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Rafles

Publié le 21 septembre 2007 par Caroline
Un texte inédit de Pierre Autin-Grenier extrait de
« C’est tous les jours comme ça (Les dernières notes d’Anthelme Bonnard) »
Ils en ont encore attrapé deux pas très loin d’ici, en fin de matinée. Un tout petit brun, les yeux en boules de loto et le teint assez basané c’est vrai; l’autre, on ne saurait dire, pas franchement pâlichon quand même mais très remuant paraît-il. Ils les ont pris dans leur filet sans grande difficulté, jouant sur l’effet de surprise; les deux titis se sont faits piéger comme des moineaux sans que quiconque n’ait eu le temps d’intervenir ni même de protester ou faire du chambard pour empêcher ça. Ils ont très habilement mis à profit la joyeuse pagaille qui règne toujours sur le coup de midi à cet endroit pour débouler à l’improviste, saisir le premier aux épaules l’autre à bras-le-corps qui déjà gigotait comme un cabri, les fourrer tous les deux dans leur fourgonnette et démarrer en trombe. Pour sûr l’opération avait été préparée de longue main et personne, devant l’école, n’a rien vu venir ni même eu le temps de réagir à l’événement; en deux temps trois mouvements l’affaire était pliée et vogue la galère!
Je suis bien obligé de noter que, depuis la prise de fonctions de notre dernier président disons, ce genre d’intervention a tendance à se multiplier un peu partout dans la ville et plus précisément dans notre quartier. Aux enfants d’immigrants qu’il était fréquent de voir disparaître sans laisser de traces, semblent venir s’ajouter aujourd’hui ceux de parents entrés en semi-clandestinité ou, plus simplement, que la rumeur publique donne pour peu favorables au régime voire étrangers aux idées nouvelles. À ce compte-là il faudra bientôt ne pas lâcher ses gosses d’une semelle dans la rue ou leur coudre à grands points les mots d’ordre du pouvoir sur le devant du paletot si l’on veut les revoir vivants au repas du soir.
Je ne parle pas de certaines bavures jusque-là soigneusement tenues sous le boisseau par les autorités mais qui, malgré tout, commencent à faire tache dans une société se proclamant aux yeux du monde entier d’une exemplarité absolue. Ainsi, pas plus tard que jeudi dernier, cet enfant d’ascendance russe dit-on, pris en chasse dans les étages d’un de ces grands immeubles de Memorial Avenue où il avait cru trouver refuge et que l’on a ramassé entre vie et trépas sur le pavé après qu’il ait chuté du quatrième étage. Âgé seulement de douze ans son cas ne peut donc pas être pris en compte par les statistiques du ministère de l’Intérieur certes; semblables bévues participent cependant à instiller un certain trouble mêlé d’appréhension et de crainte dans une partie de la population. De braves gens hier encore partisans enthousiastes du nouveau système et qui ne juraient plus que par ses chefs et les slogans du moment, aujourd’hui commencent à s’interroger.
Parfois j’en viens à me demander s’il faudra attendre qu’ils aient fait disparaître à peu près tout le monde pour qu’enfin nous réagissions et, ensemble, recommencions quelque chose; autrement et même ailleurs peut-être.

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