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Gouverner, c’est falsifier

Publié le 20 septembre 2010 par Ruddy V / Ernst Calafol

Gouverner, c’est falsifierDepuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, le mensonge et l’hypocrisie sont officiellement devenus des moyens de gouvernance. Le Spectacle n’a plus de limites.

Nicolas Sarkozy est le premier président intégralement spectaculaire, c’est-à-dire qu’il vit le pouvoir en se fiant surtout aux moyens que la machine spectaculaire propose : imposer un message, tout miser sur l’effet médiatique, laisser la réalité concrète dans le flou artistique. Là où les machiavélismes d’antan restaient relativement secrets ou conduisaient à des démissions, le mensonge aujourd’hui est devenu évident, assumé par les responsables gouvernementaux.

- Michèle Alliot-Marie, dans une interview donnée à Paris-Match du 2 septembre, ne craignait pas de dire : « On a dit tout et n’importe quoi sur Eric Woerth (…) De quoi voudrait-on qu’il soit coupable ? » On se demande donc pourquoi la police a investi le siège de l’UMP une semaine après ces déclarations. Récemment, dans VSD, Gérard Longuet a également affirmé : « Le dossier Woerth est vide. » Des gouvernants qui décrédibilisent l’action des enquêteurs, étrange coutume.

- De quelle manière Eric Woerth assure sa défense ? C’est peut-être là le plus stupéfiant : il semble s’en moquer. Alors qu’il avait répété ne pas être intervenu dans la remise de la légion d’honneur à De Maistre, il se reprend à la suite de fuites dans la presse. « J’ai fait comme de multiples députés, c’est d’une grande banalité. » Autrement dit : « Tout le monde ment, j’ai fait de même, où est le problème ? » Interrogé par les policiers sur le même sujet, Eric Woerth avait eu cette formule : « Je ne suis pas sûr d’avoir eu un rôle. » Traduction : « Vous m’emmerdez. »

- Autre affaire éclairante de ce point de vue, celle de la circulaire citant nommément la population Rom. Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, chez Jean-Jacques Bourdin sur RMC, a eu du mal à trouver des raisons de la justifier. Comment a-t-il tenté de s’en tirer ? En assommant les auditeurs d’expressions toutes faites. Il a, par exemple, répété a de nombreuses reprises : « Ce qui me choque, ce sont le PS et les associations. » S’il n’y a rien de choquant dans cette circulaire, l’observateur objectif restera surpris de voir que Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, l’a quelques heures plus tard remplacée par une nouvelle où le mot « Roms » ne figurait pas.

- Toujours concernant cette circulaire, Eric Besson, ministre de l’Immigration, a affirmé ne pas la connaître. Etrange, quand on sait que les deux compères semblaient travailler en totale intelligence, donnant des conférences de presse ensemble. Et puis, détail technique relevé par Le Canard enchaîné : le directeur de cabinet de Besson était apparemment en copie du mail informant de l’existence de la circulaire.

- De manière plus générale, mais dans la même perspective de falsification de la réalité, on peut s’inquiéter de la valorisation excessive d’indicateurs arbitraires.  Par exemple, on mesure de plus en plus l’insécurité en se basant sur le « sentiment d’insécurité ». Cela vient du fait que les statistiques du ministère de l’Intérieur sont  souvent présentées avec peu d’objectivité. Autrement dit, après avoir débattu sur des chiffres à prendre avec des pincettes, on va discuter sur des sondages, discutables par définition, rapportant un « ressenti » (donnée peu scientifique s’il en est). Ceci formant une matière d’analyse encore plus sujette à caution.

- Ce primat du « ressenti social » tient aussi pour préjuger de la valeur d’une personnalité politique. Ainsi, l’ancien secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Yves Jégo était l’invité des Grandes gueules de RMC, le 14 septembre. Cette phrase lui a échappé, à propos de Michèle Alliot-Marie : « Les sondages le démontrent, c’est une femme politique de grande qualité. » Une telle affirmation ne prend sens que dans le cadre d’une société devenue absolument spectaculaire : la gestion de son image est devenue la qualité en elle-même. D’où un début de réponse au problème qui nous occupait plus haut : on peut en effet mentir sans rougir sur les réalités, dans la mesure où ces réalités n’ont plus guère d’importance au sein du débat public.

Quels enseignements tirer de cette pratique décomplexée du mensonge ?

Ces déclarations prouvent tout d’abord que le métier de ministre est devenu un métier de l’irréel, et que les valeurs fondatrices de notre société, telles que la séparation des pouvoirs, le responsabilité d’Etat, tombent progressivement en désuétude, au profit des valeurs du Spectacle.

Qu’un ministre distribue des décorations à tour de bras à des personnes qui ne le méritent pas forcément, c’est aussi vieux que la Légion d’honneur elle-même. Mais assumer avec une telle morgue le double-discours, sans avoir une seconde l’idée de démissionner, voilà le triste point où nous sommes. Aujourd’hui, on tient mordicus à son poste, comme s’il n’y avait plus aucune illusion à entretenir sur la valeur morale des dirigeants. La médiocrité a rarement honte d’elle-même. Mais aujourd’hui, certains de nos gouvernants n’ont même plus à faire semblant d’avoir honte.

Quand tout va mal, on invoque le terrorisme

Que peut faire un gouvernement discrédité à ce point ? Il ne lui reste qu’une solution : invoquer le danger terroriste pour tenter de remobiliser par la peur. C’est ce qu’a fait Hortefeux, profitant de trois récentes alertes à la bombe. Il a, sous l’oeil des caméras, évoquéla menace terroriste qui s’était «réellement renforcée» en France «ces derniers jours et ces dernières heures». Elle s’est en effet drôlement renforcée depuis l’émergence des affaires Woerth et de la circulaire sur les Roms. (Tout cela était analysé par Guy Debord, dans ses Commentaires sur la société du spectacle).

Autre faiblesse du système actuel, plus grave : il entraîne irrémédiablement la montée en puissance des mouvements populistes, en Europe et aux États-Unis. Ceux-ci sont à la source des plus laides catastrophes de notre histoire. Mais y a-t-il encore un minimum d’attention intellectuelle aujourd’hui, pour ne serait-ce que lancer un avertissement qui résonne ? Existe-t-il encore une fenêtre de tir pour faire passer un message sérieux ?

On peut craindre que la structure même de notre société, qui ne permet pas, du premier coup d’œil, de repérer des élites crédibles, ne tende à la massification et la simplification du débat, c’est-à-dire à sa disparition, c’est-à-dire à la régression culturelle au sens large. A vouloir trop se départir d’esprit de sérieux, on se met toujours dans des situations sérieusement graves.

Crédit photo : World Economic Forum / Flickr



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