est pour moi, malgré tout, une grande satisfaction, celle d'avoir fait mon métier de ce que j'aime sans doute le plus.

Mais la réalité économique me rattrape. 940 euros par mois. Et le 11 janvier mes droits ASSEDIC s'arrêtent. Et sauf à retomber sur mes pattes avant le 15 février 2008, je n'ai pas assez de cachets pour prétendre à une réouverture de mes droits. Ce qui, au vu des perspectives telles qu'elles me sont connues à ce jour, ne m'assure que 3.173 euros de revenu annuel en 2008, frais non déduits.

Evidemment, il va y avoir du mercato dans les semaines à venir (globalement entre le 15 janvier et le 15 mars), et il me reste la possibilité d'être engagé dans une formation qui tourne, ou par un artiste qui a beaucoup de dates. Et mon trio a aussi de fortes chances de bien décoller cette année. Mais rien de tout cela n'est joué.

Alors mon dilemme est le suivant :

  • Soit je me bats encore et toujours pour faire le maximum de dates avant le 15 février prochain, en prenant le risque de ne pas avoir, au final, assez de cachets pour rouvrir mes droits ;
  • Soit je me lance dans complètement autre chose à compter du 12 janvier.

Dans la seconde hypothèse, il me restera toujours le plaisir de faire de la musique sans plus en faire mon métier toutefois. Je n'arrêterai pas le trio. Peut-être que je continuerai avec l'orchestre, au moins jusqu'à la fin de la saison d'été. Et puis, j'ai mon home studio, où je prendrai le temps de réaliser des musiques, pour le plaisir, voire plus si affinités.

Dans la première hypothèse, je tente d'aller au bout de ce que ma passion me suscite, mais je prends un très gros risque financier en contrepartie, et surtout je le fais prendre à ma famille, ce qui m'est davantage insupportable. En sachant que de toute façon, l'avenir des métiers du spectacle est très compromis à brève échéance.

En vérité, depuis longtemps je me suis fait à l'idée que, sans abandonner la musique, j'allais quitter le statut des intermittents. J'aurais aimé avoir le choix dans la date (non ce n'est pas une contrepèterie) pour prendre une telle décision. La sinistrose dans laquelle se trouve le métier me met dos au mur. Je vais gérer cette difficulté comme j'en ai géré d'autres, parfois bien plus graves encore, dans le passé.

En tout état de cause, je formule ici une bonne résolution pour 2008 : les fraudeurs du spectacle, notoirement connus, ceux qui flinguent le métier, vont plonger. Des lois obligent les organismes sociaux à effectuer des contrôles. L'ASSEDIC est totalement défaillante de ce point de vue. J'irai aussi loin que possible pour la contraindre à satisfaire à ses obligations.

En attendant, je vous souhaite à tous et toutes un joyeux Noël.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossier Paperblog