Revenir
puis partir à nouveau
vers de nouveaux espaces décousus,
décentrés, déboussolés des contraintes du temps,
des vagues limites que le corps se fixe
en règles désuètes, parler
sans jamais que la langue ne sèche
de cette encre raide dont elle tisse l’enveloppe de l’air,
courir vers ces horizons essoufflés,
s’arrêter au bord d’une flaque inconnue,
sourire de l’extrait de visage qui s’y est fractionné,
se rendre compte subitement que l’on est tout,
tout un pan de l’univers mutique
entier,
qui se désagrège
comme une peau muée,
l’autre est là
de l’autre côté du chemin, de l’eau dormante et vive,
sous la boue palpitante et chaude,
l’autre, l’autre palpitation
absolument nécessaire à cette vie de guingois, mal assurée
l’autre, mal nécessaire, l’autre côté,
mais toi, où es-tu ?
Dans quel espace, quelle contrée,
quelle fraction de ce quadrilatère vivant,
qui me constitue,
te retrouver, suivre la piste
des aubes naissantes, des lichens et des mousses,
remonter les pistes invisibles et silencieuses,
remonter le temps comme un fleuve,
comme un chien, comme un chasseur,
poser sa vie sur une rive diamanteuse,
attendre
attendre à genoux, attendre encore
quand on pense encore
que la nuit va tomber,
tomber sans fin sur des désastres
toujours recommencés,
te voir surgir alors,
te toucher sans y croire,
te toucher,
vibrer soudain comme la pluie,
comme le vent et la feuille de l’arbre,
se dire en éclatant de rire,
se dire en pleurant
tu es là
je suis vivant
enfin
"study from the human body, 1949"
francis bacon