Magazine Société

Le dernier shogun

Publié le 01 septembre 2010 par Toulouseweb
Le dernier shogunJapan Airlines aborde le monde moderne.
Avec une curieuse impression de déjŕ vu, enfouie trčs loin dans la mémoire, le psychodrame que vit actuellement Japan Airlines rappelle les premičres années post-déréglementation. A savoir la difficulté pour une compagnie trčs traditionnelle, dans tous les sens du terme, ŕ entrer dans un monde brutal basé sur de nouvelles rčgles du jeu.
On se souvient notamment de la lente agonie de Pan American, de l’inexorable recul de TWA et, plus prčs de nous, de l’effondrement du SAirGroup, château de cartes qui a suscité de sérieux dommages collatéraux belges et français. Puis vint Alitalia, sclérosée, niant l’évidence.
Japan Airlines, avec un grand décalage dans le temps, a elle aussi marché trop longtemps ŕ reculons, en se voilant la face. Et elle a fini par s’effondrer, victime de structures, de méthodes, d’un autre âge. Quand l’alerte a sonné en 2007, conduisant ŕ un plan de relance dévoilé en 2008, il était déjŕ trop tard pour sauver les meubles. L’inertie aidant, la compagnie a continué ŕ fonctionner tout en cherchant ŕ entrer dans le monde moderne : 6.000 suppressions d’emplois, retrait de MD-81 et 747 vieillissants, ajustement des fréquences, etc. Trop peu, trop tard, trop lentement, comme s’il s’agissait de nier ŕ la mode nippone que le temps des compagnies nationales est terminé depuis longtemps.
Cette fois-ci, aprčs un dépôt de bilan considéré comme honteux, voici que sonne l’heure des vraies réformes. L’alternative tient en peu de mots : reconnaître l’échec, tailler dans le vif ou préparer un enterrement de premičre classe. La valse de milliards de yens est spectaculaire, au point de conduire les observateurs européens ŕ se fourvoyer dans des colonnes de chiffres quelque peu obscures. Mieux vaut constater que la Tokyo District Court (traduction littérale en anglais financier) et les créanciers viennent de prendre connaissance d’un plan de redressement d’une rare sévérité, soutenu par un organisme financier étatique qui porte bien son nom, ETIC, Enterprise Turnaround Initiative Corporation. Il va recapitaliser la compagnie et, entre autres mesures, assurer la continuité des contrats de location-bail d’avions qui ne sont la propriété directe de l’entreprise.
Les tueurs de coűts s’en donnent ŕ cœur choix, la rčgle étant coupes sombres ou la mort. Non moins de 16.000 emplois supplémentaires vont ętre supprimés en un temps record, pour ramener l’effectif ŕ 32.600 personnes. Trčs exactement 103 avions vont ętre mis au sol ou revendus, ŕ savoir tous les 747-400, A300-600, MD-81 et MD-90. Le réseau va ętre Ťoptimiséť, ce qui revient ŕ dire qu’une cinquantaine de lignes vont ętre purement et simplement fermées. Dans le męme esprit, les activités annexes seront rapidement abandonnées, ŕ commencer par l’hôtellerie.
La gestion sera clarifiée (le terme retenu ne manque pas d’élégance), les surfaces de bureaux fortement réduites dans la foulée des 16.000 départs programmés, le parc immobilier passé au peigne fin et, last but not least, l’organigramme seront profondément remanié et simplifié tandis que la grille des rémunérations sera assainie.
L’opération est spectaculaire, elle démarre au grand jour, dans la transparence, ce qui constitue une belle preuve de grand courage. Dčs lors, les raisons de s’interroger sont d’autant plus fortes : comment Japan Airlines a-t-elle pu vivre aussi longtemps repliée sur elle-męme, sans voir le monde de l’aérien changer du tout au tout ? La réponse viendra peut-ętre de sociologues, moins probablement d’analystes financiers.
Cerise sur le gâteau, la compagnie ne va pas de contenter de réduire fortement ses coűts. Elle annonce aussi son intention d’aborder ŕ son tour le monde merveilleux du low cost en créant une filiale dédiée. C’est peut-ętre le point faible de son plan, la preuve étant faite depuis longtemps qu’une compagnie ex-nationale et une low cost ne peuvent pas vivre harmonieusement sous le męme toit.
Par ailleurs, ŕ la lumičre de ce grand chambardement nippon, on résiste difficilement ŕ la tentation de réécrire l’histoire. Si elles avaient bénéficié d’un instinct de survie de męme ampleur, Pan Am, Swissair, Sabena et quelques autres seraient peut-ętre encore de ce monde.
Pierre Sparaco - AeroMorning

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Toulouseweb 7297 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine