Ma chère cousine, ma tendre et belle amie, tu me vois désolé de t'avoir laissée si longtemps sans nouvelles. Nulle excuse ne vient au bout de ma plume, tu sais mieux que personne que je ne sais te mentir. Ce serait me mentir à moi-même, mentir à nos serments, à nos "à jamais" qui sont nos toujours.
Je sais que tu te languis, dans ton lointain exil, de tes sables noirs de l'Etang-Salé, des vagues qui, pour nos corps enfantins, étaient géantines, de nos rires de peur et de soulagement. Je sais tout cela, je le lis dans tes mots, entre deux lignes écrites de ta main si légère. Je sais que plus que moi te manque ton pays. Je n'en ai pas rancune, crois-le bien.
Tu m'as demandé comment ici le monde allait. Il va. De plus en plus de gens n'ont pas de ressources, et sont obligés de quémander l'aide publique pour subvenir à leurs élémentaires besoins. Tandis que dans la lointaine Perse, une femme est promise à une mort atroce, ici, sur notre tant aimée île de la Réunion, nos édiles se disputent comme les enfants que nous étions pour un bout de pouvoir, pour un morceau de viande.
Je ne puis, malheureusement, chère cousine, te donner sans te mentir de bonnes nouvelles de l'île que tu chéris plus que tout. Tu m'as dit que dans ton pays de froidure, tu avais l'impression que tout se disloquait. Hélas, ici, le monde se brise de même. Sais-tu que que notre chère nénène a du recommencer à travailler, ne pouvant subvenir à ses besoins avec sa maigre pension ? Elle a 67 ans. Et, tu t'en rappelle, a commencé à travailler à 16 ans. Sais-tu aussi que de plus en plus de gens, ici, dans notre île, en sont réduits à aller chercher de l'aide alimentaire. Comme les pauvres allaient, quand nous étions enfants, à la soupe populaire devant l'église Saint-Jacques. Souviens-toi de tante Rolande, qui leur laissait un franc à la sortie de la messe, en gromellant "J'espère qu'il ne va pas boire avec mon argent". Elle nous faisait rire, tante Rolande, avec sa robe trop repassée, ses cheveux trop bien peignés...
Chère cousine, c'est ton rire qui me manque.
François GILLET