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Petite visite à la favela Dona Marta !

Publié le 08 août 2010 par Tinkofr
Notre retour à Rio en ce début de semaine a coïncidé avec la venue de ma grande amie Anne-Marie, universitaire québécoise, qui après avoir vécu durant 6 mois à Rio au premier semestre 2009, y revient pour poursuivre ses recherches sur les évolutions de la société brésilienne (et profiter accessoirement des lieux !). Dans ce cadre, elle a programmé une "montée" sur le morro de Dona Marta, où vivent les habitants de la favela du même nom (à peu près 6.000 habitants dans un peu plus de 1.000 habitations), en particulier pour étudier les réactions de la population à la construction du mur censé protéger l'expansion de la favela sur la Mata Atlântica (je vous en ai déjà parlé ici). Elle accepte gentiment que je l'accompagne, et je promets d'être le plus discret et le plus sage possible :)
Nous rejoignons Tatiana (pas ma maman, non !), la guide-géographe qui assiste Anne-Marie dans sa découverte des lieux, puis nous arrivons au pied de la favela. Le calme règne, l'atmosphère est bon enfant, et nous avançons très naturellement jusqu'au pied du funiculaire de Dona Marta : inauguré en 2006 dans le cadre de l'opération "Favela Bairro", il permet aux habitants de rejoindre leurs quartiers respectifs sans trop souffrir de la déclivité des lieux. Nous l'empruntons au milieu des enfants qui rentrent de l'école, et nous en descendons en son premier arrêt (il compte au total quatre tronçons).   Petite visite à la favela Dona Marta !Petite visite à la favela Dona Marta !Nous commençons à nous enfoncer dans Dona Marta, via la Rua da Matriz (la favela dispose de ses propres noms de rues, dont les affichettes ont été "sponsorisées" par la compagnie d'électricité), en traversant celle-ci d'est en ouest afin de nous approcher du fameux "mur de la honte". Plusieurs enfants gambadent dans les rues ou jouent de la "pipa" (les cerfs-volants), et nous ne ressentons aucune tension particulière ni aucune agressivité de la part des gens, comme si au fond la balade par des "étrangers" dans la favela pacifiée (Dona Marta a été la première des favelas de Rio à accueillir une fameuse UPP - Unité de Police Pacificatrice, j'en avais également déjà parlé ici et j'y reviendrai un peu plus loin) était devenue une activité naturelle, acceptée par tous.Nous parvenons finalement aux abords du mur, non sans avoir devisé avec quelques habitants qui préparent, en ce vendredi après-midi, la "festa agostina" (fête d'août) de la communauté, qui aura lieu tous les week-ends de ce mois-ci. Ceux-ci sont globalement souriants et accueillants, et nous expliquent, à propos du mur, que celui-ci est très mal accepté par tous, qui y voient une tentative d'enfermement, voire de ségrégation (l'expression est d'ailleurs tagguée sur l'un des pans du mur...cf ci-dessous) de la part du gouvernement (de l'Etat de Rio), dans une logique d'opposition et de division (le verbe "dividir" employé par plusieurs habitants) des classes riches et de la population favelada. Tous considèrent que l'argument "préservation de la nature" ne tient pas la route, et il faut avouer que l'on voit mal la favela s'étendre encore à l'ouest, puisque l'on est à flanc de rochers...Petite visite à la favela Dona Marta !Petite visite à la favela Dona Marta !Nous poursuivons la balade en grimpant un peu plus haut à travers les ruelles, jusqu'à ce belvédère refait à neuf et qui accueille depuis juin 2010 un portait et une statue de Michael Jackson ! C'est une oeuvre des habitants de la communauté en hommage à la pop star, qui, en 1996, avait tourné une bonne partie de sa chanson "They don't care about us" dans le coeur de Dona Marta ! Ci-dessous la photo de la statue ainsi que le clip vidéo de la chanson, pour le plaisir ! Petite visite à la favela Dona Marta !Petite visite à la favela Dona Marta !
Nous reprenons le funiculaire pour monter tout au haut de la favela. Bien sûr les conditions de vie (et sanitaires en particulier) ne sont guère enviables à Dona Marta...en revanche, maigre consolation, les habitants bénéficient d'un panorama incroyable sur la Zona Sul de Rio : Dois Irmãos, Pain de Sucre, Corcovado, Lagoa...on peut embrasser d'une seule vue l'ensemble de ces symboles de la Cidade Maravilhosa ! Tout en haut, c'est là aussi où a choisi de s'installer l'UPP de Dona Marta, dans un petit immeuble bleu plutôt "cosy". Voici maintenant près de deux ans que les forces pacificatrices de la police sont présentes, commandées par la charismatique et jeune capitaine Priscilla de Oliveira Azevedo (une femme, oui, ce qui n'est pas semble t-il sans causer quelques soucis à certains mâles de la favela...), et force est de constater que si le calme est revenu, si les tiroteios (tirs sporadiques) se sont arrêtés, si le trafic de drogue semble avoir été éradiqué, la présence permanente d'UPP y est pour beaucoup (même si nous n'avons nous-mêmes croisé aucun policier durant les 3 heures que nous sommes restés dans Dona Marta). Les habitants le reconnaissent à demi-mot, mais soulignent également que leur quotidien n'a pas été drastiquement modifié (des règles existantes ayant été substituées par d'autres). On ne peut s'empêcher d'être un peu perplexe, car il nous semble que l'apport de la sécurité dans la communauté, et donc vivre sans crainte d'être blessé par une balle perdue, est un bien unique qui vaut finalement la mise en place de "nouvelles règles". Mais il est vrai que nous n'habitons pas au quotidien dans Dona Marta...Au hasard de notre balade, nous apercevons tout de même la célèbre Priscilla en compagnie de deux de ses hommes, à l'intérieur de la caserne...Les deux questions majeures que soulèvent néanmoins les UPP sont la capacité à étendre le programme aux quelques 1.000 favelas de Rio, alors que seule une quinzaine d'entre elles sont pour l'instant dotées d'une police de ce type (cela paraît inenvisageable, faute de ressources, humaines comme financières), et la pérennité du dispositif, soit après la mandature de ce gouvernement estadual, initiateur du projet, soit après les Jeux Olympiques de 2016 (les UPP sont une vitrine évidente pour rassurer l'opinion internationale dans le cadre de ce grand évènement, mais qu'adviendra t-il après ceux-ci ?Petite visite à la favela Dona Marta !Petite visite à la favela Dona Marta !Petite visite à la favela Dona Marta ! 
Au-delà des UPP, il est à noter que la mairie de Rio vient de lancer un projet très ambitieux en direction des communautés de la ville (qui sous certains aspects me fait quand même un peu penser au programme "Favela Bairro" de la précédente équipe municipale), qui s'intitule "Morar Carioca" ("Vivre Carioca"), et dont l'objectif avoué est l'urbanisation complète des favelas de la ville à l'horizon 2020 -c'est-à-dire les doter de tous les services municipaux basiques type rues goudronnées, places, trottoirs, crèches, écoles, terrains de sport ou encore postes de santé...Le programme est doté d'un colossal budget de 8 milliards de reals (soit environ 3,5 milliards d'euros), à la mesure de l'ambition déclarée et de la taille du projet, herculéen lui aussi. "Morar Carioca" a pour objectif définitif de régulariser la situation des favelas, construites en zone de non-droit, et doit également intégrer un volet relogement pour les nombreuses communautés situées sur des morros à risque (voir les terribles glissements de terrain survenus en avril 2010). Là encore, l'enjeu majeur sera la continuité dans l'action et le respect des engagements pris, principalement en matière budgétaire, dans un pays où les projets se succèdent au gré des gouvernants à la recherche d'effets d'annonce...mais on aurait tort de faire la fine bouche et il faut accorder du crédit à ces programmes (UPP, "Morar Carioca") menées par un gouverneur d'Etat et un maire jeunes et plutôt décidés, après des années d'atermoiements et d'inaction en matière de gestion de l'espace urbain de Rio (et en particulier des favelas). Il nous faut maintenant quitter Dona Marta. Nous redescendons par le même funiculaire (après une petite attente due a une panne intempestive), dans lequel nous tentons de discuter avec une vieille habitante de la communauté, un peu acariâtre et boudeuse, qui nous fait comprendre que la présence de touristes (même si je me refuse par fierté à penser que j'en suis un) ou de visiteurs extérieurs à Dona Marta (là, admettons que j'en soit un ;) n'est pas pour la ravir...le tout dit sans animosité excessive néanmoins. On peut comprendre ce type de réactions, il doit être désagréable de voir passer régulièrement (on a croisé des -vrais- touristes argentins dans le funiculaire) des étrangers venus voir la misère ou se donner un petit frisson dans les zones prétendument à risque de la ville. Voilà aussi pourquoi j'ai mis aussi longtemps à "visiter" une favela, et pourquoi j'ai finalement souhaité le faire dans le cadre du travail mené par Anne-Marie. Merci encore à elle, l'expérience fut passionnante.

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