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L'épreuve

Par Volodia

Jove se lève en sursaut. Il suinte. Mais il est prêt. C'est le grand jour. La compétition. Il est clean, il le proclame d'ailleurs à chaque intervention médiatique. Ce n'est pas le meilleur de sa catégorie ; il a ses chances cependant. Il sait ce qu'il doit faire ici pour s'améliorer, quel défaut corriger là, quelle attitude adopter face à tel ou tel problème. Il s'est entraîné sans relâche pendant des mois pour parvenir à cela. Ce stade de conscience, de relâchement, de concentration – c'est le travail acharné, auquel s'ajoutent les capacités innées, intrinsèques à son être, son métabolisme.
Daril se lève prestement. Il est prêt. Il sait qu'il va gagner aujourd'hui. Il le sent. C'est peut-être le rêve qu'il a fait cette nuit ; c'est peut-être sa détermination, son expérience. En tout cas il est clean. Il s'habille en silence, rapidement. Il est déjà vainqueur. Mais prudent, intelligent, il relativise son sentiment du saut du lit, il prend du recul. Etre sûr de soi ; ne pas s'imaginer trop vite sur la plus haute marche. Il connaît ça. Les plus hautes marches. C'est l'expérience, vraiment. Le vécu. Les lauriers. Le champagne. Il sort de la pièce.
Kesh se réveille doucement. Il sort du sommeil comme on sort d'une salle de cinéma. Il prend pied dans la réalité, fait jouer ses muscles dans la calme lumière du matin. Il déjeune sainement. Il est clean. Il se prépare avec une lenteur presque poétique. Il ne pense à rien. Il ressent peut-être quelque chose. Ce n'est pas certain. Lui-même ne sait pas. Il ne s'en préoccupe pas. Il n'y a pas de miroir dans la chambre. Sans se presser, il rassemble ses affaires et quitte les lieux. Il se dirige vers le terrain. Il arrivera le dernier.
Liars se retourne dans son lit, puis exécute un joli saut. Pied gauche. Il s'en moque, va vers le bureau, ouvre un tiroir qu'il a au préalable déverrouillé à l'aide d'une petite clé qu'il conserve pendue au cou, à une fine chaînette d'argent. Il sort une mallette du tiroir. Il ouvre la mallette d'un geste agacé mais précis. Il s'empare d'une seringue, dose un produit bleuté, se l'injecte. Une pause. Il saisit une autre seringue, recommence son manège. Une seconde pause. Il range son matériel soigneusement, se lave les mains et s'en va.
Liars gagne l'épreuve. Daril finit second. Jove se classe bon troisième, de peu derrière Daril. Kesh est dernier, loin après le trio – que Liars écrase de sa classe, de sa perfection, de sa supériorité évidente. Les médias s'interrogent. On fait des tests. Positifs. Liars est disqualifié une semaine après le tournoi. Daril est donc vainqueur – après tout il savait qu'il le serait. Trois mois passent. Des échantillons datant du jour de l'épreuve sont analysés de manière aléatoire. Daril est pincé. Les médias montent l'affaire en épingle. Les spectateurs sont déçus, ne comprennent pas. Jove est déclaré vainqueur. Il ne s'arrête plus d'affirmer que le travail prime. Qu'il a mérité ce titre, par son mode de vie, de pensée. Neuf mois passent. Jove est contrôlé positif à un tournoi qu'il vient de remporter. Rétroactivement, les échantillons de l'année écoulée sont passés au crible. Tous positifs. Jove est mortifié. Il devient le bouc émissaire d'un public qui ne croit plus en rien. Kesh gagne l'épreuve par forfait ; cela pourrait relever de l'anecdote s'il ne grimpait pas vertigineusement au classement, devançant de nombreux compétiteurs plus connus que lui. Mais le public, bien que surpris, n'a guère le loisir de s'y intéresser vraiment : une mort inexpliquée, inexplicable, l'emporte une semaine plus tard.


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