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Voyages au Maroc (partie 2)

Publié le 02 septembre 2010 par Ruminances

Posté par Rémi Begouen le 2 septembre 2010

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Notes d’un « SANS-PAPIERS » français au Maroc

(extraits d’un essai auto-publié en 1999 sous le titre de « MICA ») suite.

* “EL CHOUMA” *

“Les Algériens ont eu la chance, eux, de mener et gagner une guerre nationale contre la France…” : je crois que mon regard effaré a interrompu là le discours de mon jeune ami marocain. J'ai en tout cas attendu au moins 24 heures avant de lui relancer le sujet Algérie : quoi, la chance ? Hier un million de morts, …pour cette guerre civile d'aujourd'hui entre deux dictatures, l’armée et les islamistes ? : C'est “el chouma” : la honte !…C'est le Maroc qui a eu la chance d'avoir été bien moins “éclaté” que l'Algérie, par le colonialisme…

Oui, je sais, l'ami, que tu ne m'exprimes là qu'un point de vue hélas courant, véhiculé par “les bonnes opinions” de ton pays. Genre : notre Maroc reste encore trop divisé en peuples et régions : Le protectorat français a modernisé le pays, pour faire son gros beurre, en renforçant les particularismes. Auquel répondre: en Algérie, bien pire, l'imbécillité jacobine a coupé le pays en départements, cassant peuples et régions : d'où la Guerre d'hier, des miséreux ‘sujets français’. Le patriotisme algérien en est né…mais sa société éclatée aussi…

Nous nous sommes vite entendus sur l'essentiel : le droit à la justice sociale. A son pays. A ne pas avoir à définir son pays par rapport au colonialisme ou au sionisme d'hier. Ni non plus par rapport aux multinationales d'aujourd'hui ou de demain.

Mais, en pratique, cher ami marocain, je sais bien que reste entre nous un terrible “hiatus”, une incompréhension culturelle…, qui te fait “loucher” vers le mirage occidental (ah…émigrer !) tout en te débattant dans ta vieille société musulmane, fissurée de cette modernité que je rejette chez moi : “Consommez !”

Le commerce est, historiquement, une base essentielle de la civilisation arabe, tandis que la production, agricole puis industrielle, est base de notre civilisation : Ce schéma, tout grossier qu'il soit, m'aide à comprendre “la rue arabe” : Elle est envahie de micro commerces (“garo-garo” psalmodie le vendeur de cigarettes…à l'unité) et d'une économie marchande clandestine où éclate la misère “tiers mondiste” : surpopulation urbaine, etc.

Villes dont les vitrines chantent “Consommez !” à des millions de fauchés, qui “rêvent de faire du commerce” : “la chouma…!, la honte !”

* MICA *

“Mica” est le nom donné, au Maroc, à cet objet incontournable du monde moderne, où emballer n'importe quel achat : le pochon, le sac plastique…et “tique-tique, chante Léo Ferré, c'est l'progrès.”

“Ce progrès sans projet, sans autre projet que lui-même, ne crée que pollution et précarité” écrit “un type dans le métro”, dans “Vous & Moi”. Ce texte de 12 pages a eu le bonheur d'arriver aux yeux de Bernard Langlois, et, via son éditorial de Politis 525, à mes yeux. Fortuitement, en conclusion de mes 12 pages d'“un type dans un trip marocain”, je découvre que ce mot “MICA” est à la conjonction poétique des mots “pollution et précarité” de cet anonyme poète et usager du métro. “Poète…vos papiers !” nous gueule l'ami Léo, désormais libéré à jamais des tunnels…

“Poètes précaires et pollués, holà, citoyens-poètes !: à vos micas !”

Le Maroc, j'en témoigne formellement, follement, est un très gros producteur agricole de micas : Le long de la voie ferrée d'entre Tanger et Casa, notamment, j'ai eu deux fois cette vision dantesque - s'il faut employer un mot, mais en y restituant toute sa force originelle - de dizaines et dizaines de kilomètres carrés de “cultures de micas” : Il s'agit d'éparpillements sans fin de ces millions-et-millions de petits sacs plastiques, échoués là, dans la campagne, en provenance de la ville. Qui ne sauraient nourrir ni les brebis, ni même les chèvres. Peut-être les rats ?

Il serait facile, indécent, de gloser : C'est la faute à Inch'Allah, à la mentalité arabe. La réalité est que ce “mica”-là est une création occidentale, commerciale, qui pollue terres et mers : c'est la seule vitrine de la consommation abordable pour le pauvre : un bout de plastique, pour un pain et trois figues ? : “c'est l'Pérou !” La réalité est que l'emballage papier (consommable par les chèvres…) est très cher, et là-bas pire qu'ici. Et que ce “petit-mica-gratuit” est un sous-produit de trop riches pétroliers (…retour au Texas ) : bref retour à David, car de son atroce couloir de la mort il a encore tout à nous dire, au Maroc ou ici !

NOTE DE 2010 :

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A l’époque de mon séjour au Maroc (novembre 1998), j’étais en relation épistolaire très chaleureuse avec David Hicks, et membre de son comité international de défense. Je m’invitais donc à une réunion publique de la Ligue marocaine des Droits de l’Homme à El Djedida, pour parler de lui, à peu près ainsi : David Hicks est, dans la force de l'âge, en “sursis d'exécution capitale”, au Texas.

Le Noir David, pauvre petit ouvrier fermier (cow-boy !) dans un village poussiéreux, dont l'unique rue sépare depuis toujours les White des Black, fut victime à 25 ans d'une monstrueuse accusation du shérif : Il aurait violé et assassiné sa grand-mère…rien que çà !!!

Survient alors l'extraordinaire sursaut : là où quiconque (vous ou moi…) aurait vite sombré dans la déprime, l'alcoolisme, la violence, le suicide, qui sévissent dans ces cruels “couloirs de la mort”, David, lui, se bat : il étudie le Droit, bien sûr, mais aussi et surtout se met à lire, à lire, à lire ; à écrire, à écrire, à écrire … et – au bout de dix ans de luttes acharnées - son “journal de prison” devient son meilleur avocat. Et un avocat qui serait poète…! Il y eut une belle discussion entre nous, suivie d’une large pétition de soutien à David, signée d’ailleurs par de nombreux ‘bacheliers-chômeurs’, comme ils se baptisent souvent. David reçut par mes soins copie de cette pétition et s’en réjouit beaucoup – ainsi que, peu après, d’un correspondant anglophone d’Afrique, que je lui ai trouvé. Au lendemain de cette soirée marocaine, je suis abordé dans la rue par un ‘monsieur en cravate’ qui me dit : ‘Monsieur l’avocat, vous avez pris la parole hier, mais je vous rappelle que vous n’avez qu’un papier provisoire, abstenez-vous d’activités publiques…’ C’était bien la première et la dernière fois que l’on me prenait pour un avocat – et je n’ai pas démenti, impressionné pourtant que la police marocaine soit si attentive à la vie citoyenne !

Hélas, à peine un an plus tard, le 20 janvier 2000, David Hicks était assassiné (‘légalement exécuté’…) car le gouverneur du Texas, un certain Bush (junior), refusa sa grâce, sachant que cela lui apporterait des voix pour sa prochaine élection à la présidence des USA… Fou de chagrin, j’ai depuis ‘auto-publié’ l’ensemble du dossier de nos correspondances, dans un ‘Hommage à David Hicks’, suivi de divers textes où j’évoque ce héros, cet ami intime. Je l’évoquais déjà ainsi dans le texte suivant, qui concluait cet essai, ‘Mica’ :

* Postface - La Parole est à David Hicks *

“Le rythme des exécutions, ici, est devenu monstrueux. Un autre type a été exécuté hier, cela en fait déjà quatre depuis le début du mois.(…) La peur est omniprésente. On ne sait jamais quel est le prochain sale coup qui va vous tomber dessus. La mort. C'est un monde de violence (davantage le fait, d'ailleurs, du personnel de la prison que des détenus eux-mêmes), de haine, de paralysie, de régression dans l'adolescence. Un endroit où il faut apprendre par soi-même à survivre, avec peu, avec rien. Comment je fais ? Je n'en sais rien. La volonté de résister, le refus de me rendre, un espoir en l'avenir, un rêve inaccompli, ou juste un instinct de survie. Peut-être un peu de stupidité…Tout ce que je demande, c'est de garder mes esprits, au moins un jour de plus.” - EXTRAITS du JOURNAL de David Hicks (été 97) en partie publié par “Le Monde” du 15 avril 98.

Depuis cette date, où j'ai ainsi rejoint le Comité David Hicks, je n'ai cessé “d'habiter” la cellule de l'ami courageux - qui exige révision de son procès, puisqu'il est innocent…, mais trop pauvre pour le prouver tout seul : le Comité a donc pour but premier de payer de bons avocats…, mais aussi, pour des fauchés comme moi, de trouver des correspondants : nous nous sommes donc écrit bien des lettres, en anglais. Voici des extraits de son courrier du 5 juin 98 au Comité, dans sa traduction française : “Mes chers amis et défenseurs. Il arrive que quelqu'un fasse irruption dans notre vie, que cette personne nous touche et bouleverse ce qu'on est, ce qu'on pense, au point qu'on ne sera plus jamais le même. C'est ce que vous avez fait pour moi. Je ne peux dire la joie avec laquelle je vous écris pour vous dire merci de vous être élevés contre mon exécution.(…) Je vis dans un pays qui prétend être aux yeux du monde le défenseur de la liberté (…) Mais en dépit de cette rhétorique autoproclamée, ce pays reste la seule nation occidentale où sévit encore la peine de mort. Pire encore, le Texas (…) …Grâce à la sympathie que vous m'exprimez, ma tristesse se transforme en espoir, mon découragement en joie et ma peur en courage.”

Voilà comment David nous fait frères, du Texas au Maroc et d’ici à partout.


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