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Je ne suis pas une Joan, Kate Atkinson. Cette nouvelle est...

Publié le 12 septembre 2010 par Mmepastel
Je ne suis pas une Joan, Kate Atkinson.
Cette nouvelle est...

Je ne suis pas une Joan, Kate Atkinson.

Cette nouvelle est féroce, cinglante. La narratrice désigne par “Joan” les, pour résumer, desperate housewives ; et insiste bien sur le fait qu’elle n’en est pas une. Les Joan ont entre quarante-cinq et cinquante-cinq ans, ont pour livre préféré Sur la route de Madison, “cherchent tout le temps à changer des détails de leur vie alors qu’elles devraient s’occuper de l’ensemble”, suivent des cours le soir “-chaque année une nouveauté-, conversation française, cuisine cordon bleu, yoga pour débutantes, etc…”. Elles sont croquées par Kate Atkinson avec cruauté et un sens du détail aigu. Pas de nuance. Elle s’amuse dans la caricature. Les Joan sont des pauvres femmes vieillissantes usées par le quotidien et condamnées à une misère sexuelle, affective, relationnelle.

En revanche la narratrice, fière d’elle, explique : “Moi, par contre, je n’ai pas de mari et ne voudrais pas en prendre. Étant belle, je peux choisir mes amants. Je préfère faire l’amour en fin d’après midi, lorsque le soleil perce les jalousies à un certain angle languide et que le jour se replie sur lui-même. Dans un lit en noyer de style Louis XV, jonché d’édredon en soie, d’un jeté en peaux de loup et de montagnes d’oreillers en duvet d’oie de Hongrie, doux comme des nuages emprisonnés dans du lin blanc amidonné.”

Bref, Kate Atkinson oppose deux caricatures : la femme soumise et vidée de substance et la femme libre et sauvage (notez les peaux de loups). La dernière est d’ailleurs pleine de sauvagerie ; tandis que la Joan essaie (en vain) de séduire son mari par la danse du ventre apprise lors d’un de ses cours du soir, la narratrice se vante de tuer ses amants : “J’ai tué un tas d’hommes. Je les tue quand ils sont impolis ou qu’ils m’agacent. Ou lorsqu’ils sont stupides et ignorants.”

Alors que la Joan s’effondre, humiliée par le rejet de son mari, la narratrice “ouvre une de ses fenêtres et(se) glisse par l’étroite ouverture.” “Je suis très belle. Je ne me prénomme pas Joan. Je vole !”

Kate Atkinson renvoie dos à dos ces deux prototypes de la féminité, en évitant soigneusement de proposer toute alternative ; aucun juste milieu n’est envisageable. C’est cette outrance qui nous gifle et nous interroge, nous force à nous situer dans notre propre milieu qui pour nous sera juste : difficile tâche.

Les amazones sont des êtres imaginaires, et le fantasme de la femme sauvage est ancré en chacune de nous ; chacune d’entre nous rêve d’amour dans un manoir, sur des peaux de bêtes sauvages, ou de voler. Mais le narcissisme égoïste de la narratrice est aussi ridicule, et condamné à la solitude. Chacune d’entre nous rêve d’un foyer et redoute l’usure des jours. Kate Atkinson nous laisse seules face à nos fantasmes, nos contradictions et nos petits arrangement avec les sentiments pas toujours purs qui nous agitent. À nous de trouver, d’imaginer, d’inventer notre vie. Mais avec cette construction littéraire lapidaire, l’auteure suggère que ce ne sera pas facile, et ça la fait ricaner.

Et malgré la claque qu’elle nous met dans la figure, on rit avec elle. C’est apparemment la seule échappatoire possible avec elle (plus je la lis, plus je le constate) ; et je ne suis pas loin d’être d’accord.

Photographie des assiettes moqueuses de Trixie Delicious.


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