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Un petit pas pour le Rom, un grand pas pour l’absurdité (communiqué ADDE)

Publié le 09 septembre 2010 par Combatsdh

Voici une initiative très intéressante visant à démontrer l’absurdité du renvoi de 30 000 Roms roumains et bulgares depuis qu’ils sont devenus citoyens européens le 1er janvier 2007. Elle émane d’une idée originale de Me Norbert Clément (qui l’a d’ailleurs d’abord testé sur son vieux camarade de la faculté de droit de Lille II, l’animateur de ce blog). On imagine déjà le gouvernement crier à “l’abus de droit”, nouveau concept promu depuis la « réunion de travail sur les questions de sécurité et d’immigration » du 6 septembre à l’Elysée en dévoyant l’article 35 de de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 (voir l’amendement n°11 du gouvernement au projet de la loi “Besson”). Ce concept “d’abus de droit” sera d’autant plus à la mode dans l’avenir pour démanteler les campements de Roms qu’avec la mise en oeuvre de l’application biométrique dOSCAR, le futur tamagotchi des Roms et ce dès l’âge de 12 ans, les préfectures et l’OFII ne pourront plus leur forcer la main à deux reprises pour qu’ils fassent l’objet d’un retour “humanitaire“.

Circuler en Europe pour un citoyen de l’Union européenne ne constitue pas, en soi, un abus et par ailleurs l’APRF dont a fait l’objet le client de Me Clément est entaché de la même illégalité que les APRF annulés par le TA de Lille les 27 et 31 août 2010 (voir l’un des ces jugements) et aurait donc dû être retiré par l’administration préfectorale. C’est donc la préfecture qui est dans l’illégalité.

On notera au passage qu’alors que depuis la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure l’article 322-4-1 du Code pénal réprime de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende « le fait de s’installer en réunion, en vue d’y établir une habitation, même temporaire », sur un terrain appartenant soit à une commune qui s’est conformée aux obligations lui incombant en vertu de la loi « Besson »2000-614 du 5 juillet 2000, soit d’un terrain privé, le gouvernement a déposé un amendement (qui deviendra le tristement célèbre amendement n°404 à l’article 32 ter A) à la loi LOPPSI 2 en cours d’examen au Sénat (du mardi 7 au jeudi 9 sept.). Il a la particularité de contenir en un seul amendement le record de violations de la Constitution ainsi que de conventions internationales ratifiées par la France (CEDH, Charte sociale européenne, etc.). Il prévoit en effet la possibilité pour le préfet, sans l’accord du propriétaire ni intervention du juge judiciaire de porter atteinte à l’intégrité du domicile en expulsant, sur une simple mise en demeure et un délai de 48h, n’importe quel squat de logements, de locaux et de terrains. A défaut, l’occupant serait passible d’une amende de 3750 euros.

Serge SLAMA

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COMMUNIQUE DE PRESSE DE L’ADDE

(Avocats pour la Défense des Droits des Etrangers)

Un petit pas pour le Rom, un grand pas pour l’absurdité

 

Jeudi 9 septembre 2010, Monsieur C. ressortissant roumain d’origine Rom fera quelques pas en Belgique en franchissant la frontière franco-belge.

Ce faisant, il exécutera l’arrêté de reconduite à la frontière pris à son encontre par le préfet du Nord le 26 août 2010.

Cette mesure d’éloignement ayant épuisé ses effets, Monsieur C. reviendra ensuite en France où il pourra de nouveau séjourner régulièrement.

Cette escapade se fera sous le contrôle d’un huissier de justice.

Monsieur C. est actuellement sous le coup d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) pris par le préfet du Nord le 26 août 2010 sur le fondement de l’article L 511-1-II-8° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d’asile (CESEDA) qui dispose que :

« L’autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :

(…)

2° Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d’un premier titre de séjour régulièrement délivré ;

(…)

8° Si pendant la période de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, pendant la période définie au 2° ci-dessus, le comportement de l’étranger a constitué une menace pour l’ordre public ou si, pendant cette même durée, l’étranger a méconnu les dispositions de l’article L. 341-4 du code du travail ».

Selon l’arrêté du préfet, l’occupation illégale par Monsieur C. d’un terrain appartenant à la communauté urbaine de LILLE situé à VILLENEUVE D’ASCQ aurait constitué un « trouble à l’ordre public ».

Monsieur C. disposait d’un délai de 48 heures pour contester cet arrêté devant le tribunal administratif de LILLE.

Il n’a pas exercé ce recours par méconnaissance de la procédure.

Cependant, onze autres personnes placées rigoureusement dans la même situation que lui ont saisi avec succès le tribunal administratif de LILLE qui a jugé le 27 août 2010 que :

« cette occupation illégale ne constituait pas en elle-même, en l’absence de circonstances particulières, une menace suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société et ne pouvait dès lors être considérée comme une menace pour l’ordre public au sens des dispositions précitées de l’article L 511-1-II-8° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile » [CPDH 30 août 2010].

Le préfet n’a pas pour autant abrogé les arrêtés de reconduite pris à l’encontre des personnes n’ayant pas saisi le tribunal administratif, dont Monsieur C.

Celui-ci peut donc encore faire l’objet d’un éloignement forcé sur le fondement de l’arrêté préfectoral du 26 août 2010.

En franchissant lui-même la frontière pendant quelques minutes, Monsieur C. aura exécuté la mesure préfectorale qui aura épuisé ses effets.

En effet, un arrêté de reconduite à la frontière oblige la personne à quitter la France mais ne lui interdit pas d’y revenir régulièrement.

Ressortissant de l’Union européenne, Monsieur C. jouit de la liberté de circulation attachée à cette qualité et n’a pas à solliciter de visa d’entrée en France.

Il demeurera cependant en situation de grande précarité sans espoir d’en sortir à brève ou moyenne échéance.

Monsieur C. n’est effectivement qu’un ressortissant de l’Union européenne de « seconde zone ».

De nationalité roumaine, son accès au droit de travailler est extrêmement limité par la loi française. 

De plus, membre de la communauté Rom, Monsieur C. fait l’objet de graves discriminations dans son pays d’origine.

Ainsi que l’a relevé la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme :

 « Même s’ils sont présents en Europe depuis le XIVe siècle, les Roms ne sont bien souvent pas reconnus par les sociétés majoritaires comme un peuple européen à part entière. Ils ont souffert, tout au long de leur histoire, de rejet et de persécutions, qui culminèrent avec la tentative d’extermination perpétrée par les nazis, lesquels considéraient les Roms comme une race inférieure. Ce rejet séculaire a aujourd’hui pour résultat que les Roms vivent bien souvent dans des conditions très difficiles, fréquemment en marge des sociétés des pays dans lesquels ils se sont installés et que leur participation à la vie publique est extrêmement limitée » ( CEDH, 13.11.2007, n° 57325/00, § 12) [v. CPDH, 29 juillet 2010].

Par son action, l’administration française participe à maintenir les Roms en marge de la société européenne et ce en contravention avec son idéal démocratique et son obligation positive de protéger les membres des minorités.

De plus, cette politique est parfaitement inefficace : les Roms Roumains jouissent de la liberté de circulation et aucun arrêté de reconduite à la frontière ne pourra jamais les empêcher de revenir en France.

Pour l’ADDE,

Me Vanina ROCHICCIOLI, Présidente de l’ADDE, Avocate au Barreau de PARIS

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Presse :

  • “Des Roms expulsés franchissent volontairement la frontière et font demi-tour”, AFP, 9 septembre 2010

Des Roms roumains frappés par un arrêté de reconduite ont volontairement franchi la frontière franco-belge jeudi à Armentières (Nord), avant de la repasser en sens inverse quelques minutes plus tard sous le contrôle d’un huissier, a constaté un journaliste de l’AFP. Cette opération inédite organisée par deux avocats spécialistes du droit des étrangers “vise à démontrer l’absurdité de la politique du gouvernement français à l’égard des Roms”, ont expliqué Me Clément Norbert et Antoine Berthe.(…) Ils ont pénétré une centaine de mètres à l’intérieur du territoire belge, avant de faire demi-tour.Selon Me Berthe, “les Roms ont exécuté l’arrêté de reconduite, qui devient nul, et peuvent donc revenir en toute légalité, en tant que ressortissants européens, sur le sol français”. (…)

La promenade en Belgique constatée par huissier “prouve qu’il y a des parades à la politique d’immigration actuelle (…). Arrêtons de faire de la communication et occupons-nous des gens”, a plaidé Me Berthe.

  • voir sur le même thème de notre collègue nanterro-valenciennoise : “Les Roms sont aussi des citoyens européens: Le projet de loi relatif à l’immigration devient au fil des jours une véritable monstruosité juridique” , par Myriam Benlolo Carabot, professeur de droit public à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis; Le Monde, 09 septembre 2010 | 16h2

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