Cette fois, c'est la bonne. " Traditionnellement, la politique internationale n'a joué qu'un faible rôle dans l'élection présidentielle française. Il devrait en aller autrement en 2012 ". Du moins est-ce là ce qu'avance dans son préambule le texte du PS sur les questions internationales et européennes, soumis à l'examen des militants ce jour puis à la validation définitive par ses instances la semaine prochaine. Que les Français s'intéressent, au hasard, à la circulation des biens ou aux délocalisations, personne n'en doute ; mais qu'ils trouvent de quoi répondre à leurs interrogations dans la production de cette troisième convention du projet socialiste, c'est un tout autre problème.
Curieux objet en effet que ce texte touffu, plutôt que dense, de 20 pages. Alors que le premier parti d'opposition évoque par ailleurs " la bataille des idées " et " l'hégémonie idéologique ", il commence par parler ici pendant deux pages de l'échec de la politique de Nicolas Sarkozy, avant d'y revenir fréquemment dans le corps du document, comme s'il était impossible de construire un projet sans se référer à l'omni-président. Plus problématique, on se demande rapidement pour quel lecteur ce document a été écrit. De par son statut d'assise du futur programme présidentiel, il est censé parler, au minimum, aux militants, et plus largement, on peut l'espérer, aux sympathisants de gauche. Ce qui impliquerait d'adopter le point de vue d'un citoyen français ; donc de donner plus de poids et d'espace aux problèmes le concernant directement, d'une part, et d'autre part de faire un effort de présentation et de pédagogie pour les questions relevant moins de son quotidien. Nulle préoccupation de ce type ici : on découvre un texte écrit comme de surplomb, commençant par parler de réforme de l'ONU, enchaînant les commentaires scolaires sur l'état du monde, et n'abordant que dans un second temps les sujets que l'on imagine plus brûlants pour les futurs électeurs, protectionnisme ou immigration notamment. Cet ensemble donne le sentiment de viser avant tout à " faire sérieux ", plutôt qu'à s'adresser au peuple de gauche et à sa composante socialiste - qui aura probablement eu toutes les peines du monde à se l'approprier en quelques maigres semaines de débat. On remarquera au passage qu'outre l'ordre et la hiérarchie de ce projet, c'est sa répartition quantitative qui est étonnante : est-il logique, pour prolonger notre exemple précédent, de consacrer plus d'une page à l'ONU quand l'immigration n'en occupe pas même la moitié ?
Le lecteur faisant néanmoins l'effort d'entrer dans cette longue dissertation de relations internationales n'est pas au bout de ses peines, ni de ses surprises. Il devra affronter de longs passages catastrophistes, expliquant, Realpolitik oblige, que nous vivons dans un monde " dur et compliqué ", aux " risques de déstabilisation [...] nombreux et massifs " ; passer outre l'omniprésent dialecte technocratique, qui se délecte de " multilatéralisme " et autres " instruments de gouvernance mondiale " ; survivre aux quasi raffarinades (" France ouverte, oui, France offerte, non ") ; ne pas se formaliser des multiples envolées lyriques qui, hasard ou coïncidence, ont tendance à proliférer dans les parties du texte apportant le moins de propositions concrètes (" la compétition engagée pour attirer les élites du Sud n'a d'égale que la hauteur des murs [sic], nombreux et meurtriers, qui sont élevés pour stopper ceux [...] qui n'ont que leurs bras à offrir "). Trop souvent, les propositions, justement, se limitent à des vœux pieux ou à des déclarations d'intention ; ainsi sur le terrorisme, qui justifierait le " développement d'un dispositif moderne de protection du territoire " (lequel, différant en quoi des moyens actuels ?), " tout en respectant le droit " (comment ?) ; ou encore sur la " recherche pharmaceutique ", qui doit " profiter à tous ", sans que " la logique du profit " ne prenne le pas " sur l'exigence de solidarité " avec les pays en voie de développement. On est bien sûr rassuré de constater que le PS ne se réjouit pas des pandémies sévissant dans le Tiers Monde ; on aurait juste aimé savoir, plus précisément, comment atteindre concrètement ces nobles objectifs. A d'autres moments encore, une piste est suggérée, mais prudemment laissée dans le flou du fait de son caractère sensible. Ainsi sur les flux migratoires, dont l'Europe " a besoin ", et qui doivent être " régulés, maîtrisés, concertés avec les pays d'émigration " : introduit-on en fait l'idée de quotas ? Si ce n'est pas le cas, que faire concrètement face à l'immigration économique, celle qui n'entre ni dans le cadre du " trafic de personnes ", ni dans celui du " droit d'asile " ? Troisième type de passages problématiques enfin, ceux qui passent très vite sur une proposition pourtant éminemment complexe et discutable, comme celle de favoriser la constitution des " champions industriels continentaux " - on souhaite bien du plaisir aux PME/PMI, aux travailleurs et aux consommateurs pour négocier avec de tels monstres organisationnels ...
De ce patchwork inégal se détachent malgré tout des axes intéressants, comme celui du combat sur les normes et de sa traduction le " juste-échange ", que l'on qualifiera pour faire vite de protectionnisme intelligent et progressiste. Ce qui fait d'autant plus regretter le manque de cohérence de l'ensemble, qui aurait largement gagné à se recentrer sur quelques lignes fortes, plutôt que de se rêver en encyclopédie Tout L'Univers sans toujours en avoir les moyens. Cette question de forme et d'organisation, qui est tout sauf accessoire, renvoie ultimement au mode de composition des textes des conventions du projet. Ils se situent dans un entre-deux inconfortable entre contribution du parti et programme du candidat. Les candidats, on peut le deviner, ne feront que ce que bon leur semble de ces éléments de projets, et mettront leurs équipes au travail sur des propositions plus concrètes. Personne n'étant dupe de ce futur proche, il aurait été intéressant de véritablement penser les présentes contributions comme des banques d'idées pour nourrir le débat des primaires, de solliciter largement les militants pour un vaste remue-méninges. C'est exactement l'inverse qui a eu lieu, toute la rédaction - et la majorité de la procédure d'amendement - de ces textes étant dévolue aux seuls courants, ou plus exactement à ce qu'il en reste, à savoir leurs " cadres " respectifs. Comment s'étonner, dès lors, de la participation étique des adhérents aux votes de validation ? Ayant peu - ou pas - associé les militants, recevant du coup un écho plus que modeste dans le pays, ces éléments de projet seront d'autant moins contraignants pour les candidats.
Il est encore temps de changer de méthode et d'ambition pour la prochaine et dernière convention, particulièrement cruciale puisque consacrée à l'égalité des chances. En attendant, chacun méditera sur l'évolution qui conduit d'un participatif peut-être excessif ou pas toujours bien maîtrisé en 2007, à une organisation essentiellement bureaucratique de la réflexion en 2010.
Romain Pigenel