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Expulsions de Roms : les dessous de l’histoire, de Paris à Rome

Publié le 17 septembre 2010 par Unmondelibre

Expulsions de Roms : les dessous de l’histoire, de Paris à RomeGiuliano Luongo – Le 17 septembre 2010. Le processus d’imitation est un phénomène très répandu dans le domaine politique, en particulier parmi des États qui partagent des caractéristiques similaires. On peut penser aux dernières élections politiques italiennes et françaises : on a vu les mêmes résultats électoraux, avec la victoire de deux faux libéraux. La décision du gouvernement Sarkozy de rapatrier des citoyens Roms dans leurs pays d’origine, tient-elle de la raison et de la justice ou de la course aux votes ?

Cette croisade imprévue a débuté fin de juillet. Des échauffourées ont éclaté à Saint-Aigna (Isère) entre des Roms et des policiers après qu’un Rom a été tué par un policier. M. Sarkzoy a alors a pris la décision d’engager une lutte très ferme contre les Roms. Et pourquoi seulement à ce moment précis ? Il est difficile de ne pas penser que l’Elysée ces temps-ci a vraiment besoin d’un « remontant » pour empêcher la popularité présidentielle de s’effondrer, du fait du scandale Bettencourt-Woerth et la conduite générale de son exécutif.

En août la recette du gouvernement a consisté en des « déportations volontaires » assorties d’une contribution de 300 euros (100 pour les mineurs) pour les citoyens Roms « irréguliers ». Irréguliers ? D’abord il n’y avait pas de critère de sélection cohérent, puisque que des Roms sur la route de l’intégration ont aussi reçu l’avis d’accepter la proposition de s’en aller. D’ailleurs, selon le ministre roumain de l'intérieur, Vasile Blaga, le 29 août : « En ce qui concerne les personnes revenues en Roumanie la semaine dernière (...) nous avons effectué un contrôle précis et elles ne figuraient ni dans les fichiers de police français ou roumains comme auteur d'une infraction ». En pratique, voilà une déportation de population organisée par le gouvernement sous couvert de la sécurité des français.

On trouve la même stratégie lors de la dernière campagne électorale pour briguer la mairie de Rome en Italie. La logique est très simple: le gouvernement fait passer des actions servant ses propres intérêts comme étant « d’intérêt général ». En Italie, la stratégie de diversion a commencé à la fin 2007. Les « Berlusconiens » n’avaient pas beaucoup de chances de remporter les élections, du fait de leur mauvaise gestion de la ville ; mais après l’assassinat de Giovanna Reggiani par un Rom, le candidat de la droite Gianni Alemanno réussit à attirer l’attention sur le seul problème des « Roms contre notre sécurité » pour glaner des votes supplémentaires. Résultat ? Victoire sans souci. Et nous avons assisté à la répétition de cette stratégie par le gouvernement central devant toutes les crises économiques qu’a subies récemment l’Italie.

Mais le problème principal c’est que la politique répressive, en particulier avec ce type d’immigration, donne rarement des effets positifs : les résultats sont les mêmes dans les deux pays. Les tensions entre les habitants « locaux » et les Roms s’exacerbent : la radicalisation du conflit social mène à l’affirmation de factions politiques extrémistes, qui contribuent d’autant à aggraver ce processus.

Mais ne parlons pas seulement des grands effets sociaux : la doctrine Sarkozy réussit en même temps à être très dispendieuse sans obtenir le résultat escompté. Payer les Roms pour quitter le pays ? Sauf qu’ils sont des citoyens communautaires et donc ils n’ont pas de problèmes à revenir s’ils le veulent. Et techniquement ils ne peuvent pas être rapatriés. Le traité de Schengen stipulant l’ouverture des frontières parmi les pays de l’Union, garantit la libre circulation des citoyens communautaires, un droit fondamental pour tous les résidents avec la citoyenneté européenne.

L’Elysée n’a pas réussi à défendre ses actions pendant la réunion des ministres européens pour l’immigration du 6 septembre, en particulier la circulaire du 5 août qui ordonne aux préfets de cibler les camps illicites, « en priorité ceux des Roms ». Le 9 septembre le Parlement Européen a adopté un texte qui demande aux Etats membres de « suspendre immédiatement toutes les expulsions des Roms ». Une double procédure d'infraction contre la politique de la France à l'égard des Roms va être enclenchée, sur demande de la Commissaire luxembourgeoise Viviane Reding qui parle de “honte" à propos de la politique française d'expulsion. Le sommet de l’UE le 16 septembre aurait donné lieu à un accrochage entre MM. Barroso et Sarkozy.

Le gouvernement a agi délibérément contre des valeurs piliers de l’Union pour appliquer une politique populiste dédiée au rassemblement d’un consensus dans un moment de crise, sans penser aux effets négatifs qui pouvaient se développer. En même temps, il a détruit le travail d’intégration engagé avec difficulté par l’Église et les ONG, pouvant ainsi provoquer une perte de contrôle sur les communautés nomades qui, après un tel traitement, seront encore plus rétives à s’intégrer. Et tout ça sans oublier la réputation désormais ternie de la France suite aux critiques du Pape et de l’ONU et d’autres pays européens.

Mais quels sont les résultats pratiques sur le plan de la « politique politicienne » ? Un sondage CSA pour Le Parisien du 25 août indiquait que le 48% des français sont favorable à cette loi, contre le 42% contre. La popularité du Président est montée de 2% en deux jours après la loi. Succès plein, donc ? Heureusement pour la société civile, non. La popularité du Président reste arrêtée à 35% (Ipsos, 9 septembre). Sarkozy va perdre la faveur de son parti, mais il gagne le consensus des électeurs du Front National : 31,9% en juillet mais 52,4% en septembre (Ipsos). Le 17 septembre un sondage Opinionway indique que 56% des français désapprouvent les critiques de Bruxelles.

Dans tous les cas, les expulsions continuent. En Italie le Ministre de l’Intérieur Maroni confirme ses intentions d’appliquer une politique encore plus dure. L’ « affaire des Roms » est encore loin de sa conclusion, et sans changement de politique dans ces deux pays, les conséquences pour la liberté et la sécurité en Europe sont imprévisibles.

Giuliano Luongo est un économiste italien (Université de Naples Federico II).


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