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Histoire secrète du pétrole algérien par Hocine Malti

Publié le 30 septembre 2010 par Harki45
Histoire secrète du pétrole algérien par Hocine Malti
Nous produisons ci-dessous un mail qui nous a été transmis pour info par Rachid. Tout œuvre est pertinente : CE QU'ILS ONT FAIT DE L'ALGERIE! Histoire secrète du pétrole algérien par Hocine Malti... « L’Algérie est malade de ses dirigeants, pas de son pétrole« , écrit Hocine Malti. Cet ancien dirigeant de la Sonatrach (la société nationale d’hydrocarbures) est l’auteur d’une passionnante Histoire secrète du pétrole algérien. Il y raconte comment, au fil des ans, l’Algérie indépendante a sécrété une oligarchie qui a confisqué, grâce à de juteuses commissions, la richesse pétrolière du pays et s’est arrogé un quasi-monopole sur les importations. Sortie le 2 septembre 2010, ce livre explique comment les milliards de dollars des hydrocarbures sont toujours aujourd’hui au cœur des règlements de comptes permanents entre les différents clans du pouvoir. Hocine Malti, ingénieur des pétroles, a participé à la création de la Sonatrach, dont il a été vice-président de 1972 à 1975. Conseiller du secrétaire général de l’OPAEP (Koweït) de 1975 à 1977, puis directeur général de l’Arab Petroleum Services Company (Tripoli) jusqu’en 1982, il est aujourd’hui consultant pétrolier. INTRODUCTION : L’Algérie, un pays malade de ses dirigeants Quelle année fabuleuse pour l’Algérie que cette année 1956 ! Coup sur coup, en janvier puis en juin, on a découvert du pétrole dans le Sahara, à Edjeleh et à Hassi-Messaoud. Six ans plus tard, à l’issue d’une longue guerre de libération, le pays accédait à l’indépendance et on était alors en droit de penser qu’il y ferait bon vivre, car il serait riche de milliards de barils de pétrole et de mètres cubes de gaz qui feraient le bonheur de sa population. Ce ne sera malheureusement pas le cas. Richesses volées, peuple piétiné Et pourtant, l’Algérie est un pays très vaste, au climat doux et modéré, dont la terre, pour peu qu’on la travaille, est très fertile. La nature l’a aussi doté de fonds marins très riches tout le long d’une façade maritime que la Méditerranée a finement ciselée de criques et de plages merveilleuses. À l’arrière, la Mitidja, autrefois grenier à blé, puis la chaîne de montagnes de l’Atlas, couvertes de forêts, sur lesquelles il neige assez abondamment en hiver, sont propices à l’agriculture et à l’élevage qui y fournissent d’excellents rendements. Plus au sud, le joyau de cet ensemble, le Sahara, est probablement le plus beau désert au monde avec des paysages féeriques et des oasis que de nombreux poètes ont chantés. Les cheminées volcaniques de la région de Tamanrasset, les sublimes dunes de Taghit et l’entrelacement sans fin de celles des ergs occidental et oriental, offrent des panoramas grandioses que des millions de touristes seraient enchantés de découvrir. Le sous-sol algérien est extrêmement riche. On y trouve de tout : du charbon, du fer, du zinc, du cuivre, de l’or, du platine, du plomb, des phosphates, de l’uranium, de la bauxite et bien d’autres minerais encore. En dehors du pétrole et du gaz, bien entendu. Le peuple algérien, enfin, est fier et vaillant. En 1962, l’enthousiasme de sa jeunesse, l’énergie et l’élan formidable insufflés par la fin de cent trente-deux années de nuit coloniale constituaient autant d’atouts supplémentaires. Les revenus de la manne pétrolière, judicieusement utilisés, devaient lui permettre d’affronter les affres du sous-développement et de prendre à bras-le-corps les problèmes de la reconstruction du pays. Le destin des Algériens était d’être un peuple heureux et l’histoire du pétrole algérien aurait pu être un conte de fées. Hélas ! La réalité que va révéler cet ouvrage est totalement différente, car ce que l’on sait des hydrocarbures algériens, ce que l’on en a vu ou ce que l’on en voit ne constituent que la partie visible de l’iceberg. On ne peut que constater, plus d’un demi-siècle plus tard, que le bonheur de ce peuple lui a été volé par ses dirigeants, que le pays est devenu un enfer, tandis que le sort de millions d’Algériens n’est que malvie et souffrances, voire sang et larmes. Pourquoi ce don du ciel qui aurait dû causer joie et bonheur est-il devenu source de tels malheurs ? L’argument souvent invoqué est qu’il existerait une « malédiction pétrolière ». Auquel cas il n’y aurait rien d’autre à faire, pour y mettre fin, que d’attendre le tarissement de tous les gisements pétroliers ou que l’on cesse de les exploiter. Mais à vrai dire, l’Algérie est malade de ses dirigeants, pas de son pétrole. Ces dirigeants despotiques se sont emparés du pouvoir par la force des armes au lendemain de l’indépendance, un pouvoir que des successeurs corrompus ne veulent toujours pas remettre, à la fin de la première décennie du xxie siècle, entre les mains de son propriétaire légitime, le peuple, et qui ont fait des hydrocarbures leur bien personnel. C’est pourquoi l’Algérie n’est aujourd’hui ni démocratique ni populaire et de moins en moins une république, contrairement à ce que proclame le nom officiel du pays. La véritable malédiction est dans le système de gouvernance instauré par ces dirigeants, qui attribue tout le pouvoir à un homme et à un quarteron de généraux. Elle est dans le mode de transmission de ce pouvoir au sein d’un seul et unique clan qui prétend être une « famille révolutionnaire ». Elle est également dans la façon dont sont gérés les hydrocarbures au profit de cette seule caste. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment en est-on arrivé là ? Je tâcherai d’expliquer tout au long de cette histoire secrète comment les ressources pétrolières ont attisé ces dérives despotiques. C’est parce que j’ai été présent, dès 1964 et pendant près d’une vingtaine d’années, au c?ur même de l’outil pétrolier de l’Algérie, la Sonatrach, ou en détachement auprès de certaines de ses ramifications à l’étranger, et que j’ai continué ensuite à baigner jusqu’à ce jour dans un environnement pétrolier, que je me devais de relater la saga de l’or noir de mon pays. Je me devais aussi de raconter comment la poignée de jeunes cadres qui étions présents au début de cette saga en a écrit les plus belles pages, comment nous avons monté, pièce par pièce, cet instrument du développement économique du pays qu’est la compagnie nationale des hydrocarbures et comment nous avons arraché l’autre indépendance, économique celle-là, lors des nationalisations du 24 février 1971. Cette longue bataille, nous l’avons menée face à des armadas d’experts internationaux, au prix de lourds sacrifices et au nom de cet avenir meilleur pour notre peuple que lui promettaient ses dirigeants. Je dois cependant admettre que nous ne nous étions pas rendus compte que certains d’entre eux étaient déjà en train de s’en mettre plein les poches et de tisser les mailles des réseaux qui allaient leur permettre de s’approprier le pouvoir et les richesses du pays. Au fil du temps, ces hommes qui ont prétendu avoir combattu le colonialisme par idéal patriotique, pour que le peuple vive libre et heureux, qui se sont décrits comme les défenseurs de la veuve et de l’orphelin, sont devenus les nouveaux colons, les Machiavel qui aujourd’hui règnent sur un pays en totale déliquescence, dans lequel ils ont fait de la vie de leurs concitoyens un enfer, mais qui demeure pour eux un pays de cocagne. Il est certain que si le pétrole n’avait pas été découvert en pleine guerre de libération, celle-ci aurait duré moins longtemps. Comme on le verra, la France a en effet multiplié les efforts – militaires et politiques – afin de reculer le plus possible l’inéluctable indépendance, dans la perspective de garder le contrôle des hydrocarbures algériens (ce qu’elle réussira d’ailleurs en partie, lors des accords d’Évian marquant la fin de la guerre en mars 1962). Le règlement politique qui a tardé à venir a permis à trois chefs militaires, ceux que l’on a appelés les « trois B » (Lakhdar Ben Tobbal, Abdelhafid Boussouf et Krim Belkacem), de prendre en 1958 la direction des opérations de la révolution algérienne. Ils ont été suivis plus tard par un quatrième B (Houari Boumediene), qui a instauré à l’indépendance un régime dictatorial – qui prévaut jusqu’à ce jour -, avant que Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika n’entament l’?uvre de destruction du pays. Rente pétrolière et corruption Plus de cinquante ans après l’indépendance, le peuple algérien dépend toujours pour sa survie à 98 % de la vente des hydrocarbures. Au point que, depuis les années 1980, la vie politique du pays est largement déterminée par les fluctuations de leurs prix sur le marché international. Quand ces prix augmentèrent en 1980, le régime stoppa net tout investissement et se mit à importer tout et n’importe quoi, y compris le superflu, aux seules fins d’asseoir sa popularité. En 1988, la chute des prix a débouché sur des émeutes, brisées au prix de la mort de 500 personnes, fauchées par les balles du pouvoir. A contrario, quand les prix du pétrole atteignirent des sommets à 150 dollars le baril durant les années 2006-2007, le régime se mit à rêver de bâtir la plus grande mosquée du monde musulman après celles de La Mecque et de Médine, toujours dans le but de renforcer son pouvoir en s’attirant les bonnes grâces d’une frange de la population, mais aussi de réaliser un édifice plus grandiose que la mosquée érigée à Casablanca par le roi Hassan II. Le pétrole a aussi permis à l’État algérien de peser durablement sur la scène politique internationale. Son image de « leader du tiers monde » dans les années 1960 est devenue plus tard un paravent hypocrite pour ses propriétaires, les généraux à la tête de l’armée et de la police politique, la Sécurité militaire : ils ont utilisé en sous-main les milliards de dollars des hydrocarbures afin d’acheter le silence des grandes puissances mondiales sur leurs dérives antidémocratiques. J’essaierai également d’expliciter comment, derrière les discours grandiloquents de lutte contre la corruption, des pots-de-vin exorbitants puisés dans la manne pétrolière sont allés progressivement garnir les comptes bancaires des hommes du régime. Afin de perpétuer leur pouvoir en faisant main basse sur le pétrole et le gaz, surtout depuis les années 1980, ils se sont acharnés à faire de la véritable ressource intarissable de l’Algérie, ses hommes et ses femmes, une populace malléable et corvéable à merci. À empêcher les compétences de s’affirmer, à entraver le désir des citoyens de s’épanouir, à briser les ressorts de la société à s’émanciper, car pour eux un peuple majeur était un peuple dangereux. Ne pouvaient alors prospérer dans ces conditions que les incompétents ou les yes men, ce qui a contribué à enfoncer encore un peu plus l’Algérie. Pire, quand les généraux se sont affichés (presque) au grand jour avec leur coup d’État de janvier 1992, ils ont fait le choix de la guerre civile pour prévenir le « péril islamiste » : ils ont assassiné ou laisser assassiner une grande partie des 200 000 morts enregistrés depuis, aux fins d’assouvir leur soif de pouvoir et d’opérer une razzia sur les hydrocarbures. Tout en prétendant n’être mus que par le désir de préserver la démocratie, une démocratie qui n’a jamais existé en Algérie, aujourd’hui encore moins que par le passé. J’expliquerai également comment les hommes qui ont présidé aux destinées du pays ont marqué chacun à sa manière les étapes de sa descente aux enfers. Ainsi, Houari Boumediene lui a inoculé, à compter de l’été 1962, le virus du pouvoir personnel, son coup d’État du 19 juin 1965 étant venu simplement confirmer une situation préexistante. Son despotisme a cependant eu des retombées positives. Les revenus des hydrocarbures ont servi à améliorer le niveau de vie des citoyens, à mettre le savoir à la portée de tous, à fournir du travail à un grand nombre de jeunes, à établir une certaine équité au sein de la population et à fournir une couverture sociale même aux plus démunis. L’option socialiste qu’il a imposée à l’économie n’était probablement pas la meilleure pour la développer ; elle correspondait néanmoins aux v?ux de la majorité et représentait à l’époque le choix de plus de la moitié des habitants de la planète. Je raconterai comment, tout en continuant d’exercer le même pouvoir personnel que son prédécesseur, Chadli Bendjedid a favorisé la propagation d’une autre gangrène dans le pays, la corruption. Sa famille, sa belle-famille, son entourage immédiat et d’autres cercles au-delà ont détourné une part importante de la rente pétrolière à leur profit personnel. En refusant d’assumer les tâches qui relevaient normalement de la fonction présidentielle, il a permis à la police politique, la redoutable Sécurité militaire, de prendre la totalité du pouvoir (on dit en Algérie que tous les pays possèdent leurs services secrets, mais que les services secrets algériens possèdent un pays). Ses réformes à la hussarde, du secteur pétrolier notamment, ont également contribué à la déliquescence de l’État. Je relaterai aussi comment, depuis l’arrivée à la tête de l’État en 1999 d’Abdelaziz Bouteflika, simple président de façade, on a assisté à une extension généralisée de la corruption. Au-delà des clans du pouvoir, au-delà des membres de sa propre famille, plusieurs couches de la société ont été contaminées, à la manière de métastases cancéreuses se propageant à travers un corps humain, au point d’entraîner un changement complet des mentalités. Il est aujourd’hui ancré dans les esprits – chez la jeunesse en particulier – que seuls l’entregent et les pots-de-vin permettent de régler les questions de la vie quotidienne, qu’il s’agisse de la réussite à un concours, de l’obtention d’un diplôme ou de la délivrance d’un simple document administratif. Le régime instauré par les tuteurs de Bouteflika a également franchi un pas dans la destruction des valeurs morales du peuple algérien, que d’autres avant eux avaient un tant soit peu préservées. Aux fins d’assouvir leur soif de pouvoir, ils ont foulé aux pieds les intérêts suprêmes du pays, leur action la plus emblématique ayant été la promulgation, en 2005, d’une loi sur les hydrocarbures qui plaçait les richesses du sous-sol sous contrôle étranger. Durant cette période, certains chefs militaires sont allés jusqu’à commettre, pour un pot-de-vin, des actes d’espionnage pour le compte d’une puissance étrangère. La très spéciale « maladie hollandaise » de l’Algérie L’Algérie de 2010 est doublement malade. La rapine à laquelle se sont livrés – et continuent de se livrer – les hommes du pouvoir est venue aggraver la « maladie pétrolière » qu’elle avait contractée auparavant. En 1956, au moment des découvertes ? En 1962, lors de la confiscation du pouvoir par l’armée ? En 1979, quand la police politique s’est accaparée de la totalité du pouvoir ? On peut en discuter, mais cette maladie de l’économie en rappelle en tout cas une autre, le Dutch Disease. Selon les économistes qui ont forgé ce concept, les causes de cette « maladie hollandaise » sont d’ordinaire directement liées à l’irruption d’une richesse unique et subite, tel que le pétrole dans le cas de l’Algérie. Elle fut révélée dans les années 1960 par les conséquences nuisibles sur l’économie des Pays-Bas provoquées par les grandes découvertes de gaz de la province de Groningue et de la mer du Nord : l’accroissement des recettes d’exportation permises par le gaz a causé le renchérissement du florin, nuisant ainsi à la compétitivité des autres exportations du pays. La variante algérienne de la « maladie hollandaise » est à la fois plus « primitive » et plus sophistiquée, puisqu’elle n’a même pas permis qu’existent des industries exportatrices, alors que cet échec de ses dirigeants les a conduits à fabriquer une économie presque entièrement dépendante des hydrocarbures, mais qui « tient » aussi par une assez habile gestion clientéliste de la rente pétrolière. L’Algérie pouvait-elle échapper à ce mal ? Certainement, si elle avait eu des dirigeants plus honnêtes, plus soucieux des intérêts de la nation que des leurs propres, plus habiles dans l’établissement de programmes de développement du pays que dans le calcul des commissions à toucher sur telle ou telle affaire, des dirigeants plus désireux d’assurer l’avenir de tous les enfants algériens que celui des leurs uniquement. Les exemples de la Norvège et du Koweït, qui ont été touchés par ce syndrome et qui ont pu s’en sortir moyennant la création de fonds souverains dans lesquels ils ont placé leurs excédents financiers, sont là pour prouver que cela n’était pas impossible. L’Algérie pourra-t-elle en guérir ? Quelle solution trouvera-t-elle pour s’en débarrasser ? En 2010, voilà déjà quinze à vingt ans, voire plus, que les hommes en charge de sa destinée, tous issus du même moule et du même système, parlent de l’après-pétrole, sans pour autant préparer le pays à affronter cette perspective cauchemardesque. Le lecteur se rendra certainement compte, après avoir découvert les secrets de cette histoire pétrolière, que l’Algérie est effectivement beaucoup plus malade de ses dirigeants que de son pétrole. Histoire secrète du pétrole algérien, par Hocine Malti. La Découverte, septembre 2010, 360 pages, 21 €.

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