Le romancier autrichien Stefan Zweig a tracé dans son œuvre la plus célèbre, « La pitié dangereuse », le portrait de l'homme qui gâche sa vie et celle des autres en cédant à de bonnes intentions. Il fait la cour à une femme dans un mouvement de pitié généreuse, pour lui faire plaisir ; il l'épouse par crainte de la décevoir ; et n'osant assumer le choc d'une rupture, ils s'enfoncent tous deux dans une succession de malheurs. Nous savons certes que l'épanouissement humain ne peut se réaliser sans compassion et amour du prochain. Mais nous devons savoir aussi qu'une certaine forme de pitié veule, de refus d'être vrai par souci de faire plaisir dans l'instant (ou par peur « de faire de la peine », conduit souvent à des conséquences lamentables.
Ce paradoxe de la « pitié dangereuse » s'observe également sur le plan de l'économie :







Echapper au piège qui, sur tant de plans, nous est ainsi tendu, n'et ni simple à concevoir, ni aisé à réaliser. Il n'est pas question de se replier dans l'acceptation passive des duretés de la nature et dans l'insensibilité envers autrui : bien au contraire, le comportement constructif est fait d'amour et de réforme.
Mais aussi de lucidité réaliste. Il faut tout d'abord nous méfier de notre instinct de pitié ; à l'opposé de la compassion, il est toujours ambigu, il comporte une grande part de valorisation de soi-même, de jouissance à se sentir meilleur ou plus fort. Il faut ensuite savoir intégrer à une décision fa prévision de ses conséquences objectives ; donc renoncer à subir l'incantation des pulsions primaires [qui ignorent les effets en retour), ou celle des visions idéalistes, toujours arbitraires et insouciantes du cas particulier. En somme, c'est l'oubli des principes de réalité et d'effort autonome qui rend la pitié dangereuse. Tandis que les vies individuelles accomplies, aussi bien que les réalisations collectives, économiques ou sociales, comportent habituellement un élan vers autrui, mais aussi le respect de son autonomie et une perception lucide des réalités.
Note de Contrepoints : cet article est tiré des Quatre Vérités, une lettre d'inspiration libérale classique publié mensuellement entre 1975 et 1994 par Michel Drancourt, Octave Gélinier, Yvon Gattaz et Jacques Plassard. Publié en 1975, le texte n'a pas vieilli.
Nous mettons progressivement en ligne ces archives avec l'aimable accord d'Yvon Gattaz, directeur de publication. Votre aide est la bienvenue ( [email protected] )
Article paru initialement dans Les Quatre Vérités de janvier 1975 et repris avec l'aimable autorisation d'Yvon Gattaz, directeur de publication.
