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Sophie crève le plafond de verre

Par Jean-Louis Richard

PlafondVerreVerticalGettyImages_84906005

Valérie frissonnait au fond d'un fauteuil habitué à deux fois son poids.

- Bonjour Valérie, vous avez froid ?

- Clim' de président, m'y ferai jamais. Bonjour Sophie !

- Qu'attendez-vous de notre entretien ?

- Crever le plafond de verre, c'est dans tes cordes ?


(Résumé des 18 épisodes précédents : la petite Sophie poursuit son travail dans le monde de l'entreprise... Toute ressemblance avec des personnages réels est fortuite. Ses aventures complètes vous attendent ici)

- Voulez-vous dire : crever votre plafond ?

- Joue pas avec moi Sophie ! Tu m'as comprise. Je veux en finir avec cette glu qui m'oblige à en faire dix fois plus que mes collègues masculins.

- Que dois-je savoir de votre histoire pour travailler cela avec vous ?

- 39 ans, Sup de Co, 6 ans chez Koréame, 5 ans chez Paulson & Blackson, et presque autant chez Green Flouze, d'abord au marketing puis dans mon poste actuel de Customer Logistics Media Partner.

- Que du beau linge ! Je vous croyais collaboratrice de Jean-Benoît chez Swen Games ?

- Jean-Benoît et mon big boss de Green adhèrent au FTSE 100 Cross-Company Mentoring Programme (voir cet article de Peninah Thomson). Il s'agit d'accélérer le développement des femmes à haut potentiel en demandant à chaque patron de s'occuper d'une cadre d'un autre groupe. C'est ainsi que Jean-Benoît est devenu mon mentor.

- Que le grand Cric me croque ! Jean-Benoît vous coache ?

- Tu le connais, il n'y va pas par quatre chemins. Il a conclu au second rendez-vous que j'avais toutes mes chances à condition de travailler sur moi. Voilà pourquoi il nous a prêté son bureau.

- Dès qu'il s'agit de déléguer, il est costaud le Jean-Benoît. Si tout se passait comme vous le souhaitez, qu'est-ce qui changerait dans votre vie professionnelle ?

- J'aurais ma promotion au poste de Sales Supply Chain Associate qui m'a filé sous le nez en juin au profit de mon glandu de collègue masculin qui a deux ans d'ancienneté de moins et dont le principal fait d'armes consiste à traîner dans les couloirs de direction à l'heure où sa femme torche ses gosses.

- Une phrase de 60 mots a quelque chose à cacher.

- J'veux plus être CLMP, j'veux devenir SSCA. C'est mieux ?

- Lorsque vous serez passée comme vous dites de "Comment Louper Mon Poste" à "Super Sonique Chérie Adulée", qu'est ce que vous observerez dans votre vie de tous les jours ?

- Je serai reconnue à ma juste valeur et j'aurai les mêmes chances que mes collègues masculins.

- Vous avez si peu d'ambition ?

- On voit que c'est pas toi qui regarde passer les trains derrière la pile de boulot.

- Et pendant que vous chantez votre refrain, vous n'avez aucune idée de quelle professionnelle vous êtes. En quoi consiste votre travail actuel ?

- Je reçois les requêtes commerciales des Sales Executive Market Leaders, les SEML si tu veux, et je m'assure que la mise à jour des Product & Production Forecasts permet d'optimiser le running EBITDA de ma zone. Pour cela, il me faut coordonner l'action des INTP (Iterative Network Transformation Process) en vue de consolider l'agrégation des écarts au budget sur chaque ligne de produit. Au passage, je suis en charge sur le plan fonctionnel de la pré-réunion hebdomadaire de validation des...

- Halte-là Valérie, à part INTP, sans doute votre type Myers Briggs mais c'est hors-sujet, j'ai rien capté. Votre système est verrouillé, on va s'y prendre autrement. Dans votre job actuel, est-ce que vous vendez, concevez, achetez, produisez, gérez... quel est votre métier ?

- Mon métier ? Pas la moindre idée. Je fais mille choses à la fois. Je reçois deux cents mails par jour et je réponds à plus de la moitié. Je crée ou je mets à jour des tableurs, des notes et des présentations. Je participe à des réunions en lisant mes mails sur mon Blackady. J'appelle à toute heure des collègues aux quatre coins du monde. Depuis que j'ai arrêté de fumer, je ne sors plus du building. Une vraie vie de dingue.

- Qu'est-ce que ce serait, travailler, je veux dire vraiment ?

- Mais Sophie, je travaille, et d'arrache-pied, même !

- C'est bien votre souci, d'arrache-pied. Travailler, c'est se confronter à la réalité à partir d'une place bien définie en élaborant une pratique personnelle. C'est transformer son énergie en résultat pour donner un peu de soi et enrichir le lien à l'autre. Il ne suffit pas de se fatiguer pour travailler, c'est tout le contraire. Le véritable travail ne consume pas, il construit. En Occident, 80% des professionnels ont perdu leur position productive et s'agitent au service de leurs pulsions. Quand vous êtes-vous énervée pour la dernière fois dans votre job ?

- Pas plus tard que ce matin. Je devais terminer les mises à jour pour la réunion budget et je me suis aperçue au dernier moment que mon collègue australien ne m'avait rien envoyé. Ca m'a mise en boule.

- Vous êtes restée coincée dans vos propres contraintes au lieu de les travailler. Comment cela devrait-il se passer autrement si vous commenciez à travailler ?

- Tu forces le trait Sophie, mais essayons. Si je reprends ta définition, c'est vrai que la façon dont j'ai accepté de rassembler les mises à jour pour cette réunion ne ressemble en rien à un travail. Mon patron m'a appelée, j'ai pris cette tâche en plus du reste comme si je cherchais un passe-temps. Puis je me suis contentée de surnager comme une automate dans un délai intenable sans y mettre du mien. Maintenant que j'y repense, j'aurais pu proposer une façon différente d'aboutir à un meilleur résultat sans avoir à courir après tout le monde. Et me mettre en boule pour cette broutille, c'était peut-être éviter de travailler le lien avec mon collègue ?

- Il faut bien que votre énergie serve à quelque chose. Si vous ne produisez pas, elle se retourne vers vous. A défaut de laisser votre empreinte unique sur la réalité et sur vos liens aux autres, vous pouvez choisir de vous consommer d'une façon inimitable. A quoi ressemblerait une Valérie qui s'offrirait la liberté de travailler ?

- C'est curieux, je pense à une scène qui n'a rien à voir ?

- Laissez-vous porter, votre inconscient désire coopérer.

- Je revois ma tante Claire dans sa cuisine il y a 30 ans. Elle, je peux t'affirmer qu'elle travaillait.

- Quelle était sa place ?

- Elle était la maîtresse de maison et recevait toute sa famille l'été. Chacun mettait la main à la pâte pour des tables de dix, vingt, parfois trente convives.

- Quel était son travail ?

- Elle se réservait la confection de ses fameuses tartes. En entrée, en plat comme en dessert, tout le monde en raffolait.

- Que mettait-elle d'elle-même dans sa production ?

- De l'amour, de l'énergie, ses recettes toujours renouvelées. Lorsque quelque chose lui manquait, elle innovait selon son humeur, et toujours avec bonheur.

- La tarte Tatin est bien née d'une erreur. Est-ce qu'elle se fatiguait ?

- Elle s'activait avec conscience une partie de la matinée, mais quand ses tartes cuisaient, il ne fallait plus rien lui demander. Elle était "off", personne ne la dérangeait.

- Qu'est-ce que Claire vous apporte en ce moment ?

- Elle s'était promue toute seule de VPKB à MTSU.

- ???

- Ben oui, de "Vous Pensez Ka Bouffer" à "Mes Tartes Sont Uniques".

- C'était un travailleuse, en effet. Elle avait su construire autour d'elle le système lui permettant de produire à sa main.

- Mais c'est un travail domestique, non rémunéré, ça n'a rien à voir avec le travail professionnel ???

- Vous rémunérez votre collègue australien pour vous envoyer ses données ? Une entreprise a en commun avec une famille que les échanges y sont non monétaires. Chacun donne, chacun reçoit, la confiance vaut monnaie. Quand vous recevez le fruit du travail de votre collègue, quand en retour vous vous activez pour lui, c'est le lien entre vous deux qui s'enrichit, et l'entreprise avec. Claire avait une identité de travailleuse bien définie dans sa famille : sans elle, les repas auraient été tout autres. Quant à vous, quelle est votre identité professionnelle au sein de Green Flouze ?

- Qu'appelles-tu mon identité professionnelle ?

- Ce serait la différence observable entre Green avec vous et Green si vous n'aviez jamais existé. C'est la conséquence pour Green de votre existence, avant de questionner votre fonction ou vos résultats.

- Je vois ce que tu veux dire. Le fait que j'existe modifie les liens autour de moi, fait bouger certains de mes collègues, en questionne d'autres. Le fait que je sois présente dans une réunion en modifie le cours, que j'intervienne ou pas.

- Et c'est vous qui déciderez tôt ou tard de ce que vous ferez, à quelle place, avec qui et pour qui, donc de l'expression dans les faits de votre identité professionnelle.

- Mon poste actuel traduit davantage l'identité professionnelle de ceux qui m'y ont nommée que la mienne. J'ai rejoint Green parce que je partageais ses valeurs, et c'est vrai que mon identité professionnelle ce serait de parvenir à y articuler ma touche à moi. Comment faire pour y arriver ?

- Travailler, comme vous le faites en ce moment. Travailler sur vous pour travailler vraiment dans votre entreprise et donner un peu de vous au lieu de passer le temps à voguer au rythme de vos émotions et des projets des autres. Qu'est-ce que cela va révéler de votre puissance unique de la femme que vous êtes ?

- De ma puissance de femme ? Comme tu y vas ! Le fait que je sois femme est-il si central ?

- C'est vous qui avez commencé en me parlant du plafond de verre. Disons que nul ne peut l'oublier. Où est passée votre question sur cette promotion piquée par un collègue nul ?

- Nul, quand même pas. Différent de moi, sans doute, mais ce n'est pas le sujet. Je me rends compte que j'évitais la question centrale. Me mettre en jeu pour imprimer un peu de moi au sein d'une entreprise que j'aime et où des tas de gens m'apprécient, voilà mon projet. Moi qui envisageais de partir, j'avoue que c'est chez Green Flouze que j'ai le plus d'atouts.

- Où que vous soyez, vous aurez le même travail à faire sur vous pour élaborer votre identité professionnelle. Puisque vous ne voulez plus parler de plafond de verre, j'y reviens. Qui a créé cette expression ?

- Un homme, sans doute, pour justifier sa difficulté à intégrer des femmes au plus haut niveau de son entreprise. Peut-être pour répondre à une crainte que partagent beaucoup d'hommes.

- De quel plafond de verre souffriraient ces hommes ?

- Sophie, c'est trop facile de taper sur les hommes. Ils sont tous différents, on ne peut pas généraliser !

- A un détail près, qui concerne la production la plus précieuse de toute l'humanité.

Valérie resta silencieuse quelques instants. Les hommes seraient-ils devenus productifs pour oublier qu'aucun nouveau-né ne sortirait jamais de leur ventre ?

- En attendant, Sophie, nous les aimons comme maris et comme pères de nos enfants, pas vrai ?

- Et comme professionnels aussi, car que serait une entreprise où un seul sexe serait présent ?

- Ce serait l'enfer. J'ai remarqué à ce sujet que les liens de travail homme-femme sont les plus productifs à condition de les travailler.

- C'est à votre génération d'en faire la preuve Valérie, vous avez du pain sur la planche.

- Jean-Benoît m'avait prévenue, travailler avec toi c'est décoiffant.

- Ce n'est qu'un lien productif Valérie, comme tout lien à l'autre peut l'être. Imaginez ce que serait une entreprise où les liens seraient tous aussi riches.

- Merci Sophie, refaire le monde attendra. Je vais d'abord m'occuper de moi. Pas mal finalement ce bureau présidentiel, je m'habitue. Que fait ce vieil ours en peluche tout râpé dans la bibliothèque ?

- Avant d'être président, Jean-Benoît aussi est un homme, il a donc été un enfant et il prétend que cet ours l'inspire.

- Et lui rappelle où s'enracinent ses pulsions, je tiens un bon sujet pour ma prochaine séance avec mon coach, merci Sophie !


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