Magazine Politique

Les socialistes et les nouvelles institutions

Publié le 29 septembre 2010 par Argoul

Nous avons évoqué hier comment Nicolas Sarkozy s’est coulé dans le nouveau rôle présidentiel instauré par la réforme constitutionnelle voulue par MM. Chirac et Jospin en 2000. Et la gauche ? Ce n’est pas mieux…martine-aubry-profil-nb.1285665675.jpg

France Inter vendredi 24 septembre : Claude Bartolone, proche de Martine Aubry, vend la mèche : les militants socialistes auront des “primaires de confirmations”. Pas question de choisir, ce sera l’appareil. Les godillots du socialisme n’auront qu’à valider. Nous voici revenus au stade suprême du centralisme démocratique, si cher à Lénine : le Bureau politique décide en comité secret, la base applique sans état d’âme une fois la décision prise - et toute déviance est considérée comme une erreur de compréhension du cours de l’Histoire, donc une maladie mentale (le vrai prolétaire est un être sain). Elle est destinée à être traitée comme telle : avertissement, exclusion, enfermement.

Le Point 25 septembre 2010 : Martine Aubry, première secrétaire du PS, tente de déminer la bombe. Elle promet des postulants “de poids et de qualité” aux primaires ; elle répète que le parti organisera des primaires “exemplaires et transparentes” avant la présidentielle ; elle réaffirme “qu’il n’y aurait pas de difficultés entre Dominique et moi. Ségolène a proposé de discuter avec nous, c’est une très bonne idée”. Sauf que le député Claude Bartolone a révélé que le roi était nu… Après des élections ‘à l’iranienne’ pour élire la première secrétaire, où chacun a menti et truqué allègrement, comment croire que tout est redevenu rose ? Que les risettes en public sont autre chose que de la poudre aux yeux ?

Nous sommes très loin de l’élection – en début de législature – du leader du parti travailliste au Royaume-Uni ; très loin des primaires à l’américaine, très ouvertes, qui commencent la campagne présidentielle. Il faut voir dans la pusillanimité du PS envers les primaires, imposées par la base et concédées par démagogie, un héritage de son histoire. Rappelons que le parti socialiste n’est jamais sorti ni de l’idéologie marxiste, ni des pratiques léninistes.

Selon le marxisme, seul le prolétariat a raison dans l’Histoire, il en est la force motrice. Le surmoi gauchiste des extrémistes a toujours culpabilisé les socialistes, qui ont peur de rater l’histoire. Selon le socialisme prussien du temps de Bismark, l’État est l’instrument de la transformation sociale. Gagner le pouvoir d’État, c’est engager la révolution en conduisant la majorité prolétaire aux commandes. Les socialistes français, volontiers anarchistes et syndicalistes dans leurs débuts, sont prisonniers de l’efficacité prussienne : ils se sont convertis à l’État au détriment du fédéralisme et des coopératives de la Commune.

Les pratiques léninistes, fort efficaces, ont achevé de convertir le PS. Elles seules paraissent aptes à forger un parti qui arrive au pouvoir en régime bourgeois. D’où l’élitisme technocrate du parti, dont le saint-simonisme de caste adopte aisément la technique de Lénine. Comment s’étonner que le parti socialiste garde, consciemment ou non, révérence envers tout cela ?

Rappelons ce qu’est ce “centralisme démocratique” inventé par Lénine : la base envoie ses représentants élus (sur liste unique, approuvée par les instances), niveau par niveau, jusqu’au sommet. Elle a droit de recevoir d’eux des comptes-rendus d’activités mais le sommet contrôle toutes les activités des échelons inférieurs et a pouvoir de décision car, “en fin de parcours, la décision ultime, celle qui tranche, n’est du ressort que des instances statutaires du Parti dans leur hiérarchie établie » (Annie Kriegel, “Le système communiste mondial”, in Pouvoirs n°21, 1982, page

8)
.

Ce centralisme n’a de ‘démocratique’ que le nom, ce qui compte est bien de tenir en quelques mains les rênes. Non seulement la direction du parti fixe l’ordre du jour des réunions, mais “organise” la discussion de façon à mettre en valeur les idées qu’elle juge les meilleures et les apparatchiks fidèles qu’elle désire promouvoir. Par exemple DSK. Tout “débat” est donc un monologue. Dans un système où tout est absorbé par la sphère idéologique, où tout acte est “politique”, il ne saurait d’ailleurs y avoir débat… C’est bien ce qu’a montré en son temps Philippe Robrieux (Le centralisme démocratique de Lénine à Staline, Le Monde des 9 et 10 juin 1978).

segolene-royal-yeux-vers-le-ciel.1285665692.jpg
L’usage socialiste des institutions ne sera donc pas changé.

• Le présidentialisme dû à l’élection directe du Président promeut le parti uniquement pour gagner le pouvoir. Une fois élu, le ou la Président(e) n’est pas arbitre mais chef de clan. La base ne sert plus à rien, seuls comptent celles et ceux qui l’ont soutenu.  

• Le bonapartisme, tradition de droite, devient robespierrisme à gauche, ce qui n’est guère différent mais se veut sens de l’Histoire, Morale et Bien en soi. Le charisme de l’élu demeure, dont la légitimité vient de cette notion nébuleuse de la « nation en armes » de 1793 comme de la loi théorisée par Marx. Le Président ne délègue pas, il est responsable de tout, il est le Guide suprême pour entrer dans l’Histoire. Les medias l’obligent à être people et proche des gens, des petits, ceux qui ont la légitimité prolétaire de conduire le changement révolutionnaire. Comme à droite, soit il compatit, promet des lois ou de décrets sur ce qui agite l’opinion - et il apparaît empressé ; soit il reste en retrait - et il apparaît désabusé, voire technocrate. C’est bien ce que reproche l’extrême gauche aux énarques du PS. A droite comme à gauche, le ou la Président(e) n’apparaît plus comme rassembleur au-dessus des partis mais comme une sorte de premier ministre obligé d’apparaître à chaque événement. 

• Le caporalisme est accentué à gauche au point d’apparaître comme ‘caporal-socialisme’. Peut-être parce qu’il y a plus d’énarques sûrs d’eux-mêmes et dominateurs, peut-être parce que les socialistes se sentent plus encore, grâce à l’idéologie marxiste, les successeurs des clercs d’Église (détenteurs de la vérité révélée). L’organisation hiérarchique et militaire de l’administration n’est pas remise en cause, au contraire : l’État est survalorisé et son outil est le ‘service public’. Il devient vite pléthorique et mal organisé, jamais contrôlé (quoi : noter les notants ? contrôler les contrôleurs ? légitimer les légitimes ?) La tentation reste, dans la lignée saint-simonienne comme dans celle des instituteurs, de prétendre savoir mieux que les citoyens ce qui est bon pour eux. Le ou la Président(e) n’apparaît plus comme gouvernant mais comme décideur.

Aucun espoir donc, la France est ce qu’elle est : terre ‘de commandement’, hiérarchique, caporaliste, férue de dirigeants à poigne. L’État est tout, peut tout, veut tout. A droite comme à gauche, il y aura autant de flics, d’inquisition fiscale et d’injonctions morales, de décisions d’en haut. La France a le régime qu’elle mérite.


Retour à La Une de Logo Paperblog