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Sarkozy et les nouvelles institutions

Publié le 28 septembre 2010 par Argoul

La Ve République a changé en 2000 lorsque Jacques Chirac, Président, et Lionel Jospin, Premier ministre, ont décidé de modifier la Constitution pour instaurer le quinquennat présidentiel, avec des élections législatives dans la foulée. Elle fut présentée aux Français comme consensuelle et clarifiant les pouvoirs en cas de risque de cohabitation. Un référendum a donné le ‘oui’ à 73% - mais il y a eu 69,3 % d’abstentions…

Ce qu’on voulait ?

• Réduire la longueur du mandat présidentiel, fixé à sept ans par hasard (en attendant que l’héritier du trône se déclare en 1871). Le double septennat de François Mitterrand et de Jacques Chirac a lassé.
• Éviter autant que faire se peut la cohabitation d’un Président d’un bord politique et d’un Premier ministre d’un autre, qui brouille les cartes, incite au renoncement politique, et empêche d’appliquer pleinement un programme de gouvernement. La double cohabitation Mitterrand-Chirac, puis Chirac-Jospin a lassé.
• Ressembler un peu plus aux grands pays proches, États-Unis et Royaume-Uni, où l’Exécutif est clairement désigné sur quatre à cinq ans pour appliquer un projet présenté aux électeurs.

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Ce qu’on a eu : un usage français des institutions qui n’a pas été changé.

• Le présidentialisme, en germe depuis l’élection directe du Président en 1962, s’est accentué. Son parti ne lui sert plus qu’à gagner le pouvoir, il ne l’utilise plus comme force de proposition une fois élu. Le Président n’apparaît plus comme arbitre mais comme chef de clan.
• Le bonapartisme, hérité du charisme des élus comme de la notion nébuleuse de la « nation en armes » de la Révolution, s’est trouvé légitimé. Le Président ne délègue plus, il se veut responsable de tout, au risque de brouiller l’essentiel avec l’accessoire. Soit il compatit et se montre volontaire sur tout ce qui agite l’opinion - et il apparaît agité ; soit il reste en retrait - et il apparaît indifférent, voire méprisant. Rançon du système médiatique qui favorise l’émotion, le « coup » et qui réagit de façon moutonnière à tout ce qui survient. Le Président n’apparaît plus comme rassembleur au-dessus des partis mais comme un premier ministre.
• Le caporalisme, trait de caractère issu des clercs d’Église (détenteurs de la vérité révélée) et accentué par l’organisation hiérarchique et militaire du pouvoir (depuis la défaite contre la Prusse en 1870), a été soutenu par l’énarchie. La notion vague de « service public » permet de se parer de vertu à bon compte lorsqu’on a été formé dans les écoles d’élite pour devenir grand serviteur de l’État. La tentation est grande, dans la lignée saint-simonienne comme dans celle des instituteurs, « hussards noirs de la République », de prétendre savoir mieux que les citoyens ce qui est bon pour eux. Au détriment du débat démocratique comme de l’assentiment de l’opinion. Le Président n’apparaît plus comme gouvernant mais comme décideur.

Gouverner, c’est prévoir ; c’est aussi écouter et faire travailler une équipe. Rien de tout cela avec le nouveau système : le Président est seul maître à bord après Dieu. Le Premier ministre n’est plus qu’un exécutant. Son rôle de liaison entre l’exécutif et le législatif disparaît au profit de petit télégraphiste des oukases d’en haut. Il en ressort une atmosphère de conflit et la tentation pour le parti majoritaire d’éclater entre différentes nuances. Sans  une certaine autonomie de proposition et d’action par rapport au Président et à la technostructure de gouvernement, à quoi servent donc les partis ?

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On le voit, Nicolas Sarkozy s’est coulé avec son tempérament dans le costume taillé pour lui par MM. Chirac et Jospin. Qui n’ont pas vu plus loin que le bout de leur nez d’énarques (forcément les meilleurs et les plus intelligents). Ils n’ont rien vu des inconvénients de ce système bâtard :

• ni parlementaire où un chef de parti gouverne avec son parti pour cinq ans – mais avec le contrepouvoir d’une reine ou d’un président
• ni présidentiel, où un élu gouverne quatre ans à la tête d’une équipe nommée par lui – mais avec le double contrepouvoir d’un Parlement qui peut le contrôler (budget, nominations), le censurer et même le destituer et qui est remis en cause à mi-mandat.

Nicolas Sarkozy a eu le courage politique d’engager une réforme des pouvoirs du Parlement en 2008. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas été aidé par l’opposition, toute à ses querelles d’ego, ni par sa majorité, qui s’est contentée de suivre béatement, sans plus d’idées.

On ne changera pas Nicolas Sarkozy par décret. Mais le Président pourra être changé par les élections. Si d’autres candidat(e)s apparaissent mieux placé(e)s. Mais à condition que les Français prennent conscience qu’ils élisent un « personnage » plutôt qu’un être humain, quelqu’un façonné par les institutions qui lui donnent du pouvoir.

Je n’en veux donc pas à Nicolas Sarkozy d’être ce qu’il est. Il est fort probable que Ségolène Royal, qui l’a défié au second tour, n’aurait pas tenu aussi bien dans la crise financière et géopolitique des années 2008-2009. Le problème n’est pas Sarkozy ou un autre, il est dans la construction du pouvoir. La France a « choisi » (avec 69.3% d’abstentions) d’élire un monarque chef de bande et irascible pour cinq ans. Et son élite techno l’a fort encouragée, malgré les mises en garde de gens sensés comme Raymond Barre.

La France, qui connaît les pires relations entre patrons et salariés de la planète développée ; la France qui voit son Académie des sciences juger les citoyens mineurs pour débattre “à huis clos” du changement climatique dont tout le monde parle ; la France qui connaît l’école la plus méprisante qui aime à « casser » les écoliers - après tout, cette France là, qui est la nôtre aujourd’hui, ne peut s’en prendre qu’à elle-même si elle engendre des Frankenstein.


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