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La mort - suite mexicaine (Dernière partie)

Publié le 06 septembre 2010 par Ruminances

Posté par clomani le 6 septembre 2010

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Lorsque Luz m'a appris que nous allions le soir à la veillée funèbre d'un compañero, ma première réaction a été typiquement française : le recul. “Mais je ne le connais pas ton compañero, je crois que je vais rentrer lire ou travailler à mon mémoire à ta maison“.
Elle m'a alors rappelé que je voulais connaître les moeurs, us et coutumes de sa petite bande de compañeros et que c'était le moment où jamais, justement ! Bon dieu, mais c'est qu'elle avait mieux saisi que moi le job d'un ethnologue

Sourire
puisqu'il consiste à tout noter, compulser, de ce que l'on voit -sans toujours comprendre et surtout sans juger- sur un calepin afin de recracher toutes les informations recueillies, avec une analyse si possible, une fois rentré au pays.

Voici donc mon chapitre sur un mort en particulier, et la mort mexicaine en général.

L'après-midi, Luz m'a emmenée faire des courses pour la famille du défunt. Je voulais participer, nous avons donc acheté un stock d'énormes chandelles. Parce que c'est ce qu'on offre lorsqu'on va à une veillée funèbre. Départ de Tlaxcala sur le coup de 20h, après une réunion… une heure et demie de route sans lumière dans la sierra escarpée. Arrivés dans le village, sur un haut-plateau, nous cherchons la maison du companero et la trouvons facilement : c'est la plus éclairée du bled. Nous entrons dans une vaste cour, recouverte à moitié par une toile de tente qui claque au vent. Il fait un froid de canard mais des bancs et des tables ont été installés les uns derrière les autres sous cette tente. Dans l'autre moitié de la cour, les enfants s'égaient et batifollent. On entend les vaches meugler dans l'étable, ce qui réveille l'âne voisin…

A l'entrée de la maison, se masse une foule compacte. Ce sont tous les gens venus rendre un dernier hommage à l'homme décédé. Après avoir déposé leurs “velas” (cierges), ils traversent la cuisine et passent ensuite lentement dans la chambre, au pied du lit sur lequel git le mort. Les gens patientent dans la file en papotant et finissent par passer au pied du lit. La veuve est là, toute de noir vêtue, ses enfants aussi, qui remercient les personnes présentes sans chichis. Point de larmes, pas de hurlements déchirants, une ambiance plutôt calme malgré le monde, c'est surtout ça qui m'étonne… et les enfants qui font les fous dehors alors qu'il est 23h, sans qu'aucun adulte n'aille se mêler de leurs jeux ou leur intimer l'ordre de faire silence. La vie continue, tout simplement.

On nous conduit ensuite à une table sous la tente pour nous servir de l'atole et nous proposer du pain sucré fait maison. L'atole (cette boisson consistante à base de maïs) est très, trop sucré… les pains aussi. J'imagine que cet excès de douceur est destiné à calmer la peine. On a souvent envie de sucre après avoir eu un gros chagrin.
J'ai l'impression de prendre un petit déjeuner avant d'aller me coucher. Sauf que nous sommes loin de l'heure du coucher, et que je ne le sais pas…

Sourire

Vient nous rejoindre à la table un des anciens compañeros de la CNUC, cousin du mort, qu'ils n'ont pas vu depuis très longtemps car son travail l'a éloigné de Tlaxcala. Ce sont des retrouvailles joyeuses, des éclats de rire, sans que personne n'y trouve à redire car nous sommes en plein dans la vie, donc dans la mort. Nous tirons notre révérence à la famille endeuillée, qui nous remercie chaleureusement d'être venus, tous, même moi. Le copain retrouvé nous amène alors chez lui, nous installe à table et nous sert un molle poblano de poulet (sauce chocolat) ! L'atole m'a tant “remplie” que je ne peux rien avaler… mais pour ne pas vexer le compañero, me voilà en train de grignotter son poulet (servi avec riz et haricots noirs) ! Quelle horreur ! Je vais éclater ! Il est 1h du matin et je n'en peux plus. Vue l'heure, mon cerveau est fermé à l'espagnol : je décroche de la conversation et lutte contre le sommeil, avec une panse sur le point d'exploser. Enfin, nous levons le camp sur le coup de 3h et rentrons au bercail où je vais pouvoir m'allonger. Pas le temps de faire la queue pour les w.c., je vais derrière la maison, accompagnée de Diego le rottweiler qui pense qu'on va jouer (à cette heure !) et vais ensuite faire mon lit à base de coussins, dans le bureau devenu ma chambre. Le lendemain, en rédigeant mes notes, je me souviens que j'avais trouvé l'ambiance funèbre des plus “surréalistes” et gaies.

Je n'avais pas encore vécu la Toussaint au Mexique. L'année suivante, à Oaxaca, j'ai pu prendre conscience de cette joyeuse légèreté avec laquelle les Mexicains vivent avec la mort.La Toussaint commence sérieusement une bonne quinzaine de jours avant le 31 octobre.

La ville devient orange et marron. Les couleurs de l'oeillet d'Inde sont celles de “La Muerte” au Mexique. Au marché  fleurs, on ne trouve que des glaïeuls oranges, des oeillets d'Inde, destinés à fleurir soit les autels dressés chez les particuliers, ceux des églises… soit à composer les tapis de fleurs recouvrant les allées des cimetières, ou la tombe du défunt. Les banderoles de papier découpé (célèbres au Mexique), les rubans de décoration, les “chemins de table” des autels… tout est orange et marron. Le marché grouille vraiment de monde, beaucoup plus que d'habitude. Les vitrines des boutiques regorgent de marionnettes-cadavres, de masques-tête-de-mort, de T.Shirt-ossements, de citrouilles garnies de rubans marrons… car il est coutume de se déguiser, de mettre un masque de tête de mort pour aller faire la fête.

Tout d'un coup les Mexicains se mettent en surchauffe et font une consommation effrénée de fleurs, de boustifaille, de vêtements, de rubans… Les pâtissiers font des petits personnages en sucre, en massepain : la plupart du temps des têtes de mort. J'ai tout de même vu sur le marché d'Oaxaca de drôles de moulages sucrés : 3 personnages entourés de bandelettes (du sucre), posé chacun sur un brancard (du chocolat), reliés ou pas à un petit flacon (en sucre). A peu près dix centimètres de long, chaque “mort” avait son commentaire figurant sur un petit panneau (en carton) : “muerto de tristesa”, “muerto de SIDA” et “muerto de risa”. A côté, des petites reproductions en sucre de bouteilles de tequila, de bière, et du plat “national”: un petit molle avec riz et haricots noirs. Des miniatures destinées à être offertes aux morts sur les autels des particuliers. Car chaque maison, chaque hôtel, a préparé un autel pour les offrandes aux morts : qui une table, qui une tablette sur laquelle on dépose tout ce dont nos morts peuvent avoir besoin, parce qu'ils reviennent sur terre el dia de los muertos.

Les femmes sont aux fourneaux : il est d'usage d'aller festoyer avec les morts dans les cimetières, en mangeant et écoutant de la musique, sur les tombes, après avoir marché sur les allées jonchées de tapis de fleurs. Ca, c'est une vidéo tournée à Mexico :

J'ai hélas quitté Oaxaca la veille du jour des morts donc n'ai pu participer à cette fiesta. Quel dommage ! Mais dans tous les milieux, qu'on ait ou pas des ascendants dans le cimetière voisin, on s'y rend avec de quoi pique-niquer sur place, et la fête bat son plein dans les cimetières tous les jours de tous les Saints !

En sortant d'Oaxaca en bus (je rentrais à Mexico), ce jour-là, nous avons été ralentis par les embouteillages pour les accès au cimetière de la ville. Il paraît qu'à Mexico, c'est pire.
On dit que les Mexicains ont le culte de la mort. Probablement parce que les murs de Tenochtitlan sont faits de pierres taillées en forme de têtes de mort, parce que la mort était une façon de s'acheter l'amabilité des dieux, du soleil et de la pluie…

Comparés à leurs voisins du haut et à nous qui avons éloigné la mort de notre vie quotidienne, les Mexicains vivent joyeusement à côté d'elle, jour après jour. Leur vie est dure dans cette violence au milieu de ces injustices, certes. Il n'empêche qu'ils ont une de ces pêches !

Suite mexicaine, l'intégrale


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