- Mémère ! Mémère, viens vite, ils arrivent je te dis !
- Attends pépère, je fais sortir le chat d’abord.
Pépère est assis dans la vaste cuisine, sur une chaise devant la fenêtre ouverte. Mémère s’approche lentement et viens s’asseoir sur la seconde chaise à ses côtés. C’est vrai, les revoilà comme tous les ans à la même époque qui passent devant leur petite maison. Pas moyen de les louper, ils sont trop voyants et trop bruyants. Tous les ans, le premier et le trente et un juillet, ainsi qu’en août, pépère et mémère s’installent ainsi devant leur fenêtre pour regarder passer les vacanciers.
La presse, la radio et la télévision les ont annoncés longtemps à l’avance et ils sont fidèles au rendez-vous, aussi réguliers que le Père Noël mais aussi chiants que les sauterelles et se déplaçant dans les mêmes conditions, en hordes ou en essaims. Partis du nord, ils ont le teint pâle et l’œil avide. Après s’être gavés de soleil au sud ils remonteront le visage bronzé et l’œil terne autant qu’envieux à la vue de leurs congénères qu’ils croisent sur les routes. Et pépère et mémère sont là eux aussi, comme tous les ans, à les regarder passer.
Il faut reconnaître qu’ils sont trop drôles. Entassés dans des voitures qui semblent trop petites pour eux, ils se ruent vers des plages trop encombrées. D’ailleurs pour le vacancier tout semble trop petit, sa place au camping, la durée de son séjour, son budget de dépenses et le coffre de sa voiture !
- Oh ! Regarde ceux-là, ils sont bien, hein ? Ils sont combien dans la voiture, cinq ou six ?
- Bah ! Attends ! Il y a les parents devant, derrière il y a au moins deux gosses et le chien. On dirait un briard, le clebs. Ils sont bien au chaud.
- Dommage pour eux que ce soit la canicule ! De toute façon ce n’est pas ça qui va les retenir, au contraire, c’est ce qu’ils aiment. Pendant les vacances, s’ils n’ont pas leur grosse chaleur ils s’estiment lésés. Ils ne peuvent pas rester sous les tentes car on y étouffe alors ils vont s’avachir sur les plages comme des escalopes de veau sur le grill.
- Moralité, ils passent la majorité de leurs congés affalés à ne rien faire tout en suant de plaisir. La sueur étant la preuve tangible de leur bonheur. « Rien que de respirer on était en sueur » diront-ils à leurs connaissances, dans un spasme de plaisir, en revenant.
- Mais quand tu leur demandes ce qu’ils ont vu de beau dans la région, comment vivent les gens par là, ils n‘ en savent rien. Il faisait trop chaud vous savez, et puis la circulation sur la côte… On profitait de la plage.Toute l’année, c’est métro-boulot-dodo, là on avait le bon air, pour les gosses c’est vital.
- Ah ! Ah ! Ah ! Ne ris pas comme ça, tu vas t‘ étouffer. Tiens mange une pêche. C’est un péché de ne pas manger de pêches en été ! Ah ! Ah ! Ah !
- Dis donc la circulation augmente on dirait.
- Tant mieux, ils vont ralentir, on les verra mieux. Branche la radio on pourra suivre les bulletins d’informations sur le trafic routier.
- Hé ! Vise un peu ceux-là dans la Peugeot, on dirait l’exode.
- Ouais… sauf qu’on emmenait pas la planche à voile. Ah ! Ca commence à bouchonner, ça devient bon. Regarde le gros y commence à râler. Il n’a pas fini !
Attention, flash spécial du PC routier de Rosny.
…Oui je vous appelle car on vient de nous signaler un très grave accident à proximité d’Angoulême. Dans le sens Paris-Province. Un car de touristes vient de percuter à pleine vitesse trois caravanes qui venaient de s’emboutir peu de temps auparavant. Je vous rappelle dès que j‘ai d’autres détails.
- C’est le premier de la journée et ce n’est pas encore devant chez nous que ça se passe. Ce n’est vraiment pas de veine ! Les ambulances, la police, tout ça …
- Et la télévision ! Ils nous auraient interrogés puisqu’on aurait tout vu. Ca aurait été chouette.
- Tiens, ils ne bougent plus. Là, c’est le vrai bouchon. Oh ! Il y en a un qui nous fait des signes. Il dit qu’il a soif, il voudrait de l’eau.
- Ne bouge pas ! On fait les sourds, les vieux c’est sourd.
- Il gesticule drôlement. Regarde il nous montre le bébé.
- Z’avaient qu’à prévoir ! On leur demande rien, nous. Quand ils ont construit l’autoroute devant chez nous, personne ne nous a demandé notre avis. Et tous ces connards dans leur bagnoles ils devaient même bicher, ils devaient se dire, chouette cette année pour les vacances, avec l’autoroute on va gagner plusieurs heures.
- Ils s’imaginent que tout le monde est à leur disposition. On n’est pas là pour les ravitailler. En plus d’ici peu il va être quatorze heures, ils vont commencer à descendre de leurs autos pour venir pisser contre le muret du jardin, ces sagouins !
- Ca chauffe dans les bagnoles, il doit faire au moins trente cinq degrés. Celui-ci ça fait au moins vingt minutes qu’il a pas bougé d’un centimètre. Au début il nous regardait en se marrant, il nous prenait pour deux cloches, maintenant on dirait qu’il blêmit.
- Dis donc mémère, si on se faisait une petite sieste ? On ferme les fenêtres, on sera au frais à l’ombre, de toute façon ils seront encore là tout à l’heure…
- T’as raison pépère, allez dis-leur au revoir !
Pépère et mémère se lèvent et rangent leur chaise autour de la table de la cuisine, mémère ferme les persiennes et la fenêtre. La maison est plongée dans le calme et la fraîcheur s’installe. Les klaxons impatients paraissent bien loin maintenant. Pépère et mémère se reposent dans leur chambre, ils ont tout l’été pour regarder passer les touristes, alors le premier jour il vaut mieux ne pas abuser.