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Morandi, l’abstraction du réel (1)

Publié le 16 juin 2010 par Lironjeremy

Même les choses les plus simples - les choses les plus simples surtouts - demeurent pour bonne part insaisissables : leur lisibilité immédiate les isole dans une solitude silencieuse, imperturbable, qui vous renvoie au mutisme du monde. Quelques objets écrasés de vide, de simples paysages immobiles : « On n’entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses appliquées les unes sur les autres et dont les couleurs transpirent de dessus en dessous », comme l’écrit Diderot du travail de Chardin. Le discours est empêché. Les mots ne semblent atteindre cette réalité franche, énigmatique. Après les compositions allégoriques très codifiées et bavardes du XVIIème siècle, la nature morte, « vie tranquille » ou « silencieuse », devient le lieu d’expérimentations plastiques dans les ateliers des premiers cubistes, suggérant composition comme Poussin plaçait ses figurines, et déconstruction. Elle est le lieu d’une recherche davantage formelle que discursive. Celles que réalise Morandi autour de 1914 témoignent de l’influence du Cubisme sans s’engager dans une fragmentation radicale de l’espace perspectif et des objets. Autour de 1916 ce seront davantage les compositions surréalisantes des compatriotes Chirico, Savinio ou Carra qu’évoquent l’éclairage énigmatique et des contours nets de certains de ses tableaux. Mais ce sont d’autres autorités, plus souterraines, qui fonderont plus profondément la vision de Morandi. Chardin, dont, en plus d’une prédilection jamais démentie pour ce genre jugé mineur qu’il aura contribué à magnifier, il partage la touche délicate, le subtil velouté des teintes et la simplicité des compositions. Corot peut-être dans sa façon de rafraichir les genres. Mais c’est sans doute à Cézanne qu’il doit cette façon tout à la fois intuitive et cérébrale de modeler les volumes, cette façon d’imbriquer les objets, de jouer des masses à la limite de l’équilibre parfois. Vers 1918, après cette attention portée aux mouvements modernes et à leur origine cézannienne, il se tourne vers l’histoire italienne de la peinture, décelant chez les primitifs renaissants tels Giotto et Masaccio comme une manière de faire entrer de l’air, donner de l’ampleur au plus simples sujets. Une manière d’intemporalité ou de suspension du temps. C’est à cette période précisément qu’il découvre la peinturemétaphysique de Chirico et son théâtre désincarné. Et les choses dans sa peinture se mêlent. L’intensité claire, sereine et toute mathématique de Giotto compose avec un certain primitivisme ou brutalisme cézannien, la métaphysique de Chirico, l’attention portée aux ombres et aux lumières, s’infusent en délaissant les thèmes et les objets du surréalisme : il peint des choses. Choses tremblantes dans leur immobilité hystérique, d’une infinie présence. Choses tout autant que le vide qui les espace et les rejoint, peint lui aussi comme chose. « Ici, la réalité est du côté du peintre : dans le bleu épais. », écrivait Rilke.

(…)

Morandi, l’abstraction du réel. Du 5 juin au 26 septembre 2010, Hôtel des Arts à Toulon.


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