chronique :
Changer la politique du logement ?
par thierry caron,
ce que je pense de mon pays.
On pourra certes me qualifier d'oiseau de mauvais augure et surtout souligner à quel point je fais preuve de cécité, pour autant je crois que nos gouvernements successifs n'ont pas perçu un des plus grands risques économiques qui nous guette : celui d'un crash immobilier majeur !
Nous nous gobergeons en effet des États Unis en pensant que nous, les Européens nous sommes à l'abri d'un tel phénomène, et que nous ne verrons jamais des banlieues désertées et fermées comme celle de Cleveland (USA).
Malheureusement, rien n'est moins sûr, et à cela je vois deux raisons au moins :
La première tient en effet dans la conception que nous avons de l'habitat : nous imaginons que l'habitat idéal est une petite maison dans laquelle nous vivons en famille. Pour faire clair le modèle actuel de réussite sociale c'est la maison, papa maman et deux enfants. Or, s'il existe encore des familles et des gens pour faire des enfants, force est de noter que premièrement, la venue des enfants dans le couple se fait de plus en plus tard et surtout que nombre de personnes vivent seules de plus en plus longtemps. Mieux avec la crise de l'emploi, je dirais qu'aujourd'hui les enfants sont la sanction de la réussite sociale, on fait des enfants quand on a acquis une situation, autrement dit à 28/30 ans et plus à 22 ! Nous avons donc ainsi des familles plus tard et surtout nous avons de plus en plus de primo accédants au logement qui sont célibataires ! Les jeunes étudiants partent avant d'avoir conçu un projet de vie en couple, et même parmi ceux qui finissent par se marier, un bon nombre devront refaire leur vie et passer par une période de solitude. Or malheureusement nous continuons à penser que logement égal famille. Alors que depuis 30 ans les modes de vie s'atomisent et que nous nous individualisons, nous offrons de plus en plus un marché du logement inadapté à la demande. Pour étayer mes dires je m'appuierais ainsi sur un fait majeur du marché : plus la surface proposée est petite plus elle coûte cher en terme de prix au M2.
Aussi pour résoudre la crise du logement, peut être faudrait il changer la politique de construction et d'accession à l'habitat.
Au lieu de continuer comme on le fait de construire de plus en plus de maisons individuelles peut être faudrait il recommencer à bâtir de petits appartements dans lesquels les jeunes pourraient, par exemple faire leurs premières armes dans la vie. Si par un accès plus simple et plus démocratique au logement, les jeunes accédaient du même coup à l'indépendance, peut être éprouveraient ils l'envient et même le besoin de se rencontrer et pourquoi pas de nous faire des enfants ! Autrement dit par une politique du logement visant à « l'accession au logement » plus qu'à l'accession à la propriété nous parviendrions mieux à équilibrer dans le futur nos comptes sociaux !
Sans rire, la question est d'importance. L'accession au premier logement comme au premier emploi est une des étapes majeures dans la vie d'un individu, reporter indéfiniment l'un et l'autre c'est d'abord alimenter la frustration d'une jeunesse qui rêve à bon droit d'indépendance, et participer à accroitre le déficit démographique qui nous menace. Il faut donc d'urgence réorienter la politique du logement en direction des jeunes et des « primo entrants » sur le marché de l'immobilier, aux seules fins d'amoindrir les effets pervers de la crise du logement que nous traversons actuellement.
Mieux, je dirais que sans doute il faut définitivement renoncer à la politique d'accession à la propriété. Nous voyons aujourd'hui à quels effets pervers elle conduit. Non seulement elle ne permet pas de résoudre la crise, mais en plus elle a produit une banlieue monstrueuse que nous ne parvenons pas à irriguer correctement en terme de transport. L'étalement de la ville pose ainsi aujourd'hui de nombreux problèmes, à commencer par ceux de la pollution, mais en plus il est de moins en moins pertinent au fur et à mesure que le prix de l'énergie s'envole ! Si ce n'est pas déjà le cas, on peut imaginer en effet que très bientôt du fait du coût exorbitant des transports et de leur rareté relative, certaines populations soient définitivement parquées dans leurs banlieues-dortoirs fussent elles des banlieues-dortoirs de luxe ! À n'en pas douter si nous parvenons à une telle situation, nous ne ferons pas l'économie de grandes tensions.
Au surplus, lorsque les propriétaires s'apercevront que leurs logements commencent à se dévaluer, peut-être s'interrogeront-ils sur la pertinence de leur choix, et la nécessité de les réorienter. Nous aurions ainsi des maisons à perte de vue, vides, inintéressantes et de plus en plus fragiles, alliées à une demande de logement insatisfaite ! Un comble non ?
Alors, je sais, vous allez me dire que la politique d'accession à la propriété a d'autres effets positifs. En popularisant le logement individuel, les autorités politiques ont stabilisé l'électorat et bien peu de gens sont aujourd'hui tentés par le vote communiste. Les petits propriétaires sont les premiers à craindre qu'on partage leurs biens.
C'est évident. Mais cela relève du CHOIX POLITIQUE et non de la nécessité économique et sociale. Nous pouvons donc, au nom de la stabilité du pays continué à favoriser « la promotion sociale par la propriété », cependant, il est à craindre que celle-ci n'alimente la hausse permanente de l'immobilier sans résoudre ni le mal-logement ni la crise des transports qui menace. Peut-être faut-il donc faire marche arrière en matière de logement et imaginer par exemple qu'on se remette à promouvoir les HLM pour permettre aux jeunes notamment de réinvestir les centres-villes, et trouver du travail.
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