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A mes amis, mes frères, Roms, Tziganes et Manouches
.
Nous noierons dans l'ivresse
L'amertume des jours mauvais
Fins saouls de nos rimes
Nous irons par la terre
Délivrer les notes embastillées
.
Ce sera soir de fête
Dans la danse des étoiles
Rien n'arrêtera plus la cadence endiablée
Nous serons à l'aube d'un nouveau monde
Puisant dans l'ancien
Des leçons d'avenir
*
Chaque jour sera à sa fête
La place nous attendra
Dans le bruissement chuchoté de quelque histoire d’amour
*
Tu seras là à m’attendre
Et dans ta main fermée
Nos lettres froissées
L’encre coulée sous nos pleurs
*
Assis sur un banc
Nous contemplerons le temps passé
Sans amertume nous verrons nos enfants
Depuis bien longtemps évanouis
A l’horizon de leurs propres rêves
*
Il nous restera l’ultime contemplation de nos actes
De nos défaites comme de nos réussites
Les cartes seront toujours disponibles
Pour le grand jeu
*
Simplement nous devront secouer nos échines tordues
D’avoir trop œuvrées sous le poids pesant des nécessités
Ce monde là ne nous offrira même plus de répit
La tribu des égoïstes aura tout vendu aux enchères
Et seuls les plus fortunés auront gagné à cette loterie
Le droit à un repos pour leurs âmes serviles et avides
*
Nous n’aurons qu’à voir avec nos yeux fatigués
Ce que nul n’a jamais regardé
Cette vie et ses méandres
Nos amours perdues
L’étendue de nos défaites
*
Nous serons là encore
Lorsque la nuit étendra enfin ses longs bras de maîtresse attentive
Sur nos peaux épuisées
.
Nos mains serrées sur le manuscrit interdit
Où s’inscrit en lettres rouges notre ardu labeur
Nous partirons d’un commun accord
Jetant aux étoiles notre ultime testament
*
Dans un monde qui ne nous aura jamais soutenus
Nous serons désormais silencieux et nus à même la terre
La poussière couvrira nos cheveux d’infortune
Nos formes imperceptibles lèveront le doigt accusateur
*
Frères humains
Qu’avons-nous fait pour mériter ainsi
Votre si cuisant jugement
.
Que notre peau
Notre langue
Nos croyances
Aient pu vous effrayer
Vous nous en voyez contrits
.
Nous avions même ciel que vous à partager
Même terre pour semer graines identiques
Nous avions mêmes rapaces à chasser
Pour survivre encore un jour
.
Et vous nous avez cloués
Au pilori de vos peurs
Affublés d’une peine qui nous poursuit
De générations en générations
.
Vous nous voyez
Raides dans nos maigres guenilles
Et encore
D’un pied négligent
Marchez-vous sur nos dépouilles
*
Hommes parmi les Hommes
Nous n’avions que la fierté de notre sang
Notre dernière fortune avant extinction
.
Nous étions Abel
L’éternel pâtre et nomade
Que Caïn sacrifia
.
Son sang souille encore cette terre
C’est de lui que viennent vos craintes
*
Sourds à notre plainte
Vous cousez le triangle marron de l’infamie
Sur nos chemises rêches
.
Toujours nos pas s’en retourneront
Dans vos nuits d’insomnies
Nous serons à jamais votre mauvaise conscience
*
Cette terre qui accueille notre fantôme
Est celle qui nous a été donnée en partage
C’est à elle que nous confierons nos dernières volontés
Lorsque vous nous aurez ôté tout espoir de vivre
*
Il s’en est retourné, le poète maudit. Il a vu de ses yeux toute l’étendue des misères que l’homme fait aux siens. Il a longuement pleuré du crépuscule à l’aube. Les étoiles laissaient, sur ses cheveux d’argent, quelques perles de rosées, diamants du pauvre désormais sans logis. Dans l’aurore délicate, il a silencieusement saisi son baluchon. D’un pas mal assuré, il a franchi la frontière, gravi les marches de ces sommets où chantaient encore quelques anges. Plus rien ne le retenait en ce monde perdu. Il savait toute la violence et toutes les guerres. La fatigue avait pris le dessus. Il lui fallait désormais reprendre sa posture d’ermite, dans l’attente que quelque cœur pur sache dresser oreille attentive.
Manosque, 31 juillet 2010
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