Magazine Journal intime

De l'eau sous les ponts

Par Pierre-Léon Lalonde
L'homme se penche en me montrant une cigarette qu'il vient d'allumer. Je hoche la tête en lui faisant signe de monter. J'ai fumé assez longtemps pour savoir ce que c'est et malgré les années d'abstinence j'en apprécie encore parfois les effluves.
Après quelques banalités d'usages, il m'annonce que c'est sa dernière nuit à Montréal. Après 7 années ici, il retourne dans sa contrée natale, à Toulouse dans le sud de la France. Je sais qu'il vient d'arroser ça avec plusieurs amis qui vont le regretter, je sens qu'il est déjà un peu parti et que les émotions se bousculent dans sa tête tout comme le taxi dans les rues de cette ville.
Pendant que je l'accompagne dans sa dernière virée, je le laisse silencieusement errer dans ses pensées alors que les miennes remontent le temps. C'était en quelle année déjà? J'avais pris une sabbatique de l'Université pour aller me balader dans les Europe. C'était en automne, je marchais de long en large dans les rues de Toulouse. J'attendais mon ami Luc qui venait me rejoindre pour continuer le périple. Toulouse, la ville Rose, à cause de la couleur des briques. Le ciment de ma mémoire est pour le moins friable.
Dans le vague dès ses volutes veloutées, mon passager pourrait sans doute me dire le nom du pont sur lequel je m'étais arrêté.
Quelles pensées nous passent par la tête, debout au milieu d'un pont? Pas tout à fait d'un côté, pas tout à fait à bord, on regarde l'eau du fleuve couler, on laisse aller nos pensées pas nécessairement dans le même sens.
Mon client ouvre sa fenêtre pour jeter sa cigarette, il me parle de son fils qui est né ici, qu'il va continuer de voir grandir là-bas. Je lui parle de l'hiver, du vrai, avec ses rafales glacées et ses neiges qui n'ont pas de mots pour les définir. Ça va lui manquer.
Je lui demande le nom du fleuve qui coule dans sa ville. La Garonne. Je m'en souvenais plus.
Je me souviens par contre que là-bas, au milieu du pont, c'est au Saint-Laurent que je pensais. Question de redéfinir sa géographie, de tester ses ennuis. Beaucoup d'eau a coulé dessous depuis.
Ce matin je me plais à songer qu'un de ces jours, debout au-dessus de la Garonne, ce passager aura certainement une pensée sur un fleuve qui coule ailleurs.

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