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Battre en retraite

Publié le 18 septembre 2010 par Ruminances

retraiteerby.jpgMonsieur le directeur de la CRAV,

C’est avec infiniment de regrets que je me permets de refuser votre offre généreuse de prendre ma retraite. En effet, je suis bien consciente que mon entêtement à rester dans le monde du travail fait obstacle à l’entrée sur ce marché -- bien nommé -- du travail de plus jeunes, plus dynamiques, plus corvéables et moins payés que moi.

Soyez remercié, car vous avez fait de grands efforts puisqu’ayant élevé 3 enfants, il me restait 8 annuités à effectuer avant de pouvoir toucher ma pension sans pénalité. Or avec la nouvelle loi de 2033 proposée par M. Eric J. Woerth*, vous avez réduit d’une année cette durée : je vous en suis vraiment infiniment reconnaissante. De plus, au lieu de toucher la pension de réversion de mon mari, décédé depuis maintenant 10 ans, à 65 ans, je la toucherai dès mon 64ème anniversaire, c’est-à-dire dans quelques mois : c’est une grande avancée sociale !

Toutefois, je reste la seule ressource de mes 3 garçons, de leurs femmes et de mes 6 petits enfants, et le montant estimé par vos services de ma pension ne s’élève qu’à 300€ compte-tenu de la décote pour ces 7 années qui me manquent, alors que j’en gagne 800 actuellement grâce à ce formidable travail de vendeuse que j’exerce dans ce magasin de prêt-à-porter pour personnes du 4ème âge. Comment se fait-il, me direz-vous, que ces 12 personnes soient inactives ? Las, ce n’est pas faute de les avoir motivé à trouver un travail -- quelle personne ne souhaiterait pas se rendre utile à la société ? -- mais les 20 millions de chômeurs que compte notre beau pays leur ont fait perdre leur travail il y a 4 ans puisqu’ils ont été remplacés par d’encore plus jeunes, encore moins payés, encore plus prêts qu’eux à travailler plus.

Pourtant, avec la fermeture des frontières aux migrants adoptée par M. Besson en 2018, il y avait de quoi faire ! Tous ces emplois désormais accessibles aux bons Français ! Mais que voulez-vous, mes enfants n’ont pas voulu accepter les baisses de rémunération qui leur étaient gentiment proposées par leurs employeurs afin de maintenir l’emploi. Quels nigauds ! Du coup, ils ont été licenciés et remplacés par des ouvriers moins regardant sur leurs conditions de travail et ils se sont tous retrouvés à ma charge…

Je peux vous dire que j’en ai été très mortifiée, car je ne les ai pas éduqués à la rébellion ! Sans doute ont-ils été pervertis par leurs lectures sur Internet, cet antre de pensées démoniaques et contre-productives ! (à ce propos, il faudrait vraiment durcir la loi Internet et Expression, elle est beaucoup trop laxiste !)

Bref, nous pouvons nous estimer heureux que la charité bourgeoise soit à nouveau d’actualité depuis la suppression des minima sociaux, car sans cela, nous serions sans doute bien en peine. En particulier, je salue Madame Bettencourt, la fille de cette Madame Bettencourt qui porta le combat contre une fiscalité abusive à l’encontre des grandes fortunes il y a une vingtaine d’année. Figurez-vous qu’elle nous gratifie tous les mois de 50€ ! Après avoir travaillé 20 ans pour elle (oui, j’ai eu la chance de travailler pour elle comme soubrette pendant toutes ces années), elle a la générosité de me verser cette somme alors que rien ne l’y oblige ! C’est vraiment une grande dame…

Je vous demande donc humblement de bien vouloir me permettre de continuer à travailler jusqu’au terme légal  de ma carrière, en espérant que cette attitude égoïste ne vous offensera pas trop. Je suis encore en bonne santé, mon taux d’invalidité n’est que de 15%, et  je considère de ce fait comme mon devoir de poursuivre mon activité plutôt que de peser sur le budget de la CRAV.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes plus humbles salutations.

*le fils du fameux Eric Woerth qui permit à notre pays de sortir du Moyen-âge en réformant le système de retraites.


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