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Fiscalité : le story-telling « historique » de Nicolas Sarkozy

Publié le 01 octobre 2010 par Juan
Fiscalité : le story-telling « historique » de Nicolas SarkozyFrançois Baroin, le ministre du budget, et Christine Lagarde, sa collègue de l'Economie, n'avaient pas de mots assez forts pour qualifier le projet de budget présenté en conseil des ministres mercredi : « historique » dit l'un, « hors normes » rajouta l'autre. Sur le terrain budgétaire, Nicolas Sarkozy espère prouver sa rigueur, au moins vis-à-vis des marchés, et son sérieux, au moins vis-à-vis de son électorat. Le story-telling officiel masque une réalité bien différente : le coût des niches fiscales augmentera, et, plus grave, l'effort de rigueur est injustement réparti.


Les mauvais comptes de Baroin
Comme promis, François Baroin a présenté son projet de budget 2011 au conseil des ministres mercredi dernier. L'essentiel des mesures étant déjà connu, nous lirons avec attention le texte complet de ce projet de loi de finances. Mercredi, François Baroin s'est démultiplié dans les médias pour expliquer que l'effort de réduction des dépenses était  « historique ».
En fait, les déficits ET le story-telling pour habiller les mesures gouvernementales sont historiques : selon Baroin, Lagarde, Chatel et consorts, le redressement partiel des comptes publics serait dû à des recettes fiscales supplémentaires grâce à la reprise économique, aux 10 milliards de réduction du coût des niches fiscales et sociales, à une quinzaine de milliards d'euros via l'arrêt des mesures du plan de relance, aux 5% de réduction des dépenses de l'Etat et de ses opérateurs, au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (31 000 postes supprimés en 2011, pour quelques 500 millions d'euros d'effet sur le budget) et au gel des dotations aux collectivités locales pour 3 ans (53 milliards d'euros par an).
A la lecture du document remis à la presse mercredi 29 septembre, on comprend que l'histoire est bien différente.
Certes, les dépenses publiques, hors dettes et pensions, sont prévues stables, à 275 milliards d'euros (comme en 2010). Le service de la dette (45 milliards l'an prochain) et les pensions de retraite (36 milliards) augmenteront de 4 milliards.
Mais les recettes fiscales, elles, sont prévues en baisse (sic!) : 900 millions d'euros de moins en 2011 ( 254,7 milliards contre 255,3 milliards en 2010) : où est passée la reprise ?? Dans son texte de présentation médiatique, le gouvernement commente pourtant: « le retour attendu de la croissance se traduira par une augmentation des recettes fiscales de l’État de l’ordre de 12 milliards d’euros en 2011.» Ne cherchez pas d'erreur : si les recettes fiscales de l'Etat liées à l'activité économique du pays augmentent, alors que leur produit global est in fine en baisse, c'est que le coût des exonérations fiscales, les fameuses « niches », progresse.
Mercredi, Baroin disait ... l'inverse : « les niches fiscales, c'est une dépense de l'Etat. Quand on les réduit de dix milliards, on réduit de dix milliards les dépenses de l'Etat ». Quel fabuleux story-telling ! Aux marchés et aux Français, on explique quasiment l'inverse. Si le gouvernement a bien trouvé 10 milliards d'euros de réduction de certaines niches, il n'a pas réduit le coût global des niches fiscales en 2011.
- les recettes non fiscales (ventes de biens et participations, dividendes, etc) progresseraient de 800 millions (pour atteindre 16,9 milliards d'euros).
D'où vient donc le miracle d'une réduction drastique du déficit budgétaire de quelques 60 milliards d'euros ? De 70 milliards d'euros de dépenses « exceptionnelles » de 2010 qui chutent à 3 milliards en 2011. Les explications de Bercy sont limpides : 8 milliards d'euros de mesures de relance non reconduites, 5 milliards d'euros de transition fiscale en provenance des collectivités locales (après la suppression de la taxe professionnelle en 2010), et ... 40 milliards d'euros « d'investissements d'avenir » réalisés en 2010 et non renouvelés en 2011 (rappelez-vous le Grand Emprunt).
En d'autres termes, Baroin tente de faire passer des vessies pour des lanternes, l'arrêt de certains investissements, décidés par Sarkozy au pire de la crise, pour une réduction incroyable des dépenses courantes de l'Etat.
Les ménages paieront
Dans le détail, on constate assez facilement que l'effort de rigueur sera bien réel pour les ménages, alors que la rente, le patrimoine et les classes aisées échappent à l'essentiel des rabots annoncés.
1. Les prévisions de croissance sont jugées optimistes voire fantaisistes par les analystes financiers. « Sur la prévision de croissance à 2% l'année prochaine, on est vraiment relativement confiant » a pourtant répété Christine Lagarde lors de sa conférence de presse mercredi. Pourtant, comme le rappelait le président socialiste de la commission des finances de l'Assemblée lundi dernier, Christine Lagarde s'est systématiquement trompée sur le sujet depuis qu'elle est entrée au gouvernement.
2. Dans ses annonces, Baroin recycle les mesures d'économies sur les classes aisées déjà annoncées (et critiquées pour leur modestie) lors de l'examen de la réforme des retraites.
2. Les ménages paieront l'essentiel de l'addition. Baroin avait pris quelques précautions : 60% des réductions de dépenses, y compris fiscales, seraient supportées par les entreprises. C'est une première arnaque sémantique : les entreprises affectées répercuteront ces hausses de charges - ou pertes d'avantages fiscaux - sur leurs clients. Ainsi, France Télécom comme Free ont déjà annoncé une augmentation de leur tarifs « triple play » (internet, téléphone, télévision). L'alignement de la TVA à 19,6% sur ces offres concernent 20 millions de foyers. L'économie attendue est de 1,1 milliard d'euros, une somme qui sera donc in fine payée par les ménages.
Parmi les mesures annoncées qui frapperont directement les ménages, citons:
  • la suppression de l'abattement de 15% sur les cotisations patronales des ménages déclarant leur employé au salaire réel ; 
  • la fin du crédit d'impôt sur les dividendes,
  • le relèvement du forfait social sur l'intéressement et la participation (de 4 à 6%).
  • la suppression de la rétroactivité de 3 mois précédent la demande d'aide au logement ; 
  • la fin des déclarations fiscales séparées pour les jeunes mariés ;
  • la réduction de 75 à 50% de l'exonération fiscale pour l'installation de panneaux solaires (avec un nouveau plafond de 8 000 euros par individu ou 16 000 euros par couple) ;
  • la réduction de 25 à 22,5% du crédit d'impôt pour l'installation d'appareils de régulation de chauffage
  • la réduction de 40 à 36% du crédit d'impôt pour l'installation de chaudière à bois
  • une taxation supplémentaire de l'assurance vie de 3,5%.
  • le ciblage (non détaillé) des investissements éligibles aux réductions d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune pour souscription au capital de PME ;
3. La taxe bancaire est très modeste : une taxe « systémique » visant les placements risqués des banques est instaurée. Son produit sera modeste : 504 millions d'euros l'an prochain. Et il servira à éponger les déficits publics, contrairement au modèle allemand, qui affectera le produit de sa taxe à un fond prudentiel.
4. Les ménages aisés restent protégés de l'effort national. Les mesures les visant directement sont le relèvement de 4% des prélèvements sociaux sur les stock-options, la limitation de la déduction de 3% de CSG aux salaires inférieurs à 4 fois le plafond de la Sécu (11 450 euros), la hausse (modeste) des prélèvements sur les retraites chapeaux, le relèvement de 1 point de la tranche supérieur de l'impôt sur le revenu (déjà annoncé) et l'abaissement de 10% du plafond global des niches fiscales par foyer (hors soutien à l’emploi et au logement social outre-mer).
5. La fiscalité de la rente et du patrimoine est peu concernée. A montant égal, un revenu du travail restera toujours davantage taxé en impôts et cotisations qu'une rente. L'exonération quasi-totale des droits de succession, le maintien du bouclier fiscal (qui protège le patrimoine), le maintien de la totalité des niches fiscales les plus avantageuses le concernant font perdurer un système fiscal injuste.
6. Le bouclier fiscal est maintenu. Il faut noter qu'un seul prélèvement nouveau, la hausse d'un point de la tranche supérieure de l'IR, échappera au bouclier fiscal. Les bénéficiaires du bouclier fiscal, qui, par définition, ne parviennent pas à réduire leur impôt global suffisamment pour éviter de bénéficier dudit bouclier, ne sont pas concernés par les différents rabots de niches avancés par le gouvernement. Ces dernières mesures sont pour eux a priori indolores. Au passage, François Baroin a rappelé, mercredi dans les colonnes du Monde, qu'il lui semblait impossible de supprimer l'ISF en échange de la création d'une nouvelle tranche supérieure d'impôt sur le revenu. Il rejoint, sur ce sujet seulement, les conclusions de l’Union SNUI-SUD Trésor Solidaires. Selon cette dernière, l'ISF rapportant 3 milliards d'euros par an, il manquerait « entre 1,7 et 2 milliards d’euros pour le bouclage budgétaire de cette réforme .»


7. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, l'un des rares totems sarkozyens ayant survécu à l'épreuve de la réalité, concernera essentiellement l'Education nationale (16 000 postes supprimés), la Défense (8000 postes), le fisc (3000 postes) et ... le ministère de l'Intérieur (1600 postes).
8.  La rigueur frappera également l'assurance maladie. Les 2,5 milliards d'euros d'économies dévoilées par la presse la semaine dernière se confirment.
Au final, le gouvernement table sur un déficit budgétaire ramené à 92 milliards d'euros, soit 6% du PIB l'an prochain, 4,6% fin 2012, 3,0% fin 2013 et 2,0% fin 2014, mais une dette publique qui continuerait de s'envoler bien au-delà des 60% du PIB requis par le Traité de Maastricht : 82,9% fin 2010; 86,2% fin 2011; 87,4% en 2012. La décrue n'est attendue que pour 2013, avec 86,8%, puis 85,3% fin 2014.
On comprend mieux l'urgence à ce story-telling fallacieux. Pour endormir l'opinion, Sarkozy, caché derrière son Baroin de service, ne touche pas à la fiscalité de son coeur de cible électoral. Vis-à-vis de l'opinion, il met en avant le rabot sur les niches fiscales et le maintien des dispositifs de soutien aux plus fragiles. Pour les marchés, il vante une réduction du déficit qui masque  en fait le simple arrêt d'investissements anachroniques, et sa reprise économique, dont les maigres gains fiscaux sont pourtant intégralement absorbés par les défiscalisations multiples qu'il protège.
Jusqu'à quand tiendra-t-il ?



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