Magazine Caricatures

Tlaxcala - postface (situation actuelle)

Publié le 14 septembre 2010 par Ruminances

souscommandantmarcos.jpgJe viens de lire un bouquin écrit par le Sub (sous-commandant insurgé Marcos, signe-t-il), « Calendrier de la résistance » -- Éditions « rue des Cascades » -- mai 2007.

Il s’agit de 12 chapitres, correspondant à 12 mois, où il raconte ce qui se passe dans 12 états différents où les Zapatours et autres Caracols sont passés les années précédentes. A chaque état, Marcos commence à rappeler le passé lointain et indigène, puis dénonce les 3 chefs de l’État Fédéral mexicain ayant succédé à Salinas de Gortari. Il dénonce les divers gouverneurs et caciques dans chaque état et le sort qu’ils font subir au peuple indigène, aux plus pauvres de chez les pauvres…

Une fois de plus, ça risque d’être un peu long mais on voit les reculades, le non respect des accords de San Andrés (accords signés avec l’Etat mexicain pour la reconnaissance et le respect des peuples indigènes). Globalement, le Mexique est la succursale « drogue » et « main d’œuvre pas chère » des USA. Extraits :

***

Le Tlaxcala

« Selon les statistiques de l’INEGI, en 2000, cet état avait un peu moins d’un million d’habitants, dont près de 30 000 âgés de plus de cinq ans parlent une langue indigène. Sous le ciel du Tlaxcala, vivent des indigènes nahuas, otomis, hnahnus et totonaques.

Avril

L’aigle (du drapeau) se mue à nouveau en un nuage bleuté qui survole le Tlaxcala. Pénétrant la vallée par le volcan Matlaleuyetl, également appelé « Malinche », le nuage emprunte le « couloir industriel » Apizaco-Xalostloc-Huamantla, grimpe jusqu’à la cité industrielle de Xicohténcatl, puis vire au sud vers la vallée industrielle Malintzi, à hauteur de la lagune d’Atlonga, pour déboucher enfin, une fois franchie la zone industrielle de Panzacola, sur Cacaxtla. Arrivé là, notre nuage prend appui sur la clinne et, plissant les yeux, ouvre son coeur à une histoire dans laquelle rébellion et dignité font se rejoindre les années du calendrier passé et celles du calendrier présent.

Sur le calendrier de la conquête espagnole, il est dit que l’indigène Xicohténcatl Axayacatzin se rendit compte que l’arrivée des Espagnols ne signifiait pas le retour de Quetzalcoatl, que leurs châteaux flottants était le résultat du travail de l’homme, admirable parce que jamais vu auparavant et suggéra donc aux 4 plus grand seigneurs de Tlaxcala de « considérer ces étrangers  comme tyrans de notre patrie et des dieux ». Les gouvernants ne tenant pas compte de ce point de vue, Xicohténcatl tenta peu après de convaincre les autres seigneurs de s’allier avec Ciutlauac qui venait de succéder à Moctezuma sur le trône après sa mort. De son côté, Hernan Cortés essaya vainement de rallier à sa cause Xicohténcatl, mais notre rebelle indigène s’y refusa. Aussi Cortés le fit-il capturer et pendre.

Selon certains, Tlaxcala signifie « terre du pain de maïs ». Pour le néolibéralisme cependant, et comme en témoigne le nuage sur son chemin, cela signifie « terre des maquiladoras ». Dans le Tlaxcala, 62% de la population vit et travaille là où ces ateliers d’assemblage et de confection se sont implantés.

Ici, l’implantation de maquiladoras qui « avalent » ou subordonnent les plus petites entreprises ne cesse d’augmenter. C’est simple, une entreprise s’installe en ville et ensuite se dédouble en envoyant les contremaitres installer leur propre atelier clandestin dans des communautés, de préférence de deux ou trois mille habitants, où ils payent des salaires plus bas qu’en ville et se servent de maisons louées pour quelques mois seulement, de façon à pouvoir changer d’endroit souvent. Il existe une variante qui consiste en ce que l’atelier de confection le plus gros ou qui est déclaré « achète » ou accapare la production des plus petits, clandestins.

Dans certains endroits, les entreprises fournissent les machines et les habitants la main d’œuvre. Les parents laissent même embaucher leurs enfants dès l’âge de 8 ans. Comme au XIXe siècle, les pères de famille deviennent des gardes-chiourmes qui surveillent le travail de leurs propres enfants (payés 5 €/semaine), de 13h – heure de sortie de l’école – à 19h. Les enfants souffrent de malnutrition et désertent l’école primaire.

Comme c’est une région produisant un grand nombre de migrants, les mères et leurs enfants dépendent entièrement du caprice des maquiladoras pour avoir des revenus. La destruction du tissu social communautaire qui en résulte entraîne la prolifération des drogues et de la prostitution.

De plus en plus frénétiquement, le Tlaxcala se couvre d’ateliers… et de résistances à ces maquiladoras car le fait est qu’elles n’arrivent pas seules.

En même temps qu’une recrudescence de l’embauche de mineurs, les organisations sociales ont détecté un nombre toujours plus grand de « brigades d’opérations mixtes », de barrages de contrôle, de caserne des différentes polices, etc…

Dès qu’une route est bloquée par des manifestants, la police arrive et la répression se déchaîne. Des ouvrières ont voulu fonder leur propre syndicat indépendant (elles fabriquent des pièces d’automobiles pour Volkswagen), ce qui fait qu’elles se sont d’abord battues pour obtenir un contrat en bonne et due forme. Évidemment, le syndicat officiel a expédié là-bas des gros bras qui sont allés jusqu’à chasser la police – envoyés surveiller les lieux et empêcher qu’un conflit n’éclate – pour pouvoir cogner librement sur les travailleuses qui voulaient changer de syndicat.

Le « miracle » des maquiladoras, ateliers si chers aux gouvernants et aux intellectuels de droite, ne débouche nullement sur la création d’emplois mais sur un cercle vicieux cauchemardesque entraînant des conditions de travail qui feraient honte aux « encomenderos » de l’époque coloniale espagnole :

« Si vous n’acceptez pas de travailler dans les conditions que je dicte et pour ce salaire, je m’en vais voir ailleurs », disent les maquiladoras. De sorte qu’il existe dans des communes, des ateliers opérant dans des conditions quasi coloniales et produisant selon un régime de surexploitation.

Certains paysans s’opposent radicalement à l’installation de tels ateliers car les ateliers empiètent sur des terrains agricoles irrigables. Deux villages ont ainsi déclaré qu’ils étaient prêts à tout pour résister et défendre leurs terres irrigables. A Panotla, les élèves se sont aussi battus contre la fermeture des écoles que voulait l’administration du Tlaxcala et contre l’alarmante militarisation de l’ensemble du territoire de la commune, reconverti en zone militaire dès 1994.

Les habitants de la commune d’Apizaco ont engagé une bataille juridique et une résistance civile pacifique contre le projet de réglementation en matière de protection et de circulation routière (contre le plan Puebla-Panama), projet calqué sur celui de Los Angeles en Californie qui imposerait un modèle dictatorial de surveillance de la circulation. Pour s’y opposer, les routiers comme les commerçants et les habitants en général firent un débrayage de huit heures. Il en résulte que l’administration judiciaire mène une enquête préalable dans le but d’intimider le mouvement.

Et le gouvernement local, dans tout ça ? Comme il s’est senti exclu du Plan Puebla-Panama (et des fonds débloqués à cet effet), M. Sanchez Anaya a contre-attaqué en lançant le projet « Grande Vision » pour prendre « le train de la modernité » (ça ne vous rappelle pas certaines paroles de nos dirigeants français ?). Sept voies rapides traverseraient donc tout l’État en s’entrecroisant du nord au sud et d’est en ouest, s’incorporant ainsi aux nouveaux réseaux logistiques. Les yeux et les mains néolibéraux sont fermement décidés à s’emparer de l’axe Puebla-Tlaxcala, qui est le 4e couloir de population le plus important du Mexique. C’est normal, il regorge de consommateurs et de main-d’œuvre. Mais ce n’est pas tout : la rébellion aussi y abonde. En 2003, un groupe de Tlaxcaltèques se rassembla à Mexico dans le cadre de la Rencontre nationale des braceros, les travailleurs des champs. »

S’ensuit une itw d’un bracero qui rappelle que 10% des revenus des travailleurs agricoles mexicains aux USA leur serait restitué suite à un accord bilatéral. En 42, l’accord a été signé entre les deux pays concernant les travailleurs agricoles, en 43 un autre concernant les cheminots dans lesquels les 2 gouvernements accordèrent une retenue de 10% à titre d’épargne sur le salaire des braceros qui iraient travailler aux Etats-Unis. Or, à ce jour, les 10% auraient été restitués par les USA à l’État mexicain, mais rien n’a été redistribué aux braceros revenus chez eux « parce qu’ils sont arrivés trop tard pour le demander » prétexte l’état fédéral !…

Viennent ensuite plusieurs témoignages de ces braceros, dont un qui cite Luz, ma Luz, celle qui m’a prise par la main pour m’emmener dans les diverses communautés de l’Etat militant avec la CNUC :

« Au début, en 99, cette lutte est née à Tlaxcala. C’est là que ça a commencé cette année-là parce que c’est en 99 que nous avons appris que l’un de nos compañeros de l’époque était allé en Californie chez un de ses enfants là-bas et qu’il avait vu, par pure coïncidence, le journal où on parlait de cette histoire des 10% , déjà versés au Mexique et qu’il fallait aller toucher notre argent. La 1ère chose que nous avons faite, c’est communiquer la nouvelle à tout le monde. En 2000, nous avons été reçus par le gouverneur de l’Etat de Tlaxcala. Avant, nous avions parlé avec un député du PRD (genre socialiste) mais ça n’avait rien donné. Deux ans plus tard, nous avons pris contact avec la compañera Luz Maria. Ca fait donc 3 ans que nous nous démenons sans cesse. On a commencé à 6, après on a été 60 et maintenant on est 5 mille, grâce à notre lutte, grâce à notre ténacité et grâce à la patience que nous avons eue. En 2002 un député  nous a dit que nous toucherions chacun 5 mille dollars et qu’il nous communiquerait aussitôt le résultat de la séance. C’était du pur mensonge parce que nous n’avons plus jamais rien su de lui. La seule chose qu’il voulait, lorsqu’on l’a rencontré ensuite, c’était accaparer le micro le plus longtemps possible parce que, quand des compañeros ont voulu passer le micro à un compañero bracora, il l’a interrompu; il ne l’a pas laissé placer un mot et est passé à autre chose… »

« Y en a marre d’avoir leur pied sur la nuque », conclut El Sub. Comme on peut le voir, la France n’est pas « grève-land » comme disent nos bourgeois du MEDEF et de notre gouvernement…

Les méthodes mexicaines sont terribles mais c’est, à mon avis, un avant-goût de ce qui peut se passer bientôt en Europe, si on n’y prend pas garde.

Retrouvez l’intégrale de la suite mexicaine


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Ruminances 506 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog